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18 mars 2021 4 18 /03 /mars /2021 13:18

     L'ouvrage de l'historien américain Howard ZINN, bien connu pour son Histoire populaire des États-Unis et ses réflexions sur le sens de l'histoire, tranche avec celui d'autres consacré au même sujet, la désobéissance civile, par bien des aspects. Contrairement par exemple à la démarche d'un John RAWLS, il ne part pas d'une conception idéalisée du droit, mais, se concentrant sur les États-Unis, s'attache plutôt à des situations de conflit bien concrètes. Bien entendu, étant amené à évoquer l'histoire de bien des mouvements de révoltes et de révolutions, la lutte de bien des minorités, leur caractère violent est souvent mis en évidence, sans être magnifié d'ailleurs. Donc contrairement à beaucoup d'ouvrages, il n'évoque que très peu la non-violence - souvent rattachée à la désobéissance civile - sans pour autant éviter la problématique des moyens violents employés par nombre d'opprimés contre leurs oppresseurs. C'est dans sa conclusion qu'il émet ses positions sur la non-violence, d'ailleurs à l'occasion d'une véritable charge pacifiste... Et de faire d'ailleurs, in fine en fin d'ouvrage, une grande critique sur les recours à la violence même pour des causes justes. Il s'agit pour lui de faire une Histoire des insurrections et de la contestation, qui laisse toute leur place aux faits.

   Dès le début de son livre, dans l'introduction, Howard ZINN s'attaque à "l'idéologie américaine" : "Nous vivons dans une société où le catalogue des idées disponibles se trouve limité quand certains autres dominent le débat : ces idées, ce sont nos parents, l'école, la religion, les journaux, la radio et la télévision qui nous les transmettent. Nous les respirons depuis que nous avons appris à marcher et à parler. Elles constituent une sorte d'idéologie américaine - c'est-à-dire un ensemble d'idées dominantes. La plupart des gens l'acceptent, et en suivant leur exemple nous nous évitons bien des soucis. La prédominance de cette idéologie n'est pas le fait d'un groupe de conspirateurs diaboliques qui auraient réussi à imposer à la société un point de vue particulier. Ce n'est pas non plus le fruit du hasard ni l'innocent produit de la libre réflexion des gens. Il s'agit d'un processus de sélection naturelle (ou plutôt non naturelle) au cours duquel certaines idées orthodoxes sont promues, financées et mises en avant par le biais des plus puissantes machines culturelles du pays. Ces idées sont privilégiées parce qu'elles sont inoffensives : elles ne menacent en rien les fortunes établies ou les pouvoirs en place. Parmi ces idées, on trouve par exemple :

- Soyons réalistes : les choses sont ainsi et il ne sert à rien de penser à ce qu'elles devraient être.

- Enseignants, écrivains et journalistes devraient être objectifs. Ils ne devraient pas chercher à imposer leur opinion personnelle.

- Il y a des guerres injustes mais aussi des guerres justes.

- Quand on désobéit à la loi, même pour une bonne cause, on doit accepter le châtiment.

- Quand on travaille suffisamment dur on gagne bien sa vie. Ceux qui sont pauvres ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes.

- La liberté d'expression est une bonne chose tant qu'elle ne menace pas la sécurité nationale.

- L'égalité des races est une bonne chose, mais nous sommes allés suffisamment loin dans cette direction.

- Notre Constitution est la principale garantie de la liberté et de la justice.

- Les États-unis doivent intervenir de temps en temps dans différentes régions du monde pour endiguer le communisme et promouvoir la démocratie.

- Si vous souhaitez changer les choses, vous devez passer par les canaux appropriés.

- Les armes nucléaires sont nécessaires si l'on veut éviter la guerre.

- Il y a de nombreuses injustices dans le monde mais le citoyen ordinaire et sans argent n'y peut absolument rien.

Tous les Américains n'acceptent pas ces idées mais elles sont néanmoins assez généralement et profondément admises pour influencer notre manière de penser. Aussi longtemps que cela durera, ceux qui dans notre société possèdent pouvoir et argent pourront tranquillement demeurer aux commandes."

HoWard ZINN estime, malgré tous les déploiements technologiques, que la surveillance et les menaces exercées par le gouvernement et par des officines plus ou moins officielles, sont l'exception. Ce sont surtout ces idées qui "mènent la société américaine". Soit une communauté de gens obéissants, consentants et passifs, ce qui est un danger mortel pour la démocratie. A l'inverse de beaucoup qui se penchent sur la question de la désobéissance civile, il ne reconnait pas aux institutions de son pays un caractère réellement démocratique. Si formellement, les droits et libertés ont reconnus et défendus, dans les faits, ils le sont très inégalitairement selon les catégories sociales. Il s'intéresse donc très résolument aux situations, dans l'Histoire et aujourd'hui qui obligent quantité de citoyens à la désobéissance civile pour faire reconnaitre précisément ces libertés et ces droits. De plus, "le XXe siècle nous a appris que les vieilles orthodoxies, les idéologies classiques, les paquets d'idées trop bien ficelés - capitalisme, socialisme et démocratie - doivent absolument être défaits pour que nous puissions tenter des expériences nouvelles, jouer avec les différents ingrédients qui les composent, en ajouter d'autres et créer de nouvelles combinaisons moins rigides."

  C'est à travers neuf grands chapitres, que l'auteur n'entend pas lié chronologiquement les uns aux autres, qu'il approche les situations concrètes : successivement, la politique étrangère des États-Unis, la question de la violence et de la nature humaine, le bon et mauvais usage de l'histoire, la guerre juste et la guerre injuste, la loi et la justice, la justice économique et le système de classes, la liberté d'expression, l'expérience noire du gouvernement représentatif, le communisme et l'anti-communisme, sont ainsi abordés. Quantité d'acteurs sociaux, de leaders de groupes en révoltes, d'affaires judiciaires, de situations internationales sont évoqués pour aboutir à une conclusion où "l'arme définitive" n'est pas forcément celles clamées par de nombreux groupes "révolutionnaires". A chacun de ces chapitres, il entend surtout démythifier les sources du "bon sens commun" des Américains.

   Comme nous l'écrivons lus haut, sa conclusion est l'occasion d'une charge continue contre la guerre, le recours à la violence et la course aux armements. Il évoque tour à tour l'imprévisibilité des événements, le fait que aucune préparation à la guerre n'a changé quoi que soit à l'évolution des événements et le fait qu'aucune guerre dite juste n'a amélioré en fin de compte la vie des personnes vivant dans les contrées visées, et que par contre toute guerre juste a coûté de nombreuses vies, y compris d'ailleurs la seconde guerre mondiale vue du côté des Alliés. A des fins incertaines - et nous avons nous-mêmes rappelés les positions occidentales, y compris des mouvements pacifistes à l'occasion des guerres civiles issues de l'effondrement de la Yougoslavie - ce sont souvent des moyens inadmissibles qui sont mis en oeuvre. Il attaque d'ailleurs le mythe de l'évitement d'une troisième guerre mondiale grâce à la course aux armements nucléaires, évoquant en même temps les fabuleux progrès dont ces courses ont privé l'humanité, par détournement des ressources. Il souligne que la guerre est un phénomène de classe, imposée à l'immense masse des populations, que ce soit au Vietnam ou en Yougoslavie.

Devant ces constatations, "nous sommes dès lors confrontés à une immense responsabilité : comment obtenir la justice sans avoir recours à la violence collective? Quelles qu'aient pu être jusqu'ici les justifications morales du recours à la violence (la légitime défense ou le renversement des tyrannies), il faut désormais envisager d'autres moyens d'y parvenir. C'est là le gigantesque défi, à la fois moral et tactique, de notre époque (le XXIe siècle). Renoncer à nos vieilles habitudes exigera des efforts monumentaux en termes d'imagination, de courage, de patience et de volonté. Mais cela doit être fait. Assurément, les nations doivent se défendre contre les agressions, les citoyens doivent résister aux régimes qui les oppriment et les renverser ; les pauvres doivent se révolter contre leur pauvreté et opérer une redistribution des richesses. Mais cela doit se faire sans recours aux violences de la guerre." Et de là, Howard ZINN enchaîne sur les hommages empoisonnés des puissants envers la non-violence, comme sur la puissance cachée des moyens de la non-violence, dont semble être bien plus conscient les détenteurs des pouvoirs politiques que les citoyens. Il insiste tout autant à la fois sur le grand potentiel de chaque individu face aux méga-machines politiques et économiques que sur la véritable peur de ce pouvoir chez ces détenteurs. "Les dernières décennies du XXe siècle ont apporté la preuve que les gens ordinaires peuvent abattre des institutions et faire changer des politiques qui semblaient éternelles. Cela n'est pas facile. Et il existe des situations dans lesquelles le changement semble être impossible si ce n'est par le biais de révolutions sanglantes. Pourtant, même dans ces situations, le coût sanglant de violences sans fin - les révoltes entrainant la terreur contre-révolutionnaire et donc plus de révoltes et plus de terreur encore, en une spirale sans fin - nous invite à imaginer d'autres stratégies (Pensons à l'Afrique du Sud, qui est peut-être la démonstration ultime de l'efficacité de l'action directe non violente)."

Il condamne tout autant le terrorisme d'où qu'il est organisé que la soif du pouvoir qui anime les politiques (et les politologues...) qui les empêchent de considérer l'action directe non-violente comme une arme efficace. "Il serait insensé, ajoute -il - de prétendre - même si l'on finissait par reconnaître que l'action directe non-violente est le (en italique) moyen de parvenir à la justice et de résister à la tyrannie - que toute violence collective disparaîtrait immédiatement. Mais les usages les plus terribles de la violence pourraient être évités, en particulier lorsqu'ils exigent la coopération des citoyens et que ces derniers admettent la légitimité des décisions prises par les gouvernements. La plus puissante des dissuasions contre une agression éventuelle serait la détermination affichée de tout un peuple à résister de mille manières différentes." Plus, "un mouvement mondial de non-violence favorable à la paix et à la justice signifierait pour la première fois l'intrusion de la démocratie dans les affaires du monde". La non-violence est constitutive ainsi d'un nouveau réalisme devant les problèmes du monde. Les mots sécurité, défense, démocratie  et même patriotisme trouveraient un sens nouveau. Cela prendra, comme l'auteur l'écrit, beaucoup de temps.

 

Howard ZINN, Désobéissance civile et démocratie, Sur la justice et la guerre, Agone, collection Éléments, 2010, 550 pages. Traduction de l'ouvrage Passionate Declarations. Essays on War and Justice, publié par Howard ZINN en 1986, révisé en 2002.

 

 

 

 

 

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