Alors que souvent le clivage ou d'autres mécanismes de défense sont parfois présentés comme défenses statiques, et de symptôme en symptôme comme se figeant en traits de caractère (rejoignant plus ou moins la notion de cuirasse caractérielle de REICH), des auteurs comme Gérard BAYLE préfère présenter le psychisme comme dynamique, et prolongeant la définition classique du clivage, montrer celui-ci comme mécanisme de défense changeant ; voire passage entre d'un autre mécanisme de défense à un autre. Le psychisme d'un individu évolue constamment et si l'on retrouve tous ces mécanismes abondamment décrits de manière redondante chez beaucoup d'individus, ceux-ci restent d'une grande souplesse, surtout dans un environnement constamment en changement. C'est sans doute comme cela qu'il faut comprendre les travaux de Gérard BAYLE, qui, tout en approfondissant la description du clivage et de ses variantes, insiste surtout sur la dynamique d'un mécanisme de défense comme ce clivage.
Pour lui, l'essentiel est autant dans la formation des analystes que dans une théorie psychanalytique de toute façon mouvante. "Dans le passé, le modèle de la névrose servait d'axe de référence quasi exclusive pour (leur) formation. Le refoulement, écrit-il dans Clivages, Moi et défense, avait à juste titre, la meilleure place dans le cortège des défenses psychiques. Le déni et le clivage n'étaient pas délaissés, mais ils concernaient les psychoses et les perversions, et la métapsychologie en rendait fort peu compte ; ils apparaissaient comme des adjuvants du processus central de refoulement, comme des aides à la défense du moi. Alors, si les névroses de transfert tenaient l'essentiel du programme de formation, nolens volens les analystes devaient, en quelque sorte, s'y conformer. Les formateurs insistaient vivement pour que soient exposés de "bons cas de supervision", c'est-à-dire des patients ayant une névrose hystérique, phobique ou obsessionnelle. Cette attitude persiste encore à un faible degré, mais c'est à partir de structures moins nettes que se font actuellement les progrès les plus importants. Les cures particulièrement éprouvantes en raison d'attaques répétées du cadre poussent à dépasser une vision trop limitées de l'analyse et conduisent à la prise en compte de réactions contre-transférentielles sans lesquelles les processus aboutissant à des clivages resteraient inaccessibles. En bref, l'analyse vit alors en lui-même les difficultés du patient à ressentir et à symboliser. Le mal-être de l'analyste - ou parfois son excès de bien-être - et l'incompréhension doublée de surprenantes attaques du cadre analytique, d'où qu'elles viennent, poussent à la recherche bibliographique, théorique et clinique, au-delà de certitudes temporaires. Peu à peu, la notion de clivage s'impose."
Ensuite, Gérard BAYLE insiste sur un aphorisme (les psychanalystes en général adorent les aphorismes...) : "Pas de clivage sans collage..." "Veuille le lecteur y percevoir l'importance d'une forme de captation narcissique d'un sujet par un autre (forme banale, notons-nous, d'ailleurs d'une certaine tendance au mimétisme...) ; asservissement pervers des processus défensifs d'un sujet par un autre. On tient ici très fortement à cette vision allusive qui désigne les plus importantes dégradations psychiques. De celles-ci, l'auteur a tenté de rendre compte en termes de clivage structurel, selon une argumentation dont le résumé pourrait être : le clivage fonctionnel du moi des parents crée les conditions du clivage structurel du soit des enfants, avec la participation de ceux-ci." Gérard BAYLE retient la définition du soi proposé par Évelyne KESTEMBERG (La relation fétichique à l'objet, dans Revue française de psychanalyse, n°42, 2) : "Le moi émerge du soi sans pour autant jamais le perdre." "Le soi constitue la première configuration organisée de l'appareil psychique qui émane de l'unité mère-enfant. Il représente, au niveau du sujet - objet de la mère -, ce qui appartient en propre au sujet, de façon extrêmement précoce, avant que ne soit instaurée la distinction entre le sujet et l'objet. Du fait que l'enfant est objet pour la mère et que les fantasmes de celle-ci modulent les prémices de son organisation psychique, la relation objectale est incluse dans l'autoérotisme primaire et dans la continuité narcissique du sujet. Le soi ne peut être identifié au moi qui reste l'instance organisatrice et conciliatrice, mais il représente en son sein la source du sentiment du je. Cette configuration psychique, qui ne se confond ni avec le moi ni avec l'objet, persiste tout au long de l'existence ; elle conditionne la qualité du self selon Donald Woods Winnicott (voir plusieurs de ses écrits, notamment Objets transitionnels et phénomènes transitionnels. De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1989).
Ce qui appartient à un sujet, mais ne fut jamais subjectivé, peut se glisser dans ses pensées, ses actes, son sentiment d'identité, avoir toujours été là et faire partie de sa chair même. Ce jamais subjectivé, source d'une inquiétante familiarité, reste marqué par son origine : l'objet primaire. Certaines précautions excessives de l'entourage sont destinées à protéger la descendance de l'écho proche ou lointain de deuils non faits, d'horreurs sans nom, de blessures psychiques mal cicatrisées. Mais ce faisant, c'est l'entourage qui se protège lui-même. Il y a là, peu ou prou, qu'on le veuille ou non, une forme de perversion narcissique. Celle-ci enfante le moi, mais aussi et d'abord le soi sous la forme de clivages souvent ineffaçables pour peu que l'enfant en investisse le processus, y soit partie prenante, quelle que soit la précocité de cette adhésion. L'hallucination négative, le déni, l'idéalisation et la forclusion déploient alors leurs attaques de la symbolisation, de la subjectivation et de la structuration oedipienne. Ces processus agissent puissamment sur le contre-transfert de l'analyste dans les moments les plus difficiles des cures ; à lui d'en tirer parti pour le progrès de l'analyse en cours."
La recherche sur les énergies mises en jeu dans tous les processus de défense explore les voies et les buts de la coexcitation, de soi par soi ou de soi par l'autre, dans des visées plus réparatrices qu'hédoniques. Dépenses énergétiques et jeux des clivages constituent deux éléments de la recherche de Gérard BAYLE. Investissements et contre-investissements narcissiques, processus dynamiques, sont aussi des objets de recherche qu'il étudie en prenant appui sur plusieurs angles. A savoir :
- la distinction entre le fétiche et l'objet prothétique ;
- la distinction entre les objets phobiques, fétichiques et transitionnels ;
- la distinction entre le rejet et le désaveu dans la constitution du déni ;
- l'articulation des défenses entre elles ;
- le leurre de la fonction synthétique du moi.
Alors que nombre de recherches se concentraient sur les éléments du Moi, son affaiblissement et/ou son renforcement, comme élément topique majeur, Gérard BAYLE s'éloigne de la possibilité de constitution d'un moi synthétique pour bâtir plutôt une logique dynamique de différents mécanismes de défense. A l'image de l'humain qui de la naissance jusqu'à la mort ne cesse de rechercher une sorte d'équilibre interne sans jamais d'ailleurs réellement le trouver, il tente de rechercher surtout dans l'articulation toujours temporaire des défenses les clés des comportements. C'est notamment à travers l'économie et la dynamique de différents clivages qu'il pense approcher l'explication des perversions, des sublimations et partant, des croyances.
En revisitant l'inconscient freudien, tel qu'il a été conçu par le fondateur de la psychanalyse, Gérard BAYLE et de nombreux autres psychanalystes, psychologues et cliniciens remettent à jour certaines notions utiles dans l'explication de ces différents clivages. Dans cette revisitation, qui inclue aussi l'examen des résistances actuelles à la psychanalyse et de leurs raisonnements, les mécanismes de défense connaissent un véritable regain d'intérêts.
Gérard BAYLE, Clivages, Moi et défenses, PUF, collection Le fil rouge, 2012. Sous la direction de Gérard BAYLE, L'inconscient freudien, Recherch, écoute, métapsychologie, Monographies et débats de psychanalyse, PUF, 2010.
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