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5 avril 2021 1 05 /04 /avril /2021 15:14

   Sous-titré Pourquoi la résistance civile est efficace, déjà signe d'une assimilation entre résistance civile et non-violence, ce livre paru aux États-Unis en 2011, paraît enfin en français, avec le décalage habituel d'une dizaine d'années de l'autre côté de l'Atlantique, habituel pour de nombreux ouvrages de sociologie comme de sciences naturelles... Erica CHENOWETH enseigne à Harvard, au sein de la Kennedy School of Government et Maria J. STEPHAN a rejoint l'United States Institute of Peace, fondation fédérale financée par le Congrès américain. Préfacé par jacques SÉMELIN, spécialiste français reconnu en matière de résistance ou de défense civile non-violente, le livre entend montrer la supériorité en terme d'efficacité des campagnes non-violentes par rapport aux campagnes violentes, à travers l'examen de 323 campagnes de résistance de 1900 à 2006. Prenant entre autres le contre-pied de tout un courant (voir Peter GELDERLOOS, Comment la non-violence protège l'État, Éditions libres, 2007, déjà recensé dans ce blog) qui dénie cette supériorité et surtout estime qu'à moyen terme la non-favorise un pseudo système démocratique et le système capitaliste en général, les deux auteurs, aux nombreux récompenses littéraires, entendent démontrer que les "damnés de la terre" ne sont pas condamnés ni à la violence ni à la passivité. Elles s'inscrivent dans un courant de recherche dont le chercheur Gene SHARP a été le principal représentant aux États-Unis dès les années 1970. Elles s'inspirent également des travaux de Adam ROBERTS, professeur émérite à Oxford, mais plus largement se réfèrent aux sociologues des mouvements sociaux, comme Sidney TARROW et Doug MacADAM. Elles puisent aussi dans le champ des études sur la guerre, s'appuyant sur des ouvrages ayant tenté de penser les conflits asymétriques, tels celui d'Ivan ARREGIN-TOFT, How the Weak Win War (Cambridge University Press, 2005), ou de Kurt SCHOCK sur les insurrections non armées, Unarmed Insurrections (University of Minnesota Press, 2005).

   CHENOWETH et STEPHAN renouvellent ici les travaux universitaires sur la non-violence et la résistance civile, dans ce qu'on appelle les "global studies". Conscientes de l'ambiguïté de la notion de violence, elles se livrent en fait à une problématique risquée - vus les contextes très différents, comparative, entre campagnes de libération d'oppression ou d'occupation. Ce corpus mondial, tenté pour la première fois à cette échelle de temps et d'espace, consultable en accès libre sur Internet sur la base de données Nonviolent and Violent Campaigns and Outcomes Data Project, hébergée par l'Université de Denver, repose sur une classification des campagnes en plusieurs dimensions : leur caractère principalement violent ou non-violent (et là les polémiques peuvent commencer à enfler, car peu de campagnes ne furent entièrement violentes ou non-violentes de bout en bout...), le fait qu'elles aient débouché sur une réussite (au regard de l'objectif affiché, car sur le moyen terme le regard peut être plus compliqué à établir), un échec ou un demi-succès, et l'objectif de la campagne : changement de régime, objectif territorial ou autre. Le traitement de ces données par les deux universitaires aboutit, selon leurs conclusions, à deux découvertes contre-intuitives : les campagnes non-violentes sont plus efficaces que les campagnes violentes et l'issue victorieuse d'une lutte est directement liée à la mise en oeuvre d'une stratégie d'une part et elles sont plus rarement suivies d'une dictature ou d'une guerre civile d'autre part, avec toutefois, analysent-elles, de grandes exceptions dans les deux sens. Ce qui attirent le regard de nombreux sociologues, politologues et stratégistes de nos jours, c'est le caractère de surprise stratégique que revêtent ces campagnes non-violentes, il est vrai dans un univers mental et des habitudes intellectuels imbibées encore de l'idée d'efficacité des guerres.

Ce que bon nombre de critiques ont souligné tourne autour de deux considérations : le fait que la conception d'un régime démocratique reste soumise aux canons du libéralisme, dans un monde pourtant où les institutions officielles promettent bien plus qu'elles ne réalisent  l'idéal démocratique ; le fait également, mais cela ne touche pas seulement les recherches en matière de défense ou de stratégie, mais également une très large partie du champ scientifique (que ce soit en sciences humaines ou en sciences naturelles), la dépendance forte, liée au financement et parfois à la définition du champ d'études, envers les sociétés économiques dominantes (et parfois sous le mécanisme des fondations, d'industries d'armement) et les directions d'État (ministères de la défense, mais pas seulement...). A ce propos, souvent le dilemme pour de nombreux chercheurs, se résume à cette dépendance (plus ou moins forte dans les faits, il faut l'écrire) ou à ne rien chercher du tout... (voir Le difficile pas de deux entre militaires et chercheurs, de Nicolas CHEVASSUS-AU-LOUIS, dans Médiapart, 6 février 2021)

  Les auteures énoncent leur thèse dans leur première partie : "ce qui fait la supériorité des campagnes non violentes sur les campagnes violentes est qu'il est plus facile d'y participer (je ne sais pas si elles ont participé à une campagne de désobéissance civile!) ; cela est un facteur déterminant de leur issue. Les différentes barrières - morales, physiques ou d'accès à l'information - que doit surmonter celui qui s'engage dans une campagne de résistance non violente sont bien moindres que celles qu'ils rencontreraient s'il choisissait de participer à une insurrection armée. Or, une forte participation à une campagne met en route un cercle vertueux de circonstances propices au succès de celle-ci : une plus grande capacité à endurer les revers, un plus large éventail de choix tactiques, l'extension des actes de désobéissance civile (qui augmente le coût de maintien à la normale de la situation pour le régime contesté), le ralliement d'anciens adversaires à sa cause, notamment parmi les forces de l'ordre. En définitive, la mobilisation des populations sur le lieu même de la lutte contribue plus sûrement à la force d'une campagne de résistance que le soutien d'alliés extérieurs, que beaucoup de luttes armées doivent  aller chercher pour compenser la faiblesse de leurs troupes. En outre, nous constatons que les périodes de transition qui succèdent à la victoire des mouvements de résistance non violents donnent lieu à des démocraties plus durables et plus apaisées que les transitions qui suivent les insurrections armées. (...)". Elles s'appuient, pour la recherche des preuves de la validité de leur thèse, non seulement sur l'exploitation de la base de données, mais également sur des études de cas. Elles admettent in fine que le succès et l'échec d'une campagne sont des questions complexes, sur lesquelles des débats animés ont souvent lieu.

 

Erica CHENOWETH et Maria J. STEPHAN, Pouvoir de la non-violence, Pourquoi la résistance civile est efficace, Calmann Levy, 2021, 480 pages.

On pourra consulter, même si je ne la partage pas, la critique émise par Nicolas CASAUX sur www.partage;le.com. (5 avril 2021)

 

STRATEGUS

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