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26 juin 2021 6 26 /06 /juin /2021 08:39

    L'épidémie de Covid-19 n'a pas supprimé les soulèvements populaires au Sud de notre planète. La démultiplication et simultanéité des celles-ci à l'automne 2019 avaient mis au-devant de la scène ces soulèvements, qui répondaient et répondent encore à l'accroissement des inégalités et aux régressions sociales et économiques de nombreuses régions du monde. Mal renseignées par les statistiques mises en avant par des Instituts économiques parfois tendancieux, leurs renseignements étant par ailleurs biaisée par l'amalgame dans les chiffres de l'économie réelle et de l'économie financière, ces inégalités et pauvretés touchent encore des millions de personnes. Les mouvements massifs de contestation posent nombre de questions quant à leur dynamique, leur temporalité, leur composition et leurs significations, et pas seulement au vu des méthodes d'actions (violentes, parfois exclusivement armées ou de désobéissance civile, parfois ouvertement non-violentes). Ancrés localement, tenant à distance acteurs politiques institutionnels, ouvrent-ils la voie à des transformations en profondeur, voire à un changement de "système"?, questionne par exemple Frédéric THOMAS, docteur en sciences sociales, du Centre tricontinental (www.cetri.be). Cette question est encore d'actualité (même si la presse en Occident ne s'y intéresse que brièvement...) ; l'épidémie ne les a pas mis entre parenthèses.

   Il situe les enjeux des récents soulèvements populaires, après un petit détour sémantique : "Les dictionnaires évoquent un "mouvement collectif et massif de contestation, de révolte", synonyme d'insurrection, de rébellion et d'émeute. Le curseur est donc mis sur l'action, sur l'impulsion et la spontanéité qui l'accompagne. Quant à "populaire", l'adjectif renvoie tout à la fois à la composition sociale des manifestations, au large spectre de catégories de la population y prenant part, et à l'affirmation même des acteurs.

Mais en réalité, chacun des caractéristiques, ainsi que les contours mêmes du populaire font l'objet de débats et soulèvent nombre de questions, tant la définition même de la mobilisation participe du conflit social. De plus, loin de se fondre dans un tout homogène, ces traits spécifiques dessinent des lignes de tension, se déclinent différemment selon les moments et les situations.

La simultanéité des soulèvements populaire à l'automne 2019, ainsi que les modalités de l'action et les symboles communs, y compris les signes que semblent s'échanger entre eux Petrochanllengers haïtiens, "vendredistes" algériens et K-Poppers indonésiens par exemple, ne doivent pas, cependant, nous induire en erreur : les déclencheurs de ces mobilisations sont toujours localisés, spécifiques à des situations nationales particulières (...)."

"Mais, force est aussi de reconnaître (...) que si le ressorts de ces soulèvements sont locaux, les crises dont ils sont le fruit sont, elle, internationalisées. C'est évident dans les cas de Haïti,du Liban et de l'Irak, pays "sous dépendance" économique et politique, où l'ingérence des États-Unis et de puissances régionales pèse lourd. Mais, cela vaut également pour l'Équateur, en raison du rôle joué par le Fonds Monétaire International (FMI) à l'origine de la révolte, de même que pour l'Algérie et l'Iran, du fait de leur positionnement géopolitique. De manière générale, l'imbrication des échanges économiques mondialisés et la médiatisation participent de cette internationalisation, à a laquelle contribue la tendance des gouvernements à discréditer les soulèvements en leur attribuant une source étrangère (au peuple, à la nation), téléguidée par l'international, ainsi que les allers-retours - fussent-ils symboliques - entre manifestant-es d'un pays à l'autre. Reste que ces interdépendances n'effacent pas les configurations nationales, qui demeurent déterminantes." Notre auteur entend mettre en évidence la variété des mouvements de soulèvements, en restant critique envers eux, de façon à ne pas idéaliser les révoltes ni les évaluer par rapports à des processus réformiste ou révolutionnaire tels qu'on peut se les représenter. Car les voies et moyens des révoltes dépassent les catégories, usuelles, notamment dans les milieux militants.

"L'analyse, poursuit-il, du cadrage médiatique des révolutions arabes de 2010-2011, qui a mis en évidence son effet d'amplification, sa logique de spectacularisation et la célébration d'un "idéologie de bons sentiments" (droits humains, pacifisme, émancipation des femmes et de la jeunesse) et de l'"utopie internet", vaut d'ailleurs pour les soulèvements de ces dernières années. Toutes proportions gardées donc, la couverture médiatique reste ce "savant cocktail de clichés (...), d'enthousiasme axiologique (célébration des aspirations démocratiques) et de fascination technologique (la "révolution Facebook" et des blogueurs)" (A. MERCIER, comprendre le traitement médiatique du "printemps arabe" à l'aune de la newsworththiness, dans l'ouvrage sous la direction de Tourya GUAAYBESS, Cadrages journalistiques des "révolutions arabes" dans le monde, L'Harmattan, 2015)."

"Prendre la mesure des soulèvements populaires de 2018-2020 suppose de les appréhender dans leur dynamique, en tension entre choix stratégiques implicites et affirmations radicales, renouvellement de l'action et impensé, potentialités et limites. De les situer au plus près de leur écart avec les manifestations "traditionnelles" mais aussi en fonction et à partir du geste qu'ils inventent et de la nouvelles configuration politique qu'ils créent en retour. IL s'agira en conséquence d'interroger sur un mode critique plutôt que de définir péremptoirement les enjeux et caractéristiques des soulèvements populaires."

  C'est ce que s'efforcent de faire dans des articles qui doivent faire l'objet d'une attention soutenue, les auteurs, répartis comme d'habitude suivant le lieu d'où ils parlent : -

pour la région Asie, SHUDDHABRATA SENGUPTA (Inde : les femmes de Shabeen Bagh au coeur de la contestation), YAFUN SASTRAMIDJAJA (Indonésie : évolution rhizomique d'une nouvelle résistance juvénile)

pour la région du Moyen-Orient, Hajar ALEM et Nicolas DOT-POUILLARD (Liban : la portée et les limites du hirak), Zarah ALI (Irak : le civil et le populaire au coeur de la révolte), Mohammad J. SHAFEI et Ali JAFARI (Iran : révoltes populaires sans lendemain et fragmentation des mouvements)

pour l'Afrique, Entretien avec Louisa DRIS-AÏT HAMADOUCHE (Algérie : le hirak, un soulèvement populaire et pacifique), Magdi EL GIZOULI (Soudan : divisions entre les acteurs du soulèvement de 2019)

pour l'Amérique Latine, Sabine MANIGAT (Haïti : mobilisations antisystème et impasse politique), Luis THIELEMANN HERNANDEZ (Chili : le soulèvement de 2019 au prisme d'un cycle de luttes et de déceptation), Raül ZIBECHI (Amérique Latine : l'année des "peuples en mouvement")

 

Soulèvements populaires, Points de vue du Sud, revue Alternatives Sud, Centre Tricontinental et Éditions Syllepse, 2020, 175 pages

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