Jeremy KUZMAROV, spécialiste de la politique étrangère et de l'histoire contemporaine des États-Unis et John MARCIANO, professeur émérite de la State University of New York à Cortland entendent ici écrire une contre-histoire de la guerre froide, loin de l'hystérisation médiatique des relations Etats-Unis-Russie. Rompant avec une historiographie trop répandue, ils prennent une certaine hauteur pour livrer, comme le sous-titre de leur livre l'indique, une histoire des États-Unis face à la Russie de 1917 à nos jours. S'ils partent de manière générale de la naissance de l'URSS, ils évoquent leurs relations bien avant, aux différentes tentatives des États-Unis de s'accaparer des territoires auparavant sous l'influence russe.
Plutôt qu'une histoire de la guerre froide à la manière de celle d'André FONTAINE, les auteurs préfèrent l'aborder par thème, après un chapitre consacré à "l'hystérie antirusse dans la propagande et dans les faits" en examinant pour commencer des accusations contre la Russie de Vladimir POUTINE, parues dans le New York Times, alléguant en 2016, des menées d'un impérialisme russe. L'historiographie, comme la presse aux États-Unis fourmille de fausses informations, souvent alarmistes, qui opèrent un double effet : l'occultation des véritables opérations américaines et la vision déformée de ce qui se passe en Russie. La propagande russe n'arrange rien, souvent très maladroite. De la chute de l'URSS à aujourd'hui, les deux auteurs estiment rien de moins que les États-Unis ont refusé un consensus bipartite et provoqué la nouvelle guerre froide.
Précisément dans le deuxième chapitre de leur livre qui en compte en tout 6, ils exhument les agissements des Américains à l'origine de la guerre froide, dès la fin des années 1910. Au fil des chapitres - Provoquer la confrontation. Les États-Unis et les origines de la guerre froide (années 1940, Seconde guerre mondiale) - La guerre froide et les coups portés à la démocratie états-unienne (complexe militaro-industriel - Truman, le maccarthysme et la répression intérieure - Une guerre menée contre les pays du Sud : La guerre froide dans le Tiers monde (guerre de Corée, guerre du Vietnam, Rambo Ragan), on assiste à un procès à charge, qui aurait au minimum été plus crédible si l'on avait mis en regard les manoeuvres soviétiques puis russes.
Avec les notes abondantes qui couvrent presque le tiers du livre, le lecteur pourra se faire une meilleure idée des faits et des représentations courantes aux États-Unis. Les auteurs ont au moins le mérite d'éveiller le lecteur sur le gouffre qui sépare les réalités aux justifications de nombreuses entreprises militaires ou civiles, à l'intérieur ou à l'extérieur des administrations successives des États-Unis. Et sur la nature de l'impérialisme américain. Souvent, ces administrations ont agi plus à partir de représentations erronées des intentions et des réalisations soviétiques. Dans le monde soviétique, puis russe, comme dans le monde américain, on continue à agir selon des rumeurs. Et les services de "renseignement", dans l'un et l'autre camp alimentent (ne serait-ce que par la volonté de rendre opaques bien des agissements et des réalités) des paranoïa collectives.
On pourra regretter que les événements commentés fassent surtout partie des décennies 1950-1990, et que les auteurs n'approfondissent pas au-delà. En se centrant complètement sur les États-Unis, ils n'évitent pas le reproche d'avoir élaboré un ouvrage, certes critique, mais à sens unique, le faisant du coup apparaître, à l'inverse de nombreux ouvrages qui renouvellent profondément toute l'historiographie des relations internationales, comme un livre engagé, trop engagé, à la limite d'une certaine propagande.
Restituons l'esprit des auteurs en reproduisant ici une partie de leur conclusion, Éviter une troisième guerre mondiale : "Aujourd'hui comme durant la guerre froide, la campagne de calomnie contre la Russie convient très bien au programme politique de l'élite. Elle est conçue pour détourner l'attention du public de tous nos problèmes nationaux en faisant d'un pays étrangers notre bouc émissaire, suscitant la perspective d'une menace militaire et sécuritaire qui peut servir à mobiliser le soutien public en faveur de budgets et d'interventions militaires accrus. Des stratèges impérialistes comme le défunt Zbigniew Brzezinski ont longtemps soutenu que le contrôle de l'Eurasie et ses riches ressources en pétrole et en gaz était capital pour la domination mondiale. L'histoire de la guerre froide nous montre les terribles conséquences qu'il y a à tenter de diriger le monde par la force, et toute l'arrogance aux coeur de l'affirmation "le monde nous appartient". Nous pensons qu'il est désormais impératif de tirer les leçons de l'histoire que nous avons racontée dans ce livre, et de résister à la propagande nous conduisant à une nouvelle confrontation dangereuse qui menace à la sécurité et la paix mondiales. Nous devons nous éduquer et engager nos concitoyens, particulièrement les jeunes, et développer des programmes alternatifs qui peuvent nous aider à préserver l'avenir de ces derniers, alors que les États-Unis commencent à craquer après toutes ces années de conquêtes impériales. (...)".
/image%2F1416924%2F20210916%2Fob_3cac26_guerres-froides.jpg)
Jeremy KUZMAROV et John MARCIANO, Guerres froides. Les états-Unis face à la Russie de 1917 à nos jours, Éditions critiques, 2020, 310 pages