Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 décembre 2021 3 01 /12 /décembre /2021 16:30

     Stéphane TAILLAT, docteur en histoire militaire et études de défense (université Montpellier III) et chercheur au Centre de recherche des écoles de Coëtquidan, écrit sur les acteurs du processus stratégique, que les études stratégiques sont confrontées au double défi de rendre compte des postures adoptées par eux dans un environnement conflictuel et de déterminer les choix préférables dans un contexte précis. Disons entre parenthèses que cette problématique n'est que peu explorée, et que l'on préfère très souvent raisonner en termes de systèmes stratégiques, suivant le temps et l'espace (voir par exemple le Traité de Stratégie d'Hervé COUTEAU-BÉGARIE).

 

   Notre auteur distingue trois questionnements, sur les variables qui vont orienter les choix et les actions d'une part, sur le processus de prise de décision d'autre part, au sujet des dynamiques pesant sur l'évolution de la stratégie enfin.

- La première problématique renvoie au débat sur l'influence respective des facteurs liés à la structure ou aux caractéristiques des acteurs. La stratégie s'explique t-elle mieux par les contraintes systémiques, culturelles ou matérielles pesant sur les agents, ou par leurs logiques intrinsèques?

- La seconde concerne le choix et l'articulation entre les différents nivaux d'analyse. L'élaboration et la mise en oeuvre d'une stratégie donnée dépendent-elles plutôt de facteurs propres aux régimes politiques, de rivalités bureaucratique, de dynamiques organisationnelles, de relations politico-militaires ou bien encore de la personnalité des décideurs? Comment ces différents niveaux s'articulent-ils?

- La troisième s'intéresse plutôt aux aspects systémiques et probabilistes. Quelle est la part respective des choix d'un acteur ou de son adversaire, quelles dynamiques s'établissent par leur interaction, comme articuler les stratégies avec les conflits dans lesquels elles s'inscrivent, est-il possible d'élaborer des chaînes de causalité pour fonder une stratégie ou l'analyse rétrospective de celle-ci?

   Ces différents débats théoriques ainsi que leurs questionnements, hypothèses et résultats sont étroitement imbriqués. La combinaison des facteurs et des niveaux d'analyse est ainsi potentiellement plus fertile que les approches unidimensionnelles.

L'auteur suit la pensée de CLAUSEWITZ quant à l'articulation des pouvoirs civils et militaires. Le politique prime sur le militaire, mais le politique tient compte, par le jeu des passions et des probabilités, du terrain dans lequel agit le militaire, sans qu'on assiste - normalement - à une inversion de primauté.

C'est l'ampleur de la littérature qui oblige à un traitement successif de ces trois questionnements, dans le contexte toujours d'un conflit armé effectif ou potentiel. Nous suivons-là la logique du raisonnement tel que le présente Stéphane TAILLAT. Il examine successivement la Stratégie et structure du système international, le Processus de prise de décision et la Boite noire de l'État, et enfin la stratégie en tant que dynamique : contrôler les effets de la force.

A noter que le raisonnement de CROZIER concernant les positions de l'acteur dans un système, surtout utilisé en sociologie des organisations, est très peu utilisé pour comprendre le fonctionnement des organisations internationales (comme nous avons tenter de le faire avec l'ONU et la SDN) et encore moins les relations entre organismes nationaux.

  

Stratégie et structure du système international

   La tension entre les explications valorisant les caractéristiques endogènes des acteurs (visibles beaucoup dans les biographies d'"hommes célèbres"...) et celle insistant sur les contraintes extérieures se manifeste dans le débat agent/structure. Loin de la résumer, la focalisation sur la variable systémique en relations internationales en incarne cependant les principaux enjeux. Il s'agit de caractériser, selon toujours Stéphane TAILLAT, et d'expliquer les choix stratégiques en les déduisant de l'environnement des acteurs dans la mesure où celui-ci fonde en partie leurs attentes... La formulation la plus systématique provient des néoréalistes américains qui, à partir de Kenneth WALTZ, insistent sur la structure anarchique du système international et l'indifférenciation des unités politiques comme conditions premières du comportement des États. L'incertitude absolue née de l'état de nature (au sens de HOBBES) dans l'ordre international, en fixant la sécurité comme objectif commun, conditionne leur stratégie ; et non la pluralité de leurs valeurs et de leurs valeurs et de leurs régimes politiques. Si WALT en déduit que la stratégie par défaut est celle de l'équilibre (balancing), chaque État cherchant à contrebalancer la puissance des autres ou à obtenir des gains relatifs, d'autres (tel que Robert GILPIN ou Stéphane WALT) envisagent que des États choisissent au contraire le ralliement à une lus grande puissance (bandwagoning) sous certaines conditions (hégémonie sécurisante ou équilibre des menaces). Dans une formulation plus récente, John MEARSHEIMER déduit de la structure anarchique du système international le postulat que les États cherchent à maximiser leur puissance. Ceux-ci ne feront cependant le choix de la guerre qu'en dernier recours au bénéfice de stratégies indirectes ou d'usure et, confrontés à de potentiels agresseurs, préféreront toujours détourner la menace sur un autre État (buck-passing) plutôt que de contrebalancer cette dernière. De manière générale, ce qui fonde une autre stratégie, celle de l'offshore balancing par laquelle une grande puissance cherche à conserver l'équilibre entre ses rivaux situés sur un tout autre continent en entretenant leurs rivalités.

Cette dernière approche a dû prendre en compte des évolutions internes à la discipline. D'une part, le retour en grâce de l'approche libérale a mis de nouveau en lumière le caractère institutionnel de la structure (internationale, dans laquelle les acteurs ont des marges de manoeuvre plus ou moins importantes - faibles lors de l'hégémonie américaine pendant la guerre froide). L'irruption du constructivisme, d'autre part, contribue à faire prendre conscience que la structure résulte aussi des intérêts, des interactions et donc, des stratégies des acteurs. Une lecture relationnelle, intersubjective et plus conceptuelle de l'environnement politique international souligne aussi le rôle des identités et des relations d'autorité dans la délimitation des options et la prise de décision stratégique. L'étude des différentes décisions montre la part toujours importante prise par les différentes "boites noires" des États, même si les jeux à l'intérieur des organisations internationales les obligent à des positions de compromis, de collaboration. Faute de quoi, dans ces instances d'où peuvent partir quantité de forces et d'actions (de part leur poids), ces relations peuvent vite virer au conflit. Les différentes instances ont tendance, une fois fixé un objectif, à procéder par élimination des différentes options qui s'offrent à elles, sous la pression précisément des autres acteurs dans les mêmes instances internationales. Si leurs décisions sont constituées d'éléments bureaucratiques suivant une chaîne (quasi de commandement), suivant des intérêts qui se manifestent de bout en bout, maints responsables politiques tentent de contrôler des effets de la force déployée, et ce, de plus en plus. On l'a vu lors du déploiement des efforts, qu'ils soient civils ou militaires, dans les zones d'opérations visant à combattre les forces dites terroristes dans tout le Moyen-Orient, pris dans un sens large, depuis les attentats du 11 septembre 2001 jusqu'à aujourd'hui.

Comme l'écrit Stéphane TAILLAT, "l'analyse des acteurs et des processus stratégiques se trouve en première ligne des changements épistémologiques contemporains. le plus important d'entre eux est la prise de conscience de la prédominance de la corrélation sur la causalité. Alors que les sciences sociales et que la science politique se trouvent  modifiées dans leur rapport à la connaissance par la croissance exponentielle des données à traiter, les études stratégiques doivent nécessairement se tourner vers les probabilités si elles espèrent garder leur double aspect scientifique et prescriptif. Une seconde évolution est la réaffirmation de la primauté des conditions politiques comme moteur principal de la prise de décision et de la mise en oeuvre stratégiques. La tendance qui s'en dégage pour les stratégies contemporaines est le mise en lumière des difficultés du contrôle politique de la force et de ses effets. Toutefois, les obstacles à l'exécution d'une stratégie ne doivent pas être confondues avec le rejet de sa logique propre, ironique et paradoxale certes, mais également fondée sur des principes précis. En ce sens, la lecture et l'usage heuristique de la pensée de Clausewitz restent plus que jamais le point de départ pour envisager l'étude des guerres et l'analyse des stratégies. Enfin, la recherche actuelle trouve ses limites dans sa focalisation presque exclusive sur les États-Unis (ou les États occidentaux) comme sur l'analyse des entités étatiques."

 

Stéphane TAILLAT, Les acteurs du processus stratégique, dans Guerre et stratégie, Approches, concepts, PUF, 2015.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LE CONFLIT
  • : Approches du conflit : philosophie, religion, psychologie, sociologie, arts, défense, anthropologie, économie, politique, sciences politiques, sciences naturelles, géopolitique, droit, biologie
  • Contact

Recherche

Liens