23 mai 2008
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Dans sa préface, l'auteur, actuel directeur de recherches à l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED), circonscrit d'emblée son sujet surtout à la violence criminelle. Située en Occident, de 1800 à nos jours, cette violence criminelle a de multiples aspects, dont la perception de l'insécurité de l'opinion publique.
Ce paradoxe, la montée du sentiment de l'insécurité au moment où en Occident l'insécurité réelle diminue jusqu'à devenir presque insignifiante par rapport aux violences qui subsistent en Afrique, en Amérique Latine, en Asie, est alimenté par la logique du pouvoir, l'obsession électoraliste de certains milieux politiques. Le rôle des médias est mis en exergue dès l'introduction, cette orchestration quasi-permanente des faits divers, à l'impact social démesuré. "Le mot violence est arrivé à désigner un peu n'importe quoi, tout heurt, toute tension, tout rapport de force, toute inégalité, toute hiérarchie".
Jean-Claude CHESNAIS constate : "L'homme paie sa plus grande sécurité objective par une plus grande insécurité subjective, un sentiment d'enfermement, de "violence", d'écrasement de sa liberté". Alors que "la vraie violence, la violence barbare - celle qui meurtrit les corps et sème la mort - est ailleurs".
Jean-Claude CHESNAIS constate : "L'homme paie sa plus grande sécurité objective par une plus grande insécurité subjective, un sentiment d'enfermement, de "violence", d'écrasement de sa liberté". Alors que "la vraie violence, la violence barbare - celle qui meurtrit les corps et sème la mort - est ailleurs".
Cette constatation, Jean-Claude CHESNAIS l'étaye à travers de nombreux exemples et de nombreuses statistiques, en deux grandes parties, la violence privée et la violence collective.
Dans la violence privée, il regroupe la violence criminelle (mortelle, corporelle, sexuelle) et la violence "non-criminelle" (suicide, accident).
Sur le suicide, auquel l'auteur consacre une centaine de pages (thème de prédilection pour de nombreux sociologues), on remarquera le passage sur les "malheurs de Paris" où il est fait référence à la période étudiée par Louis CHEVALIER dans "Classes laborieuses, classes dangereuses". La misère ouvrière, beaucoup évoquée par la presse d'époque (première moitié du XIXème siècle), n'a pas provoqué de manière certaine "la plus grande tendance des jeunes ouvriers à verser dans la folie". "L'opinion est encore plus répandue, touchant la fréquence des suicides parmi les prolétaires : les suicides d'ouvriers sont un thème constant des descriptions de la population de Paris. Mais, cette fois, la démonstration est aisée. C'est que, vers le milieu du XIXème siècle, Paris connaît une avalanche de suicides, au moment même où la ville absorbe des flots d'immigrants ruraux, aussitôt condamnés, par leur nombre, à l'entassement et à la misère. Il n'est pas invraisemblable d'attribuer, en première analyse, une telle multiplication des suicides à ce surpeuplement anarchique, inhumain et au choc psychologique qu'il provoque, chez de jeunes campagnards brutalement coupés de leurs racines. L'augmentation des suicides de prolétaires peut bien, en effet, être la cause de l'augmentation générale des suicides à Paris". "Que ce soit en France ou à l'étranger, trois groupes paient un lourd tribut au suicide : les miséreux, les travailleurs indépendants non agricoles, les gens "instables" (...). En France, ils se tuent trois à quatre fois plus que les membres des professions libérales, quinze à vingt fois plus que les commerçants. Leur nombre ne fait que s'accroître : entre 1830 et 1848, la ville de Paris s'est enflée de 250 000 habitants supplémentaires." "La classe ouvrière se suicide massivement ; elle souffre plus qu'elle ne fait souffrir (...). C'est elle qui paie le plus lourd tribut à la révolution industrielle et urbaine. Le discours sur les classes dangereuses est trompeur, (...) la capitale de la France n'est pas, en réalité, plus "dangereuse" que le reste du territoire national (...)".
Dans la violence privée, il regroupe la violence criminelle (mortelle, corporelle, sexuelle) et la violence "non-criminelle" (suicide, accident).
Sur le suicide, auquel l'auteur consacre une centaine de pages (thème de prédilection pour de nombreux sociologues), on remarquera le passage sur les "malheurs de Paris" où il est fait référence à la période étudiée par Louis CHEVALIER dans "Classes laborieuses, classes dangereuses". La misère ouvrière, beaucoup évoquée par la presse d'époque (première moitié du XIXème siècle), n'a pas provoqué de manière certaine "la plus grande tendance des jeunes ouvriers à verser dans la folie". "L'opinion est encore plus répandue, touchant la fréquence des suicides parmi les prolétaires : les suicides d'ouvriers sont un thème constant des descriptions de la population de Paris. Mais, cette fois, la démonstration est aisée. C'est que, vers le milieu du XIXème siècle, Paris connaît une avalanche de suicides, au moment même où la ville absorbe des flots d'immigrants ruraux, aussitôt condamnés, par leur nombre, à l'entassement et à la misère. Il n'est pas invraisemblable d'attribuer, en première analyse, une telle multiplication des suicides à ce surpeuplement anarchique, inhumain et au choc psychologique qu'il provoque, chez de jeunes campagnards brutalement coupés de leurs racines. L'augmentation des suicides de prolétaires peut bien, en effet, être la cause de l'augmentation générale des suicides à Paris". "Que ce soit en France ou à l'étranger, trois groupes paient un lourd tribut au suicide : les miséreux, les travailleurs indépendants non agricoles, les gens "instables" (...). En France, ils se tuent trois à quatre fois plus que les membres des professions libérales, quinze à vingt fois plus que les commerçants. Leur nombre ne fait que s'accroître : entre 1830 et 1848, la ville de Paris s'est enflée de 250 000 habitants supplémentaires." "La classe ouvrière se suicide massivement ; elle souffre plus qu'elle ne fait souffrir (...). C'est elle qui paie le plus lourd tribut à la révolution industrielle et urbaine. Le discours sur les classes dangereuses est trompeur, (...) la capitale de la France n'est pas, en réalité, plus "dangereuse" que le reste du territoire national (...)".
Jean-Claude CHENAIS souligne, avec tous les criminologues, que "la violence dont les prolétaires sont capables est le plus souvent tournée contre les membres de leur entourage direct (...) : les crimes de sang sont, en majorité, perpétrés entre soi ; elle ne vise donc guère les bourgeois (en tant qu'individus). Ce qui, à vrai dire, effraie les classes bourgeoises est l'apparente liberté sexuelle dont font preuve ces jeunes campagnards. A cette époque, un bon tiers des naissances sont illégitimes. C'est une existence sauvage, à la fois enviée et détestée, qui choque les citadins et fait oublier la véritable situation morale de la classe ouvrière..."
A noter aussi le chapitre consacré à la violence aléatoire, entendre par là l'hécatombe routière, cette litanie ennuyeuse et monotone (90 morts pour 100 000 voitures en 1976!)
Dans la violence collective, il place la violence des citoyens contre le pouvoir (terrorisme, grèves et révolutions), la violence du pouvoir contre les citoyens (terrorisme d'Etat, violence industrielle) et la violence paroxystique qu'est la guerre.
Pour Jean-Claude CHESNAIS, la violence primitive échappe à l'analyse marxiste (la lutte des classes à ressort économique) comme à DUHRING pour qui les luttes sociales ne s'expliquent que par un instinct universel d'agression. A leurs explications qu'il juge limitées, l'auteur n'apporte pas grand chose, même s'il s'essaie à suivre l'évolution des conflits sociaux de la société féodale aux guerres mondiales.
A noter aussi le chapitre consacré à la violence aléatoire, entendre par là l'hécatombe routière, cette litanie ennuyeuse et monotone (90 morts pour 100 000 voitures en 1976!)
Dans la violence collective, il place la violence des citoyens contre le pouvoir (terrorisme, grèves et révolutions), la violence du pouvoir contre les citoyens (terrorisme d'Etat, violence industrielle) et la violence paroxystique qu'est la guerre.
Pour Jean-Claude CHESNAIS, la violence primitive échappe à l'analyse marxiste (la lutte des classes à ressort économique) comme à DUHRING pour qui les luttes sociales ne s'expliquent que par un instinct universel d'agression. A leurs explications qu'il juge limitées, l'auteur n'apporte pas grand chose, même s'il s'essaie à suivre l'évolution des conflits sociaux de la société féodale aux guerres mondiales.
Il est nettement plus à l'aise lorsqu'il écrit sur le mythe et les réalités des violences dans la troisième partie de son livre.
La violence industrielle est bien mise en scène : "Le travail a, de tout temps, présenté des risques de mort plus ou moins considérables. Dans l'humanité primitive, chasseurs, pêcheurs, cueilleurs ne retiraient leur subsistance qu'au péril de leur vie. Succédant à l'époque de la petite entreprise agricole ou artisanale qui n'avait d'autre ambition que l'autosubsistance, la révolution industrielle bouleverse la signification du travail, qu'elle subordonne désormais à des objectifs de productivité ou de profit. Elle marque l'entrée dans l'ère des grands sacrifices au productivisme. Le coût humain de l'essor industriel est colossal. Ce sont des millions d'hommes qui sont arrachés à leur milieu d'origine ; des milliers qui sont blessés ou meurent dans les mines, dans les fabriques ou les usines. Cette violence-là, qu'aucune loi n'interdit, n'est pas sans lien avec la violence criminelle, que la loi sanctionne. Elle brise les corps et les énergies, elle avilit et abêtit les hommes. Elle les pousse au désespoir et à l'alcoolisme. Mais en même temps l'oppression conduit, tôt ou tard, à la révolte, brutale, sanglante : le XIXème siècle sera le siècle des grandes émeutes urbaines."
La violence industrielle est bien mise en scène : "Le travail a, de tout temps, présenté des risques de mort plus ou moins considérables. Dans l'humanité primitive, chasseurs, pêcheurs, cueilleurs ne retiraient leur subsistance qu'au péril de leur vie. Succédant à l'époque de la petite entreprise agricole ou artisanale qui n'avait d'autre ambition que l'autosubsistance, la révolution industrielle bouleverse la signification du travail, qu'elle subordonne désormais à des objectifs de productivité ou de profit. Elle marque l'entrée dans l'ère des grands sacrifices au productivisme. Le coût humain de l'essor industriel est colossal. Ce sont des millions d'hommes qui sont arrachés à leur milieu d'origine ; des milliers qui sont blessés ou meurent dans les mines, dans les fabriques ou les usines. Cette violence-là, qu'aucune loi n'interdit, n'est pas sans lien avec la violence criminelle, que la loi sanctionne. Elle brise les corps et les énergies, elle avilit et abêtit les hommes. Elle les pousse au désespoir et à l'alcoolisme. Mais en même temps l'oppression conduit, tôt ou tard, à la révolte, brutale, sanglante : le XIXème siècle sera le siècle des grandes émeutes urbaines."
L'auteur, par ailleurs, met en évidence "quelques vérité élémentaires" : "Contrairement à ce que prétendent de nombreux sociologues peu familiers avec la statistique criminelle, il existe des moyens sérieux d'apprécier l'évolution de la violence. Les principaux pays européens disposent de données chiffrées (...) fiables, depuis plus d'un siècle. (...). Ne nous lassons pas de le répéter : la violence mortelle a partout en Europe considérablement régressé. En Italie, terre classique du banditisme, le taux d'homocidité est aujourd'hui cinq fois moindre qu'à la fin du XIXème siècle. En Angleterre et en Allemagne, deux fois. En France, où l'appareil d'Etat est en place depuis des siècles, le recul, en longue période, de l'homicide a eu lieu beaucoup plus tôt ; entre 1830 et 1980, la violence mortelle est restée, en dehors des périodes de guerre, à peu près constante. Ces constatations ont valeur générale : désormais très faibles, ils (les morts par homicide) sont du même ordre que la mortalité par incendie, et cinq à dix fois moins fréquents que les accidents domestiques. Cette mortalité-là est aussi évitable, mais qui songerait à mener une campagne tapageuse sur ces morts domestiques, si discrètes?"
Jean-Claude CHESNAIS ne cesse donc dans tout son ouvrage de demander que l'on revienne aux réalités, au-delà des impératifs du "marché de la peur" et c'est salutaire. Il termine d'ailleurs sur un appel à la solidarité contre les "lobbies militaires" qui, à l'époque (en 1981) menaçaient toujours de plonger le monde dans une violence définitive.
Une annexe riche donne des tableaux (taux d'homicidité, pays développé, 1970-1980...), des petits textes d'analyses (la torture dans le monde industriel...) qui complètent bien son propos.
Une annexe riche donne des tableaux (taux d'homicidité, pays développé, 1970-1980...), des petits textes d'analyses (la torture dans le monde industriel...) qui complètent bien son propos.

Jean-Claude CHESNAIS, Histoire de la violence en Occident de 1800 à nos jours, Robert Laffont, collection Pluriel, 1981, 497 pages. Il s'agit de l'édition revue et augmentée du livre paru en 1979 (date à vérifier).
SOCIUS
Relu le 16 juin 2020