24 juin 2008
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Du côté des religions monothéistes (Islam, Chrétienté, Judaïsme), les choses changent quant au conflit car non seulement une vision du monde entre Bien et Mal est souvent introduite, mais le conflit entre les puissances d'en haut impliquent plus intimement les hommes jusqu'à les éclipser en faveur des relations humaines, et surtout l'eschatologie est au coeur de leur révélation : la lutte, la mort et la résurrection personnelle est étroitement liée à une morale.
Pour le Judaïsme, le monde né dans la violence est entaché par le péché originel. Dès la Genèse (4, 1-16), un conflit entre frères se termine par un meurtre. Tout au long du texte de la Bible se retrouve cette faute d'un peuple sans cesse rappelé à l'ordre par un Dieu unique, jaloux et coléreux. Face aux autres peuples, le peuple de Dieu se voit offrir une Alliance par ce Dieu unique, en échange de son Obéissance exclusive à ses Lois. La tradition talmudique et l'exégèse juive médiévale, qui atténue la violence des textes bibliques, passent au crible d'une interprétation modératrice les motivations, l'application et la finalité de ces Lois. Même si la misère, la violence et la mort dans le monde ne peut venir que de l'homme lui-même, la prise de conscience de cette responsabilité constitue la voie privilégiée pour reconnaître Dieu, qui est justice.
La tradition juive s'efforce de trouver cette voie en élaborant un ensemble jurdidique complexe qui mène le peuple juif vers la justice du Seigneur, remplissant ainsi les conditions de l'Alliance. Ce peuple balloté par les évènements, les cataclysmes naturels, les multiples invasions étrangères, ce peuple déporté, opprimé, exilé, persécuté au long des siècles par les autres peuples, il trouve son salut dans l'accomplissement de cette Alliance. Non dans l'établissement d'un royaume terrestre - courte expérience d'une gloire des armées - mais dans la découverte d'une Terre Promise gagnée par l'observation aux Lois.
Les Dix Commandements préservent le peuple juif des travers des autres peuples, de l'idolâtrie de plusieurs dieux, de la luxure et du meurtre, et par là, donnent une vision négative du conflit, porteur de tant de malheurs. Les textes bibliques fourmillent à chaque étape de l'histoire de mises en garde sur la haine du frère contre le frère, du père contre le fils, de la mère contre la fille...
Mais la responsabilité du mal n'incombe pas au peuple juif. "La perspective biblique affirme sans ambiguïté possible la responsabilité divine dans l'existence du bien et du mal. (...) A la différence du dualisme perse qui estime que le bien et le mal proviennent de sources différentes, la Bible affirme que le mal fait partie de la structure de la création divine. (...) Le mal, comme tout ce qui est fait par le Créateur, a une fin qui fait partie du projet de Dieu. (...) En même temps, la Bible reconnaît la difficulté de l'homme à comprendre l'existence du mal, et lui permet de s'exprimer pour protester contre la souffrance, la douleur et l'injustice dans le monde". "A la question de savoir pourquoi le mal frappe le juste et pourquoi les méchants reçoivent le bien, les sages proposent plusieurs réponses. La première est que les justes sont punis pour les péchés de leurs pères, alors que les méchants prospèrent grâce aux mérites de leurs pères. (...) Le Talmud met en cause cette réponse et en suggère une autre : lorsque le mal frappe le juste, c'est parce qu'il n'est pas complètement juste ; et quand le méchant bénéficie du bien, c'est qu'il n'est pas complètement méchant. Contrairement à la Bible qui ne connaît pas la notion de récompense dans le monde à venir, les sages l'utilisent pour répondre au problème de l'absence de justice dans ce monde. La souffrance qui est le lot des justes et le bien dont jouissent les méchants ne sont qu'une infime partie de la véritable sanction de leurs actions. L'essentiel de cette sanction n'étant dispensé à l'homme que dans le monde à venir." (Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme)
Même si par la suite, les exégèses, comme celle de MAÏMONIDE, dans le "Guide des égarés" entre autres, tentent de donner au mal également une responsabilité humaine pour ne pas en faire strictement un projet divin, on voit que le conflit n'est pas évoqué comme étant un problème relié à une cause autre que le tréfonds de l'âme humaine.
On est très loin d'une condamnation des puissants qui abusent de leur puissance et des riches qui abusent de leur richesse. C'est l'avènement d'un monde à venir qui permettra de résoudre le problème de la souffrance du juste, opposée à la prospérité du méchant.
"Résultantes des interrogations soulevées par la récompense et le châtiment, celles posées par la notion de Résurrection inquiétaient les rabbins. Certains pensaient que cette Résurrection ne serait accordée qu'aux hommes vertueux tandis que d'autres affirmaient que les ultimes rétributions ou châtiments ne pourraient s'adresser qu'à ceux pourvus d'un corps et d'une âme (...) D'autres ne prêtaient à ces enseignements qu'une valeur purement symbolique".(Ibid)
Le christianisme reprend cette perspective en y apportant des nuances de taille. Dans la prédication de Jésus relatée dans les Évangiles, l'accent est mis à maintes reprises sur l'éthique en ce monde. Pas seulement l'observance des Lois tel que l'enseigne le Judaïsme dont il est issu, mais aussi le primat de l'amour du prochain.
"Le Commandement de l'amour de Dieu est le plus grand et le premier, mais Jésus lui associe immédiatement, comme son semblable, le commandement de l'amour du prochain. En rappelant que l'amour est l'essentiel de la loi - dans un contexte où on tente de le mettre à l'épreuve - Jésus montre que sa doctrine ne se veut pas originale ; mais il insiste sur l'actualisation, dans le coeur et dans la pratique, du sens déjà bien connu de "loi".
Ce recentrage de la loi sur l'amour entraîne des déplacements dans l'ordre des priorités éthiques. L'amour envers Dieu n'a de sens que s'il se traduit dans l'amour du prochain, qui est la pierre de touche de la justice. Ce n'est pas par le respect des préceptes cérémoniaux et cultuels qu'on honore Dieu, mais par le secours apporté à l'homme dans le besoin. L'homme sera jugé sur son amour pour son prochain, et surtout pour le plus petit. L'amour et les oeuvres de miséricorde qu'il suscite s'adressent à l'homme le plus démuni, le pauvre, le prisonnier, le malade et l'étranger. Le pardon doit aussi toucher ceux dont la conduite est jugée répréhensible : les publicains et les pêcheurs. Les grandes paraboles de la miséricorde montrent la gratuité du don et la joie qui l'accompagne. " (Dictionnaire Critique de Théologie)
D'un autre côté, AUGUSTIN radicalise l'opposition entre l'amour de soi et l'amour de Dieu dans "La Cité de Dieu".
A propos du conflit, la conception de la justice du christianisme, qui étend même la nécessité du pardon aux ennemis, trouve son illustration fondamentale dans le Sermon de la Montagne. Jésus introduit lui-même si l'on peut dire les commentaires séculaires postérieurs sur l'ordre du monde. De ces commentaires sortiront des conceptions plus ou moins radicales de la justice sociale, et partant des perceptions des conflits qui ne sont plus vus sous un aspect négatif comme auparavant. Le conflit, ou plutôt le cortège des malheurs qui l'accompagnent, est de moins en moins perçu comme un projet divin, et de plus en plus comme l'expression du comportement des individus et des groupes sociaux vis-à-vis des plus exposés aux malheurs terrestres. Le problème du mal se déplace d'un projet divin à la responsabilité des actes humains, et le processus de sécularisation ira de plus en plus loin dans ce sens. Le péché est devenu le problème de l'attitude de l'homme envers son prochain.
"La théologie politique en Europe et la théologie de libération (...) ont volontiers recours au concept de péché structurel. Ce péché se situerait à peu près à mi-chemin entre les actes mauvais individuels et l'état général de l'humanité : nous sommes moralement et spirituellement prisonniers d'injustices spécifiques, inhérentes à la manière dont le pouvoir et la liberté économique sont répartis dans la société et l'oeuvre du salut suppose le refus de cet état des choses, et l'injonction d'avoir à le transformer." (Ibid)
L'Islam, qui se conçoit lui-même comme la réorientation des révélations judaïque et chrétienne, fait de l'ordre surnaturel la même chose que l'ordre naturel sur Terre.
"Alors que dans la Bible le concept de création absolue est tardif, comme le monothéisme rigoureux qui en découle, et que l'histoire y joue un rôle référentiel plus déterminant que l'origine et l'eschatologie, et que l'élection y prend bientôt la forme de messianisme, le Coran privilégie la référence absolue, indépassable et universelle de création. C'est même parce que rien ne saurait s'opposer au signe de Dieu dans la création que la faute originelle n'y déploie que des conséquences secondaires de rivalité entre les hommes. Le signe de création, le caractère absolu de l'action créatrice et ses répercussions sur la conception de la transcendance divine n'y rencontrent point les atténuations de l'incarnation rédemptrice. (...)" (Michel DOUSSE, Dieu en Guerre).
L'autonomie humaine est donc moins affirmée en terre d'Islam. De toute façon "si tous les êtres sont marqués par le péché, c'est que celui-ci est le principal moteur d'une dynamique qui ne cesse d'éloigner ou de rapprocher l'homme de Dieu" "Les malheurs de l'homme sont donc la conséquence directe de ses péchés, bien que sur cette terre Dieu lui accorde une grande latitude. (...) En somme, l'existence terrestre est le lieu où l'homme accomplit un certain nombre d'actes qui sont mis à son actif ou à son passif dans le livre de ses oeuvres et dont il devra rendre compte devant Dieu". (Dictionnaire du Coran). Dans l'étroitesse du déterminisme de la création, la créature n'a que peu de possibilités d'agir, mais elle doit se conformer aux lois de Dieu pour trouver son salut personnel.
Ordonner le bien et interdire le Mal est un impératif inscrit dans le Coran qui a été beaucoup discuté. Ainsi AL-GHAZALI et beaucoup de commentateurs ont atténué et précisé cette disposition, qui peut mener à des actions extrêmes. "L'ordre coranique d'ordonner le bien et d'interdire le mal a été rangé dans la catégorie des devoirs communautaires et non comme un devoir incombant personnellement à tout musulman : si certains musulmans s'y conforment de telle manière que sa finalité s'en trouve réalisée, le reste de la communauté n'est plus concerné par cet impératif. De rares savants l'ont franchement vidé de toute substance alors que d'autres, aussi peu nombreux, ont en revanche défendu la thèse qu'il s'agissait là d'une obligation pour tout musulman" (Ibid). La question du mandat politique pour de telles actions est évidemment posée, pour qui et pour quoi faire en priorité. La légistation coranique s'efforce d'y répondre et de multiples écoles - à l'image de ce qui s'est passé pour les deux autres religions monothéistes - y ont répondu de manières "multiples".
La notion de jihad traverse tout le Coran et bien plus que dans la Bible et les textes chrétiens, c'est la question de la défense de la Croyance qui est mise en avant comme devoir du Croyant. L'aspect militaire et guerrier de cette défense, né dans les circonstances mêmes de la fondation de l'Islam n'a jamais supplanté le "grand jihad", c'est-à-dire la lutte contre le mal en soi-même. On y trouve d'ailleurs là le fondement de la Communauté (Umma) "Pas de fraternité sauf entre musulmans" : "L'Islam a considéré la supériorité de la communauté des croyants comme leur premier sentiment unificateur : ils sont pour signe distinctif à la fois l'élection divine et le discernement entre la croyance et l'infidélité, le bien et le mal. De l'invincible affirmation, de l'unicité divine dérive le sens très ardent que possède le musulman de l'unité qu'il forme avec ses frères dans la même foi. La Umma est le peuple de Mahomet, la nation pour laquelle, selon le Hadith (le récit coranique), il intercède, et qui entend garantir à chacun de ses membres les conditions optimales de vie et, s'il est croyant sincère, la rétribution dans l'au-delà. (...) (Le Livre) guide la umma et la protège de l'erreur du fait de l'accord unanime des croyants autour de lui (...) (Il contient) les Droit de Dieu, telle l'obligation du combat. (...) Puis un certain nombre de prescriptions destinées à renforcer la communauté de vie, telle la répression de la délinquance, du crime ou de la fornication, et la réparation des dommages causés par les transgressions".(Ibid)
Une communauté aussi centrée, avec sa pratique religieuse minutieuse, sur la défense de la Communauté ne fait pas, on s'en doute, beaucoup de cas du conflit entre membres de cette communauté. La rigueur du droit islamique enferme suffisamment le Croyant dans un réseau d'obligations et d'interdits - qui est aussi un réseau de solidarités - pour que la contestation de l'ordre établi ne soit pas courante... Bien que la faute originelle ne soit pas invoquée aussi vigoureusement qu'ailleurs pour fonder l'ordre social, le fait même d'identifier l'univers surnaturel à celui-ci, suffit à concevoir le conflit interne comme négation de cet ordre.
RELIGIUS
Pour le Judaïsme, le monde né dans la violence est entaché par le péché originel. Dès la Genèse (4, 1-16), un conflit entre frères se termine par un meurtre. Tout au long du texte de la Bible se retrouve cette faute d'un peuple sans cesse rappelé à l'ordre par un Dieu unique, jaloux et coléreux. Face aux autres peuples, le peuple de Dieu se voit offrir une Alliance par ce Dieu unique, en échange de son Obéissance exclusive à ses Lois. La tradition talmudique et l'exégèse juive médiévale, qui atténue la violence des textes bibliques, passent au crible d'une interprétation modératrice les motivations, l'application et la finalité de ces Lois. Même si la misère, la violence et la mort dans le monde ne peut venir que de l'homme lui-même, la prise de conscience de cette responsabilité constitue la voie privilégiée pour reconnaître Dieu, qui est justice.
La tradition juive s'efforce de trouver cette voie en élaborant un ensemble jurdidique complexe qui mène le peuple juif vers la justice du Seigneur, remplissant ainsi les conditions de l'Alliance. Ce peuple balloté par les évènements, les cataclysmes naturels, les multiples invasions étrangères, ce peuple déporté, opprimé, exilé, persécuté au long des siècles par les autres peuples, il trouve son salut dans l'accomplissement de cette Alliance. Non dans l'établissement d'un royaume terrestre - courte expérience d'une gloire des armées - mais dans la découverte d'une Terre Promise gagnée par l'observation aux Lois.
Les Dix Commandements préservent le peuple juif des travers des autres peuples, de l'idolâtrie de plusieurs dieux, de la luxure et du meurtre, et par là, donnent une vision négative du conflit, porteur de tant de malheurs. Les textes bibliques fourmillent à chaque étape de l'histoire de mises en garde sur la haine du frère contre le frère, du père contre le fils, de la mère contre la fille...
Mais la responsabilité du mal n'incombe pas au peuple juif. "La perspective biblique affirme sans ambiguïté possible la responsabilité divine dans l'existence du bien et du mal. (...) A la différence du dualisme perse qui estime que le bien et le mal proviennent de sources différentes, la Bible affirme que le mal fait partie de la structure de la création divine. (...) Le mal, comme tout ce qui est fait par le Créateur, a une fin qui fait partie du projet de Dieu. (...) En même temps, la Bible reconnaît la difficulté de l'homme à comprendre l'existence du mal, et lui permet de s'exprimer pour protester contre la souffrance, la douleur et l'injustice dans le monde". "A la question de savoir pourquoi le mal frappe le juste et pourquoi les méchants reçoivent le bien, les sages proposent plusieurs réponses. La première est que les justes sont punis pour les péchés de leurs pères, alors que les méchants prospèrent grâce aux mérites de leurs pères. (...) Le Talmud met en cause cette réponse et en suggère une autre : lorsque le mal frappe le juste, c'est parce qu'il n'est pas complètement juste ; et quand le méchant bénéficie du bien, c'est qu'il n'est pas complètement méchant. Contrairement à la Bible qui ne connaît pas la notion de récompense dans le monde à venir, les sages l'utilisent pour répondre au problème de l'absence de justice dans ce monde. La souffrance qui est le lot des justes et le bien dont jouissent les méchants ne sont qu'une infime partie de la véritable sanction de leurs actions. L'essentiel de cette sanction n'étant dispensé à l'homme que dans le monde à venir." (Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme)
Même si par la suite, les exégèses, comme celle de MAÏMONIDE, dans le "Guide des égarés" entre autres, tentent de donner au mal également une responsabilité humaine pour ne pas en faire strictement un projet divin, on voit que le conflit n'est pas évoqué comme étant un problème relié à une cause autre que le tréfonds de l'âme humaine.
On est très loin d'une condamnation des puissants qui abusent de leur puissance et des riches qui abusent de leur richesse. C'est l'avènement d'un monde à venir qui permettra de résoudre le problème de la souffrance du juste, opposée à la prospérité du méchant.
"Résultantes des interrogations soulevées par la récompense et le châtiment, celles posées par la notion de Résurrection inquiétaient les rabbins. Certains pensaient que cette Résurrection ne serait accordée qu'aux hommes vertueux tandis que d'autres affirmaient que les ultimes rétributions ou châtiments ne pourraient s'adresser qu'à ceux pourvus d'un corps et d'une âme (...) D'autres ne prêtaient à ces enseignements qu'une valeur purement symbolique".(Ibid)
Le christianisme reprend cette perspective en y apportant des nuances de taille. Dans la prédication de Jésus relatée dans les Évangiles, l'accent est mis à maintes reprises sur l'éthique en ce monde. Pas seulement l'observance des Lois tel que l'enseigne le Judaïsme dont il est issu, mais aussi le primat de l'amour du prochain.
"Le Commandement de l'amour de Dieu est le plus grand et le premier, mais Jésus lui associe immédiatement, comme son semblable, le commandement de l'amour du prochain. En rappelant que l'amour est l'essentiel de la loi - dans un contexte où on tente de le mettre à l'épreuve - Jésus montre que sa doctrine ne se veut pas originale ; mais il insiste sur l'actualisation, dans le coeur et dans la pratique, du sens déjà bien connu de "loi".
Ce recentrage de la loi sur l'amour entraîne des déplacements dans l'ordre des priorités éthiques. L'amour envers Dieu n'a de sens que s'il se traduit dans l'amour du prochain, qui est la pierre de touche de la justice. Ce n'est pas par le respect des préceptes cérémoniaux et cultuels qu'on honore Dieu, mais par le secours apporté à l'homme dans le besoin. L'homme sera jugé sur son amour pour son prochain, et surtout pour le plus petit. L'amour et les oeuvres de miséricorde qu'il suscite s'adressent à l'homme le plus démuni, le pauvre, le prisonnier, le malade et l'étranger. Le pardon doit aussi toucher ceux dont la conduite est jugée répréhensible : les publicains et les pêcheurs. Les grandes paraboles de la miséricorde montrent la gratuité du don et la joie qui l'accompagne. " (Dictionnaire Critique de Théologie)
D'un autre côté, AUGUSTIN radicalise l'opposition entre l'amour de soi et l'amour de Dieu dans "La Cité de Dieu".
A propos du conflit, la conception de la justice du christianisme, qui étend même la nécessité du pardon aux ennemis, trouve son illustration fondamentale dans le Sermon de la Montagne. Jésus introduit lui-même si l'on peut dire les commentaires séculaires postérieurs sur l'ordre du monde. De ces commentaires sortiront des conceptions plus ou moins radicales de la justice sociale, et partant des perceptions des conflits qui ne sont plus vus sous un aspect négatif comme auparavant. Le conflit, ou plutôt le cortège des malheurs qui l'accompagnent, est de moins en moins perçu comme un projet divin, et de plus en plus comme l'expression du comportement des individus et des groupes sociaux vis-à-vis des plus exposés aux malheurs terrestres. Le problème du mal se déplace d'un projet divin à la responsabilité des actes humains, et le processus de sécularisation ira de plus en plus loin dans ce sens. Le péché est devenu le problème de l'attitude de l'homme envers son prochain.
"La théologie politique en Europe et la théologie de libération (...) ont volontiers recours au concept de péché structurel. Ce péché se situerait à peu près à mi-chemin entre les actes mauvais individuels et l'état général de l'humanité : nous sommes moralement et spirituellement prisonniers d'injustices spécifiques, inhérentes à la manière dont le pouvoir et la liberté économique sont répartis dans la société et l'oeuvre du salut suppose le refus de cet état des choses, et l'injonction d'avoir à le transformer." (Ibid)
L'Islam, qui se conçoit lui-même comme la réorientation des révélations judaïque et chrétienne, fait de l'ordre surnaturel la même chose que l'ordre naturel sur Terre.
"Alors que dans la Bible le concept de création absolue est tardif, comme le monothéisme rigoureux qui en découle, et que l'histoire y joue un rôle référentiel plus déterminant que l'origine et l'eschatologie, et que l'élection y prend bientôt la forme de messianisme, le Coran privilégie la référence absolue, indépassable et universelle de création. C'est même parce que rien ne saurait s'opposer au signe de Dieu dans la création que la faute originelle n'y déploie que des conséquences secondaires de rivalité entre les hommes. Le signe de création, le caractère absolu de l'action créatrice et ses répercussions sur la conception de la transcendance divine n'y rencontrent point les atténuations de l'incarnation rédemptrice. (...)" (Michel DOUSSE, Dieu en Guerre).
L'autonomie humaine est donc moins affirmée en terre d'Islam. De toute façon "si tous les êtres sont marqués par le péché, c'est que celui-ci est le principal moteur d'une dynamique qui ne cesse d'éloigner ou de rapprocher l'homme de Dieu" "Les malheurs de l'homme sont donc la conséquence directe de ses péchés, bien que sur cette terre Dieu lui accorde une grande latitude. (...) En somme, l'existence terrestre est le lieu où l'homme accomplit un certain nombre d'actes qui sont mis à son actif ou à son passif dans le livre de ses oeuvres et dont il devra rendre compte devant Dieu". (Dictionnaire du Coran). Dans l'étroitesse du déterminisme de la création, la créature n'a que peu de possibilités d'agir, mais elle doit se conformer aux lois de Dieu pour trouver son salut personnel.
Ordonner le bien et interdire le Mal est un impératif inscrit dans le Coran qui a été beaucoup discuté. Ainsi AL-GHAZALI et beaucoup de commentateurs ont atténué et précisé cette disposition, qui peut mener à des actions extrêmes. "L'ordre coranique d'ordonner le bien et d'interdire le mal a été rangé dans la catégorie des devoirs communautaires et non comme un devoir incombant personnellement à tout musulman : si certains musulmans s'y conforment de telle manière que sa finalité s'en trouve réalisée, le reste de la communauté n'est plus concerné par cet impératif. De rares savants l'ont franchement vidé de toute substance alors que d'autres, aussi peu nombreux, ont en revanche défendu la thèse qu'il s'agissait là d'une obligation pour tout musulman" (Ibid). La question du mandat politique pour de telles actions est évidemment posée, pour qui et pour quoi faire en priorité. La légistation coranique s'efforce d'y répondre et de multiples écoles - à l'image de ce qui s'est passé pour les deux autres religions monothéistes - y ont répondu de manières "multiples".
La notion de jihad traverse tout le Coran et bien plus que dans la Bible et les textes chrétiens, c'est la question de la défense de la Croyance qui est mise en avant comme devoir du Croyant. L'aspect militaire et guerrier de cette défense, né dans les circonstances mêmes de la fondation de l'Islam n'a jamais supplanté le "grand jihad", c'est-à-dire la lutte contre le mal en soi-même. On y trouve d'ailleurs là le fondement de la Communauté (Umma) "Pas de fraternité sauf entre musulmans" : "L'Islam a considéré la supériorité de la communauté des croyants comme leur premier sentiment unificateur : ils sont pour signe distinctif à la fois l'élection divine et le discernement entre la croyance et l'infidélité, le bien et le mal. De l'invincible affirmation, de l'unicité divine dérive le sens très ardent que possède le musulman de l'unité qu'il forme avec ses frères dans la même foi. La Umma est le peuple de Mahomet, la nation pour laquelle, selon le Hadith (le récit coranique), il intercède, et qui entend garantir à chacun de ses membres les conditions optimales de vie et, s'il est croyant sincère, la rétribution dans l'au-delà. (...) (Le Livre) guide la umma et la protège de l'erreur du fait de l'accord unanime des croyants autour de lui (...) (Il contient) les Droit de Dieu, telle l'obligation du combat. (...) Puis un certain nombre de prescriptions destinées à renforcer la communauté de vie, telle la répression de la délinquance, du crime ou de la fornication, et la réparation des dommages causés par les transgressions".(Ibid)
Une communauté aussi centrée, avec sa pratique religieuse minutieuse, sur la défense de la Communauté ne fait pas, on s'en doute, beaucoup de cas du conflit entre membres de cette communauté. La rigueur du droit islamique enferme suffisamment le Croyant dans un réseau d'obligations et d'interdits - qui est aussi un réseau de solidarités - pour que la contestation de l'ordre établi ne soit pas courante... Bien que la faute originelle ne soit pas invoquée aussi vigoureusement qu'ailleurs pour fonder l'ordre social, le fait même d'identifier l'univers surnaturel à celui-ci, suffit à concevoir le conflit interne comme négation de cet ordre.
RELIGIUS