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30 juin 2008 1 30 /06 /juin /2008 08:03
   
      Après avoir examiné la logique interne des religions face au conflit, voyons ce qu'il en est compte tenu des nombreuses études anthropologiques et sociales entreprises.
   
    La proclamation fréquente de la neutralité religieuse des religions face au conflit entre les groupes politiques et sociaux (préférence pour le rassemblement de l'Eglise ou de l'Umma) - ce qui ne les empêche pas de souvent développer deux versions, l'une exotérique (pour tout le monde), l'autre ésotérique (faite pour et par des groupes précis) de leur doctrine  - n'est pas générale et est toujours fallacieuse.
 Quand le judaïsme se proclame religion de Juda, elle englobe d'abord uniquement des Juifs, mais quand on connaît le bigarrement de la Palestine à l'époque de sa création, il est permis de douter de sa vocation à représenter un peuple homogène. Quand le christianisme se proclame universel dans son amour du prochain, il n'hésite pas à proclamer des Croisades pour reprendre Jerusalem.
     
        En fait, une religion possède une influence sur la politique selon trois modes différents (Henri DESROCHES) :
- attestataire, elle légitime le statu quo, l'ordre établi, et joue comme facteur d'intégration à la société existante et à l'adhésion au groupe dominant ;
- contestataire, elle s'oppose à une tradition jugée caduque, lutte contre une évolution interne à la société, que cette évolution soit favorable ou défavorable à certains groupes sociaux déterminés ;
- protestataire, elle peut aller de la sécession à la subversion des institutions officielles. cela va de l'exil volontaire d'un groupe social à la conquête des esprits pour une domination politique par un ensemble précis de populations.

       Le conflit doctrinal traverse toutes les religions et constitue l'indice, mais non la cause ou l'effet,  d'une implication de ces religions dans l'ensemble des conflits d'une société et entre sociétés différentes. Il porte souvent sur un élément personnel, comme par exemple dans le bouddhisme.
"Inutile de dire que le conflit doctrinal est une dimension fondamentale du système, et qu'il ne faut nullement essayer de l'interpréter en recourant à une clé économique ou sociopolitique. Quel que soit son enjeu, le "programme" religieux précède le "jeu", la mise en oeuvre dans l'histoire humaine, et se perpétue en termes religieux ; ses conséquences sur d'autres sous-systèmes qui forment l'histoire sont incalculables et le plus souvent inattendues.
Le système des sectes du Hinayana est compliqué, et plusieurs maillons nous manquent pour le reconstituer. Cependant, il existe une dichotomie fondamentale, tout comme dans d'autres religions (jaïnisme, christianisme et islam), entre une tradition "pauvre" et une tradition "riche", entre une  tendance entropique et une tendance transcendantale. La première accentue la dimension humaine du fondateur ; la seconde sa dimension divine.(...). Le premier schisme dans le boudhisme (...) concerne la qualité de l'arhat (le postulant au bout du chemin de la libération), libéré ou exposé à la souillure. (...) Les deux partis trouvent un seul compromis parmi cinq points en litige, mais la communauté se scinde sur la question impossible à trancher de la pollution nocturne (au sens sexuel, notez-bien) des arhats, la majorité du samgha soutenant que l'arhat peut être séduit en rêve par les déesses, alors que les Anciens s'opposent à cette idée." (Mircea ELIADE)

      Les raisons pour lesquelles, dans les conflits de doctrines et plus généralement dans les conflits des religions, l'une triomphe de l'autre ne relèvent pas du fait que les dieux ou Dieu soit avec elle, à moins précisément d'avoir la foi... et de ne pas se poser de questions (anthropologiques ou sociales).
  Le développement du confucianisme en Chine (religion d'Etat jusqu'en 1911) correspond à l'expansion de l'Etat et favorise la patience du fonctionnaire plus que les élans du militaire.
"Le confucianisme n'assigne à l'être humain aucun autre but que celui de parfaire son humanité en remplissant ses devoirs selon ce qui est propre et correct : le père doit être père et le fils doit être fils.
"En effet, la société humaine doit être réglée par un mouvement éducatif qui part d'en haut et qui correspond à l'amour paternel (pour un fils) et un mouvement de révérence qui part d'en bas et qui équivaut à la piété filiale, seul devoir confucéen dont le caractère absolu semble porter une empreinte quasi passionnelle. Enfreindre la règle de la piété (envers sa famille, son chef, sa patrie, son empereur, etc.) c'est la seule définition du sacrilège selon le confucéen. Il est évident qu'une telle idéologie paternaliste peut dégénérer plus facilement que d'autres en une obéissance aveugle aux intérêts d'un Etat totalitaire". (Mircea ELIADE)

     La marche d'une civilisation est ponctuée de conflits qui intéressent à la fois des aspects moraux (personnels) et des aspects socio-politiques (collectifs) et la forme évoluante de la religion constitue souvent un lieu entre ces deux catégories d'aspects.
   Les conflits séculaires entre sédentaires et nomades, entre chasseurs et cultivateurs, portent une marque religieuse, simplement parce qu'avant la sécularisation, il n'y a tout bonnement pas de différence entre l'ordre surnaturel et l'ordre naturel.
   L'étude des mythes et des conflits dans les sociétés traditionnelles éclaire leurs liens.
 "Pour la plupart des conflits relatés dans les mythes, il existe la possibilité d'évoquer des événements historiques qui se trouveraient être à leur origine. On a pu, par exemple, interpréter la victoire de Mardouk sur Tiamat comme la transposition sur le plan mystique de l'avènement de la civilisation urbaine et du pouvoir des hommes sur l'ancienne civilisation néolithique aux traditions matriarcales. Dans cette optique, Tiamat symbolise la "Grande Mère", la déesse de la fertilité qui régissait l'univers dans les premiers temps de l'agriculture" (Pierre CREPON)
   Deux catégories de mythes sont mises en évidence : les mythes de la création du monde, liés aux origines des peuples, et les mythes eschatologiques, liés aux destinées de ces mêmes peuples. Les études de René GIRARD des mythes de création du monde et des sacrifices, comme des rites qui les remémorent constamment, permettent de voir l'entreprise de maîtrise de la violence à l'intérieur des groupes sociaux. Les études des mythes eschatologiques montrent la projection mentale du groupe dans l'avenir, et partant du rôle de son dieu dans la fin du monde.
 "Ces prophéties sont en général de type apocalyptique, et elles laissent souvent la place à l'apparition d'un Sauveur dont l'arrivée sera le signe de la fin des temps. Lors des époques difficiles, une telle mythologie eschatologique est capable de servir de catalyseur à des entreprises débouchant sur la violence." (Pierre CREPON). Elles servent souvent de motivations pour la lutte contre d'autres groupes sociaux pour la gloire de Dieu ou des dieux.
Paix à l'intérieur, guerre à l'extérieur, les religions semblent le creuset de l'unité et de l'énergie conquérante des peuples.

     Les buts des créateurs des livre sacrés, dans une lecture marxiste du rôle des religions, peuvent se révéler à une exégèse serrée des textes et à la connaissance du contexte de leur rédaction. Ainsi AL-ASSIOUTY mène un ensemble de recherches comparatives, peu connues, entre Bible et Coran notamment.
 "La propriété privée des moyens de production se cristallise avec l'élevage et la haute agriculture, par rapport au bétail et à la terre. La propriété privée du bétail est complète et parfaite, elle s'étend aux esclaves, hommes et femmes, et comprend les autres biens meubles, les produits de l'industrie artisanale et les métaux précieux. Tel est le cas des tribus vivant principalement d'élevage : Aryens de l'Inde, Grecs homériques, premiers Romains. En sus du bétail, la terre, chez les peuples sédentaires, pratiquant la haute agriculture, forme aussi l'objet de la propriété privée, chez les Indiens, les Grecs et les Romains, comme chez les Arabes sédentaires des oasis."
"Les Livres Sacrés ont un rôle précis, ils sont formulés pour apposer le cachet de la religion sur les besoins des classes supérieures au pouvoir, afin d'être à même de mieux exploiter les classes subjuguées. Cela ressort clairement par l'examen des règles juridiques que comprennent les Livres Sacrés et les intérêts protégés par ces règles, qui sont les intérêts des classes possédantes au pouvoir, au détriment de la masse du peuple et des esclaves. L'injustice humaine est imputée à la justice divine.
C'est l'ère de l'aristocratie militaire : aristocratie, parce que le pouvoir réel est exercé par une classe privilégiée, généralement héréditaire ; militaire, parce que cette aristocratie vise à l'organisation des forces armées de la société, afin de provoquer des guerres ayant pour but la rapine. La religion approuve la guerre agressive, les prêtres de chaque tribu portent en guerre l'arche de Yahvé ou les idoles des dieux afin d'assurer la victoire. L'appât du butin active les guerres atroces d'extermination et de capture, le prêtre-roi, ses chefs et ses religieux obtiennent la meilleure part du butin : or et trésors, chevaux de races, belles femmes.
Le brigandage, organisé dans les Livres Sacrés, devient l'institution dominante de la civilisation." (AL-ASSIOUTY)

     Ce sujet des relations entre conflits et religions ne peut évidemment pas avoir ici sa conclusion. Considérons ces trois articles comme une amorce de réflexions plus précises.
 
 
     Dans son introduction au livre Guerre et Religion, publié sous sa direction, Jean BAECHLER (né en 1937), sociologue français, analyse les relations entre guerre et religion, en tenant compte des faits et pas seulement des fondements de l'une et de l'autre. "Finalement, écrit-il, les faits interdisant de soutenir soit que la religion et la guerre entretiennent des liens organiques, soit qu'elles se sont rencontrées par accident et par un hasard historique. Il faut creuser plus avant le paradoxe, ei on veut le résoudre d'une manière qui colle aux faits et les explique. Pour n'y pas trop échouer, la seule issue rationnelle est de partir d'une analyse conceptuelle tant de la guerre que de la guerre, de manière à se donner les moyens de trancher entre deux thèses. Selon l'une, les deux concepts sont effectivement liés. Selon l'autre, ils sont étrangers l'un à l'autre, mais ont aussi des réserves de séduction à faire valoir dans les deux sens."
Après avoir développé des lignes d'une argumentation qui tient compte surtout d'un point de vue distancier et empreint de laïcité, le sociologue estime la conclusion imparable : "la guerre relevant du public, et la religion du privé et de l'intime, elles n'ont pas de rapport direct. C'est la conclusion de l'analyse conceptuelle. mais elle est si massivement et si constamment contredite par les faits historiques les plus assurés qu'il convient de résoudre de résoudre la contradiction. Pour y réussir, il faut partir de l'hypothèse que la religion et la guerre ont des séductions l'une pour l'autre. La sociologie révèle plutôt l'intelligibilité des services rendus à la guerre par la religion, alors que l'histoire illustre davantage la liaison inverse de la guerre appuyant la religion."
Après avoir mis sur la table les services que la religion donne à la guerre et que la guerre donne à la religion, Jean BAECHLER écrit dans une conclusion que "le bilan est sans appel : la religion sert la guerre bien plus que celle-ci ne la sert. Le verdict étonnera peu qui est persuadé de la centralisé du politique dans les affaires humaines et de la guerre dans les développements politiques depuis l'autre de la néolithisation. Pour l'anthropologie comme science de l'humain, le constat est riche d'enseignements, moins pour l'étude de la guerre que pour celle de la religion. En effet, la polémologie doit prendre en compte la religion comme, par ailleurs, l'économie et la technique, entre autres, car la guerre a besoin de justifications idéologiques directes ou indirectes par l'entremise des régimes politiques. Elle les trouve toujours, car l'idéologie peut détourner à son usage n'importe quel corpus de cognitions, même la science, quand la théorie de l'évolution est subvertie en lutte pour la vie au bénéfice du plus fort. Il se trouve que les représentations les lus exploitées pendant des millénaires ont été religieuses, parce qu'elles étaient disponibles et faciles à falsifier idéologiquement, et non parce que la guerre a des affinités électives avec la religion. 
L'inverse est tout aussi vrai, poursuit-il, et même davantage encore : la religion n'a rien à voir avec la guerre, tant que la politique ne s'en mêle pas. L'anticléricalisme et l'antireligion modernes ont, sans doute, plaidé que les religions à vocation universelle sont de nature intolérantes, puisqu'elles détiennent seules la Vérité la plus essentielle, et que, étant intolérantes, elles recourent au bras séculier pour s'imposer par la force. Mais l'accession n'est pas pertinente ni convaincante, car une religion universelle fidèle à son concept s'adresse à tout être humain dans son humanité, en lui proposant une destination plausible, à laquelle il peut se résoudre par une conversion libre de la sensibilité, de l'intelligence et de la volonté. Recourir à la force pour imposer cette conversion est une aberration religieuse, car c'est favoriser l'hypocrisie, ce qu'il y a de pire du point de vue de l'Absolu religieux. Il est vrai que les autorités religieuses succombent toujours à la tentation de prendre appui sur les autorités politiques pour s'imposer aux incroyants et aux récalcitrants, mais la tentation naît de ce que les autorité politiques sont empressées à leur proposer leur appui. La transgression conceptuelle est originaire du politique, non de la religion. La liaison est, de fait, dissymétrique. Les conséquences sont négligeables pour la logique politique et guerrière, car celle-ci se contente de transformer la religion en idéologie commode quand le contexte culturel est religieux. Par contre, les dommages infligés à la religion et aux religions sont graves, car elles sont déviées de leur finalité naturelle dans le sens de la corruption et de la perversion. Tuer au non du Christ Roi ou d'Allah contredit la nature des choses et révulse la conscience."

     Sous la direction de Geoffrey WIGODER, Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf/Robert Laffont, 1996. Sous la direction de Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, Bouquins, 2007. Sous la direction de Jean-Yves LACOSTE, Dictionnaire critique de théologie, PUF, Quadrige, 1998. Kurt FRIEDRICHS, Ingrid FISCHER-SCHREIBER, Franz-Karl ERRHARD, Micael DIENET, Dictionnaire de la sagesse orientale, Robert Laffont, Bouquins, 1989. Sous la direction de Philippe GAUDIN, La violence, Ce qu'en disent les religions, Les éditions de l'atelier/Les éditions ouvrières, 2002. Michel DOUSSE, Dieu en guerre, La violence au coeur des trois monothéismes, Albin Michel Spiritualités, 2002. Claude RIVIERE, Socio-anthropologie des religions, Armand Colin, Cursus, 2003. Pierre CREPON, Les religions et la guerre, Albin Michel, Espaces libres, 1991. Sarwat Anis AL-ASSIOUTY, Civilisations de répression et forgeurs de livres sacrés, Letouzé & Ané, 1995. Mircea ELIADE et Ioan COULIANO, Dictionnaire des religions, Plon, Agora, 2001. Sous la direction de Jean BAECHLER, Guerre et religion, Hermann Editions, 2016.
 
 
Complété le 19 décembre 2017.

                                                                                                
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