9 juillet 2008
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Le mot stratégie est tellement mis à toutes les sauces aujourd'hui - ce qui ne préjuge rien de la saveur des-dites sauces - qu'on peut facilement en perdre le sens et avoir la tentation de passer tout de suite aux différentes stratégies mises en oeuvre dans le temps et dans l'espace.
Définitions courantes...
Le "Petit Robert" de 1972 donne deux définitions de Stratégie, après avoir donné deux dates : 1803, "gouvernement militaire", ce qui n'est pas très éclairant, même si on comprend tout de suite que la stratégie se rattache au domaine militaire ; et 1562, date d'utilisation dans la langue littéraire du mot en question, provenant du grec strategia. Il faudra sans doute revenir sur l'étymologie de Stratégie. Ce dictionnaire donne donc deux sens à Stratégie :
1 - Opposé à tactique, art de faire évoluer une armée sur un théâtre d'opérations jusqu'au moment où elle entre en contact avec l'ennemi. La stratégie est la partie de la science - notez le mot science - militaire qui concerne la conduite générale de la guerre et l'organisation de la défense d'un pays.
2 - Au sens figuré, c'est l'ensemble des actions coordonnées, de manoeuvres, en vue d'une victoire. Voir la stratégie électorale parlementaire.
Le Dictionnaire Hachette de 2001 ne dit pas autre chose, précisant simplement que c'est l'art - notez le mot art - de combiner des opérations pour atteindre un objectif. Voir stratégie électorale, commerciale.
il faut comprendre qu'un dictionnaire de langue nationale, comme un dictionnaire français, suit l'évolution pour lui des moeurs des peuples concernés. Si le sens premier est militaire et le sens moderne est économique, c'est qu'au début on conçoit la guerre comme le nec plus ultra des moyens d'atteindre un objectif (société guerrière) et que maintenant, du moins dans les sociétés occidentales, c'est plutôt l'économie qui monopolise l'attention. D'ailleurs les dictionnaires spécialisés - rédigés par des personnes proches des milieux militaires, lorsqu'ils ne sont pas militaires eux-mêmes, veulent combattre cette tendance en la dévalorisant.
Définitions des milieux spécialistes...
Les dictionnaires spécialisés en question sont évidemment plus précis que les dictionnaires de langue, et ils insistent sur leurs préférences, au delà de toute étymologie, même s'ils entendent parfois s'y fonder.
Le Dictionnaire de Stratégie de Thierry de MONTBRIAL et de Jean KLEIN (PUF, 2000) commence l'article "Stratégie" par une praxéologie.
"La stratégie est la science (si l'on choisit de mettre l'accent sur le savoir et sur la méthode) ou l'art (si l'on privilégie l'expérience) de l'action humaine finalisée, volontaire et difficile. Elle vise à conférer un "caractère conscient et calculé aux décisions par lesquelles on veut faire prévaloir une politique" (BEAUFRE). Le mot "politique" doit être ici pris dans son acception la plus large. La stratégie est donc au coeur de la praxéologie, ou science de l'action, dont le général BEAUFRE soulignait l'impérieuse nécessité. Le terme "praxéologe" a été forgé par le sociologue français Alfred ESPINAS en 1897, repris en 1937 par le philosophe polonais KOTARBINSKI, puis par l'économise autrichien Ludwig VON MISES dans son ouvrage Human Action publié en 1949, enfin par Raymond ARON dans Paix et guerre entre les nations (1962). La praxéologie, comme en fait la stratégie elle-même, bien qu'elle se soit développée essentiellement, jusqu'à présent, dans le cadre de la guerre.
On distingue ici les stratégistes et les stratèges. Les premiers sont les théoriciens et les seconds les praticiens de la stratégie."
Un esprit malicieux fera remarquer que si le mot praxéologie est mis en avant, certains préfèrent utiliser le mot praxis, qui lie théorie et pratique. Mais ceci n'est qu'une petite remarque. Un long développement dans l'article Stratégie, plus loin, "Définitions et concepts fondamentaux de la stratégie" cite l'introduction à la stratégie du général BEAUFRE et le Traité de Stratégie d'Hervé COUTEAU-BEGARIE (Economica, 2002).
Justement, dès son introduction générale, Hervé COUTEAU-BEGARIE distingue un sens fort, très précis - celui décrit par toute une historiographie militaire - d'Herbert ROSINSKI aux écoles moderne de guerre, et un sens faible, celui utilisé dans la vie économique et sociale, sur lequel l'auteur émet un avis sévère : la stratégie devient un concept "attrape tout", dont le sens est inversement proportionnel à son degré d'explication. C'est dire qu'il existe dans une partie du monde intellectuel, une tendance à vouloir "remilitarisé" ce terme. En même temps, il est certain que cette volonté est intéressante en ce sens qu'elle rappelle que les méthodes utilisées en économie par certaines personnes ou par certains groupes sociaux se rapprochent de celles, impitoyables, ayant cours dans la guerre, et on pourrait même écrire qu'au fondement de certaines théories économiques existe un fond guerrier.
Ce n'est pas ici le lieu pour s'étendre sur le sens de la stratégie, qui nécessite bien entendu plusieurs chapitres. Mais l'auteur (Hervé COUTEAU-BEGARIE) nous prévient dans son Traité par un dessin humoristique : "3 tomes d'Hervé (tomes de sa voix), 8 000 PAGES de JOMINI (un stratégiste célèbre de la pointure de CLAUSEWITZ), Vom Kriege, et toujours pas de définition, c'est pas beau, ça?".
Un esprit malicieux fera remarquer que si le mot praxéologie est mis en avant, certains préfèrent utiliser le mot praxis, qui lie théorie et pratique. Mais ceci n'est qu'une petite remarque. Un long développement dans l'article Stratégie, plus loin, "Définitions et concepts fondamentaux de la stratégie" cite l'introduction à la stratégie du général BEAUFRE et le Traité de Stratégie d'Hervé COUTEAU-BEGARIE (Economica, 2002).
Justement, dès son introduction générale, Hervé COUTEAU-BEGARIE distingue un sens fort, très précis - celui décrit par toute une historiographie militaire - d'Herbert ROSINSKI aux écoles moderne de guerre, et un sens faible, celui utilisé dans la vie économique et sociale, sur lequel l'auteur émet un avis sévère : la stratégie devient un concept "attrape tout", dont le sens est inversement proportionnel à son degré d'explication. C'est dire qu'il existe dans une partie du monde intellectuel, une tendance à vouloir "remilitarisé" ce terme. En même temps, il est certain que cette volonté est intéressante en ce sens qu'elle rappelle que les méthodes utilisées en économie par certaines personnes ou par certains groupes sociaux se rapprochent de celles, impitoyables, ayant cours dans la guerre, et on pourrait même écrire qu'au fondement de certaines théories économiques existe un fond guerrier.
Ce n'est pas ici le lieu pour s'étendre sur le sens de la stratégie, qui nécessite bien entendu plusieurs chapitres. Mais l'auteur (Hervé COUTEAU-BEGARIE) nous prévient dans son Traité par un dessin humoristique : "3 tomes d'Hervé (tomes de sa voix), 8 000 PAGES de JOMINI (un stratégiste célèbre de la pointure de CLAUSEWITZ), Vom Kriege, et toujours pas de définition, c'est pas beau, ça?".
Derrière les définitions de la stratégie... des conceptions divergentes de la... stratégie!
Au-delà de la difficulté d'une définition consensuelle de la stratégie, les sceptiques, dans un monde du début du XXIe siècle qui précisément se caractérise par l'attention exclusive accordée au court terme et à l'apparence des choses, stigmatisent son rationalisme, son matérialisme et/ou son "praxéologisme" .
Faisant le point sur les toutes dernières réflexions sur la stratégie, Pascal VENNESSON écrit que "la conception de la connaissance des études stratégiques obéirait (selon eux) exclusivement à la rationalité telle que la conçoit la théorie de l'utilité espérée, en écartant la pluralité de ses manifestations, ses limites et l'intervention de facteurs non rationnels : tel serait leur premier péché capital. Le deuxième présupposé est que la pensée stratégique serait matérialiste, elle n'admettrait comme réalité que la matière. Enfin, la stratégie est volontiers accusée de "praxéologisme" : science de l'action efficace, elle resterait purement instrumentale, une science appliquée, une science distincte des sciences sociales destinées à expliquer. Dès lors, il est tentant de franchir le pas et de soupçonner les stratèges et les stratégistes, qui s'imaginent volontiers neutres, de servir aveuglément les intérêts des dominants et de l'ordre existant, y compris en légitimant la guerre et la puissance militaire. Aucune de ces trois prénotions ne résiste à l'analyse (...)." (Stéphane TAILLAT, Joseph HENROTIN, Olivier SCHMITT, Guerre et stratégie, PUF, 2015).
S'appuyant sur un corpus de connaissance et de réflexion, notamment depuis Carl Von CLAUSEWITZ, le professeur de science politique à l'université Panthéon-Assas-Paris II détruit ces présupposés superficiels. En effet, la stratégie prend en compte la pluralité des phénomènes intervenant dans l'exercice de la politique et de la guerre, y compris d'ailleurs de l'économie ; elle accorde une grande place à la contingence ; la culture stratégique moderne se situe dans un rapport de rupture, et non de continuation, entre la guerre et la politique, témoin la floraison d'études stratégiques sur l'établissement, le mantient et le rétablissement de la paix. La stratégie de plus est affaire autant des conservateurs de l'ordre existant que des révolutionnaires, peut-être même plus des révolutionnaires ou réformateurs que des conservateurs. Elle prend en compte l'ensemble des réflexions des sciences sociales, souvent dans une perspective critique par rapport aux événements des deux guerres mondiales. Plus qu'une partie d'une science ou d'un art de la guerre, la stratégie prend pour objet de réflexion centrale, le ou les conflits, attentifs à ces disciplines souvent considérées comme connexes comme l'irénologie.
La médiocrité des études stratégiques en France, très éclatées, engendre méconnaissances et désintérêt académique, qui à leur tour favorisent une production médiocre. Ce qui fait que la stratégie est vue surtout à travers des expertises financières et économiques ou politiques. Sans vouloir dévaloriser la stratégie économique qui a toute sa place dans un corpus de connaissances, l'abandon de la stratégie militaire classique (victime de la stratégie nucléaire ou/et de la défaite de 1940 et des défaites coloniales) - période prolongée de paix oblige, quoique ce ne soit pas le cas dans la littérature anglo-saxonne - est autant dommageable pour les conversateurs que pour les révolutionnaires...
L'état d'une définition....
Le Dictionnaire de stratégie d'Arnaud BLIN et de Gérard CHALIAND reflète l'état de la question de la définition de la stratégie. Le terme "stratégie", écrivent-ils, issu du grec, désigne "l'art de conduire des armées", ou plus simplement, "l'art du général". Au cours des siècles, son usage est souvent délaissé au profit d'un autre terme qui désigne la "tactique". A quelques rares execeptions près, l'usage du mot ne reviendra à la mode que vers la fin du XVIIIe siècle, sous l'impulsion de théoriciens militaires à l'esprit novateur comme Joly de MAIZEROY et GUIBERT. Les traités théoriques de JOMINI et de CLAUSEWITZ, entre autres, établissent de manière rigoureuse la terminologie de la guerre et marquent la distinction entre stratégie et tactique. Progressivement, la stratégie remplace l'ancienne notion d'"art de la guerre" et s'étend de plus en plus à des phénomènes politiques, diplomatiques, économiques et psychologiques, autres que militaires. Carl von CLAUSEWITZ, le premier, met l'accent sur la dimension politique de la guerre et sur la relation étroite qui s'établit entre la stratégie militaire et la politique. Cette relation aura un rôle accru au XXe siècle avec l'avènement des armes nucléaires et la prolifération des guerres indirectes. Antoine Henri de JOMINI, quant à lui, envisage la diplomatie (en relation avec la guerre) comme l'une des six branches de la guerre, la seule à n'être pas militaire. Désormais, toutes les définitions de la stratégie font état d'une stratégie globale (ou totale, ou intégrale) : celle-ci touche à la politique et contient les diverses stratégies générales, y compris la stratégie militaire qui elle-même se situ au-dessus de la stratégie génétique, de la stratégie opérationnelle et de la tactique.
Ces auteurs, eux aussi, comme Jean-Paul CHARNAY, montre du doigt la prolifération "quasi anarchique de l'utilisation du mot stratégie", qui révèle une mutation de la relation stratégie-guerre. "La stratégie était perçue, écrit ce dernier, jusqu'aux années 1950 comme une partie de la guerre : elle ordonnait une dose plus ou moins forte, mais toujours importante, de violence. Maintenant, la stratégie englobe la guerre, qui n'est plus qu'un phénomène limité par rapport à l'ordonnancement social général." A cette mutation de la relation entre la stratégie et la guerre et à la prolifération "verticale" des subdivisions de la stratégie correspondant aux divers niveaux de la structure politico-stratégique vient s'ajouter une prolifération "horizontale" correspondant à une typologie des guerres contemporaines et aux particularités des tratégies militaires §terrestre, maritime, aérienne, cyberspatiale, spatiale...).
Si l'on parle de la stratégie, il est désormais nécessaire d'évoquer aussi les stratégies. Avec la multiplication des types de conflits, réels ou hypothétiques dans le cadre de la guerre nucléaire, dans le monde contemporain (guerres classiques, nucléaires, limitées, de basse intensité...), chaque type de guerre requiert une stratégie correspondante : stratégie conventionnelle, stratégie nucléaire (et stratégie de dissuasion), stratégie indirecte, stratégie de la guérilla, contre-insurrection. L'un des problèmes principaux auxquels sont confrontés les hauts responsables politiques et militaires aujourd'hui réside dans l'identification de stratégies adaptées aux conflits dans lesquels ils sont engagés, adaptations qui est souvent difficile à réaliser avec succès car les proéjugés culturels et historiques interviennent souvent lorsqu'il s'agit de définir les choix stratégiques.
Bien entendu, maints théoriciens évitent d'en discuter en faisant intervenir les conflits de compétences qui interviennent dans les hiérarchies militaires des différentes armes, et encore moins lorsqu'il s'agit d'expliciter l'usage des moyens matériels correspondant, d'autant que cet usage repose sur la production (et le commerce) de nombreux armements plus ou moins spécifiques. L'usage des armements correspond parfois à des intérêts qui n'ont rien à avoir avec l'édification de stratégies politico-militaires...
Dans une perspective historique, les historiens militaires, suivant H. DELBRUCK, qui se réclame de CLAUSEWITZ, ont identifié deux types de stratégies, la stratégie d'usure et la stratégie d'anéantissement,non sans créer quelques polémiques sur le bien-fondé de cette dichotomie, mais tout en établissant une typologie qui est fréquemment utilisée par les théoriciens de la guerre.
Depuis CLAUSEWITZ et JOMINI, les définitions de la stratégie - et de la tactique - ont évolué avec les mutations sociales, politiques et militaires. De nombreux théoriciens ont apporté leur contribution sémantique. Les définitions se sont multipliées, tout en s'affirmant, mais sans nécessairement concourir à notre connaissance du phénomène stratégique (ceci dit très poliment).
Aujourd'hui, on peut néanmoins faire la distinction entre les définitions classiques de la stratégie et une acception moderne qui se veut à la fois plus étendue et plus précise. Les auteurs du même Dictionnaire de la stratégie citent quelques-unes de ces définitions de la stratégie proposées depuis la fin du XVIIIe siècle. Selon GUIBERT, la stratégie est "l'art de mouvoir ses forces sur le théâtre d'opérations, de façon à les amener concentrées sur le champ de bataille". Pour JOMINI, il s'agit de "l'art de faire la guerre sur la carte, l'art d'embrasser tout le théâtre de la guerre", alors que la tactique est "l'art de combattre sur le terrain où le choc aurait lieu, d'y placer ses forces selon les localités et de les mettre en action sur divers points du champ de bataille". CLAUSEWITZ envisage la stratégie comme "l'usage de l'engagement aux fins de la guerre (...). Elle établit le plan de guerre et fixe en fonction du but en question une série d'actions propres à y conduire ; elle élabore donc les plans des différentes campagnes et organise les différents engagements de celles-ci". La tactiue est envisagée comme "l'usage des forces armées dans l'engagement. Au XXe siècle, Basil H. LIDELL HART offre une définition sobre de la stratégie : "L'art de distribuer et d'appliquer les moyens militaires pour réaliser les fins de la politique." Mais il fait la distinction entre la stratégie et la stratégie globale, cette dernière ayant pour objet l'exploitation de toutes les ressources de la nation pour réaliser l'objectif politique de la guerre. Raymond ARON revient à une notion traditionnelle de la stratégie, proche de celle de CLAUSEWITZ, et qu'il appelle "conduite d'ensemble des opérations militaires", celle-ci étant subordonnée, avec la diplomatie, à la politique. ARON établit entre stratégie et tactique la distinction suivante : "Par stratégie, j'entend à la fois les objectifs à long terme et la représentation de l'univers historique qui en rend le choix intelligible ; par tactique, j'entends les réactions au jour le jour, la combinaison des moyens en vue des buts préalablement fixés." André BEAUFRE tente de se démarquer de cette définition classique ("l'art d'employer les forces militaires pour atteindre les résultats fixés par la politique") pour offrir une version plus moderne, et, selon lui, moins étroite, de la stratégie : "Lart de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit." L'idée générale de la dialectique des volontés est d'"atteindre la décision en créant et en exploitant une situation entraînant une désintégration morale de l'adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu'on veut lui imposer". Comme le général BEAUFRE, J.P. CHARNAY envisage deux définitions, "fade" et "forte" de la stratégie. La première comprend la stratégie comme une "dynamique des relations et des adaptations réciproques des moyens et des fins", et la deuxième comme "la fonction rationnellement organisatrice et directrice de la totalité des forces d'entités sociales dans leurs négations réciproques", définition qui combine un mode de pensée et une action orientée. Lucien POIRIER retient la définition de la stratégie comme dialectique mais il pousse plus loin que BEAUFRE : "La stratégie est la dialectique des forces conçues, réalisées, et employées pour atteindre les buts définis comme moyens de la politique. Elle est aussi, la dialectique des libertés d'action nécessaires pour accomplir les projets politiques. Elle est, enfin, la dialectique des volontés appliquées à la résolution des conflits de coexistence... La stratégie est le système de ces trois dialectiques."
Bien entendu, la discussion sur la définition de la stratégie n'est jamais close.
Guerre et stratégie
Pascal VENNESSON, dans son avant-propos du livre sur ce thème, évoque les relations entre stratégie et rationalité, Il n'existe pas de consensus sur la pertinence et l'utilité de la stratégie, contrairement à ce que pourrait faire croire l'abondante littérature à ce sujet. Ses usages et ses appropriation font au contraire l'objet d'incompréhensions et de réserves, surtout si l'on considère l'ensemble du monde.
Il écrit que "les sceptiques craignent habituellement le rationalisme, la matérialisme et le "praxéologisme" supposés de la stratégie et de la pensée stratégique.". Premier pré-supposé selon cet auteur, l'obéissance de la stratégie à la rationalité, entendue comme expression de la théorie de l'utilité espérée, en écartant la pluralité de ses manifestations, ses limites et l'intervention de facteurs non rationnels. Deuxième présupposé, la pensée stratégique serait matérialiste, elle n'admettrait comme réalité que la matière. Troisième présupposé, la stratégie est volontiers accusée de "praxéologisme" : science de l'action efficace, elle resterait purement instrumentale, une science appliquée distincte des sciences sociales, destinées à expliquer? "Dès lors, écrit-il, il est tentant de franchir le pas et de soupçonner les stratèges et les stratégistes, qui s'imaginent volontiers neutres, de servir aveuglément les intérêts des dominants et de l'ordre existant, y compris en légitimant la guerre et la puissance militaire. Aucune de ces trois prénotions ne résiste à l'analyse". Bien entendu, ce faisant l'auteur se distingue de nombreux acteurs, très majoritaires dans leur domaine, pour qui la stratégie doit servir la société dominante (leur pays, comme ils disent...) en légitimant la guerre et la puissance militaire. Il se situe ainsi dans une nouvelle façon de penser la stratégie, qui est aussi celle de la génération actuelle des stratèges et des stratégistes dans le monde. Prise de conscience que la stratégie - et la guerre, et renouant en cela aux grandes questions que se posaient CLAUSEWITZ, mais bien plus tôt aussi de TZU, ne sont pas rationnelles, et que la contingence (intuition qu'avançait TOLSTOÏ...) les domine. Prise de conscience qu'à la guerre comme en stratégie (on rejoint ainsi NAPOLÉON...), "les trois quarts sont les affaires morales" et non les éléments matériels (entendus ici comme la quincaillerie et le nombre de troupes). Quant à la praxéologie, elle fait l'objet de débats depuis longtemps, au coeur même des relations entre le politique et le militaire.
"La pensée stratégique, propose notre auteur en l'espérant, aide à décrypter les relations sociales et politiques mais elle peut aussi s'inscrire dans un projet critique qui questionne le statu quo et reverse les rapports de force. Contrairement à un idée reçue, il n'y a aucune incompatibilité entre la quête de l'émancipation de l'humanité et les logiques de la stratégie, bien au contraire." Il évoque les traditions marxistes et néomarxistes et considère même que c'est le contraire qui est vrai et que les phraséologies de la stratégie peuvent s'appliquer à l'inversion des courses aux armements, à la dissuasion nucléaire, à la maîtrise des conflits
STRATEGUS
Stéphane TAILLAT, Joseph HENROTIN et Olivier SCHMITT, Guerre et stratégie, PUF, 2015.
Complété le 2 juin 2015. Complété le 9 février 2020, le 13 octobre 2021