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2 septembre 2008 2 02 /09 /septembre /2008 14:59

 

     Dans ce livre important, comme l'écrit John KEEGAN dans l'Introduction, Victor Davis HANSON, professeur d'Université d'Etat de Californie, a "essayé d'évoquer le cadre de cette expérience de la bataille ainsi que le mal et les difficultés extraordinaires qu'avaient les hommes qui combattaient." "Ma conviction", écrit encore l'auteur dans sa Préface, "est que la forme pure de la bataille chez les Grecs nous a laissés, en Occident, possesseurs d'un héritage embarrassant : nous sommes devenus persuadés qu'une bataille autre qu'une confrontation face à face entre des ennemis calmes et déterminés est contraire à nos valeurs et à notre style.".
   En 5 parties et 19 chapitres, il détaille ce qu'il appelle le modèle occidental de la guerre, cette manière de privilégier les batailles rangées décisives.

        Dans une première partie, "Les Grecs et la guerre moderne", l'auteur entend étudier davantage que la tactique et la stratégie si "nous devons apprendre pourquoi la manière grecque de combattre a eu une telle influence en Occident".
     La raison d'être de la bataille d'infanterie se trouve non pas dans la nécessité d'éviter les désastres agricoles (la vigne et l'oliveraie sont en fait très résistants), mais dans le fait qu'elle est, dans l'époque classique de la Grèce ancienne (VIIème-Vème siècles av.JC) "une provocation ou une réaction contre la simple menace d'une attaque contre les fermes."
"Les batailles d'hoplites grecs étaient des luttes entre petits propriétaires fonciers qui, d'un commun accord, cherchaient à limiter la guerre et, partant, la tuerie, à un affrontement unique, bref et cauchemardesque." "Il faut expliquer la manière grecque de combattre comme une idée élaborée, comme une vision présente à l'esprit des petits fermiers : leur terre ancestrale devait à tout prix rester inviolée, n'être foulée par personne d'autres qu'eux-mêmes. C'était une terre dont tous les citoyens de la polis consentaient à défendre l'intégrité à tout instant. A la fin du Vème siècle, après 200 ans de guerre d'hoplites, Athènes et d'autres communautés apprirent qu'il pouvait être avantageux de rester à l'intérieur des murs de la cité et de mettre l'ennemi au défi de réduire en ruines les propriétés agricoles. Le rituel conventionnel de la bataille rangée des hoplites fut alors mis en question et, ainsi, périclita. Ensuite, au IVème siècle, le développement rapide des troupes auxiliaires et de la poliorcétique accompagna ces idées nouvelles et eut pour effet que, par la suite, la bataille dut être sans rémission, et non épisodique, élargie et non restreinte, offrant au vainqueur une occasion nouvelle de rechercher non pas une humiliation bénigne, mais souvent une reddition et un assujettissement inconditionnel du vaincu. En un mot, l'idée que la bataille d'infanterie était irrévocablement partie intégrante de l'agriculture fut entièrement rejetée."
 Cette mise en perspective historique veut montrer l'originalité de cette manière de combattre, et, surtout, sa supériorité militaire. "C'est ce désir occidental d'un choc d'infanterie unique et grandiose, d'une tuerie sauvage mettant aux prises, sur un champ de bataille, des hommes libres munis d'armes acérées qui a déconcerté et terrifié nos adversaires du monde non-occidental pendant plus de 2500 ans." "Ces hommes (les Grecs anciens) furent les premiers que nous connaissions à avoir relégué la cavalerie dans un rôle secondaire, et à avoir ainsi fait disparaître, pendant un millier d'années l'idée que le champ de bataille était le domaine privé de cavaliers aristocrates."
    
     Victor Davis HANSON pense que "nous devons nous demander à quoi étaient confrontés les hoplites dans la phalange, car ils sont la clé de notre compréhension de la guerre dans la Grèce ancienne". La guerre dans une société agraire met au centre le non-spécialiste qui défend sa terre et celle de ses amis contre des ennemis situés "rarement à plus de 2 ou 300 kilomètres. Les invasions étrangères, perses, seront le facteur d'évolution qui changeront plus tard les choses, mais l'auteur veut se limiter à cette période pour en montrer le poids et l'influence sur les siècles postérieurs, tant les diverses armées du monde intégreront cette idée de la bataille rangée pour en faire un puissant instrument de conquête.
Il allie, dans tout son livre son expérience agricole, son attention extrême au terrain, à une érudition qui cherche les détails de la véritable bataille d'hoplites dans les écrits d'HERODOTE, de THUCYDIDE et de XENOPHON (VI-Vème siècles), mais aussi à une connaissance des trouvailles archéologiques pour les périodes plus anciennes (VII-VIème siècles). L'auteur insiste beaucoup sur les détails et alimente certainement sa réflexion de toute une branche nouvelle de l'archéologie, l'archéologie expérimentale, qui tente de reconstituer la réalité des batailles anciennes.

      L'épreuve de l'hoplite constitue le sujet de la deuxième partie de son livre : il décrit les conditions physiques et psychologiques dans lesquelles chaque homme combat. Les armes et l'armure, l'âge des combattants (des très jeunes aux très vieux), la crainte et l'attente de l'attaque massive, la peur de la mort très éventuelle qui panique et bouleverse la physiologie du combattant (transpiration, incontinences multiples) sont détaillés par l'auteur qui montre ainsi l'inconfort de l'hoplite. Il insiste pour que l'on garde à l'esprit "quatre réalités de base" :
 - une tendance graduelle mais continue, sur quelques 250 ans, à altérer, à modifier, puis à abandonner entièrement certains éléments de la cuirasse.
 - l'habitude de retarder le moment de s'armer jusqu'aux toutes dernières secondes, littéralement, avant le heurt des lances.
 - l'utilisation régulière de serviteurs personnels pour transporter l'équipement.
 - le mouvement naturel qui poussait l'hoplite à ôter à tout instant sa coûteuse armure achetée, en général, par les citoyens, et non fournie par l'Etat.

    Dans la partie intitulée "Le triomphe de la volonté", HANSON développe l'état d'esprit du combattant avant l'assaut. Ce triomphe trouve ses sources dans la confiance au général présent à la tête de son armée, l'esprit et le moral de corps, où il y voit les origines du système régimentaire... Ces "liens extraordinairement forts entre les hoplites constituaient simplement les relations normales de presque tous les combattants dans les phalanges de la plupart des cités grecques. Ils ne présupposent pas d'entraînement spécialisé exceptionnel ou d'effort concerté pour former un corps d'élite."... HANSON consacre de longues lignes sur l'alcool qui développe la rage de combattre comme l'inhibition de la conscience de la mort peut-être toute proche.

      L'assaut, la charge, le heurt d'hommes, la poussée des deux phalanges lancées l'une contre l'autre et l'effondrement recherché chez l'adversaire, les confusions des mêlées, les erreurs d'orientation et la violence de horde.. sont les éléments clés du type de confrontation recherché par les Anciens grecs. Les conditions du choc de deux murs de lances et de boucliers, le plus rapide possible pour éviter les jets divers à distance, déterminent l'issue de la bataille.
"Dans de nombreux cas, l'issue d'une bataille d'hoplites se décidait alors, pendant la première charge, lorsque des soldats cédaient à la peur et détruisaient l'unité de leur colonne avant même d'avoir atteint l'ennemi. (...) la clé du succès dans une bataille entre phalanges était de créer un vide fatal dans les rangs ennemis, une brèche initiale dans laquelle les troupes pouvaient faire une percée, anéantissant la cohésion de la formation ennemie toute entière. Certaines armées étaient disloquées avant même d'avoir atteint les lances de l'ennemi, et la bataille se terminait avant même d'avoir commencé." Le maniement individuel de la lance et du bouclier, la coordination entre voisins de gauche et de droite, le rôle des différentes rangées de combattant à l'avant et à l'arrière, tout tendait à la recherche d'une brêche dans les lignes de l'adversaire. "A un moment, dans un camp ou dans l'autre, une partie de la phalange ne pouvait plus résister à la poussée et commençait à être refoulée. A ce moment, l'unité de la colonne toute entière était mise en danger et tous les hommes - ceux qui avaient avancé à l'intérieur de brêches dans la ligne ennemie et ceux de l'arrière qui poussaient en avant - commençaient à penser pour la première fois à leur propre survie individuelle. En d'autres termes, c'était le début de la déroute finale. Parfois se produisait un effondrement dramatique et soudain en un point particulier de la phalange". La nécessité de garder le plus longtemps possible l'ordre de bataille entre proches combattants était vitale, non seulement pour éviter l'effondrement, mais aussi pour limiter les pertes dues aux coups des amis.

    Les batailles concentrées en des temps et des espaces restreints, à terrain découvert, laissaient sur les terrains de massacre des morts, des blessés et surtout des estropiés en nombre, mais "le nombre des morts dans le camp victorieux au cours d'une bataille d'hoplites représentaient en moyenne 5 pour cent des forces engagées, tandis que les vaincus subissaient un taux de pertes avoisinant 14 pour 100 de leurs forces." Ce qui était recherché, c'était la victoire sur place, ici et maintenant. Les poursuites en territoire ennemi étaient rares.

     En conclusion, l'auteur développe la thèse d'un lien entre la démocratie grecque et le modèle de guerre, enraciné dans la réalité même du combat, intégré dans la vie des fermiers.
"Le cadre réel de la bataille pour les hommes qui servaient dans la phalange était presque le même quel que soit le lieu et le moment du combat. Cela permettait à chaque soldat-citoyen de savoir exactement pourquoi le poète appelait la guerre grecque "une réalité qui fait peur". La simplicité et l'ordre net du combat d'hoplites garantissaient que la lutte serait en gros la même en tout lieu et à tout moment de la bataille : l'expérience de l'individu était aussi celle du grand nombre. Cette exceptionnelle uniformité des armes et de la tactique garantissaient sur un plan plus large, que tuer et blesser étaient, dans une large mesure, des actes familiers à de nombreuses générations (...)".
 "Parce que les Grecs classiques concevaient, en dernière analyse, leur combat d'infanterie comme économique et pratique, il y a une moralité dans leur legs : l'idée que l'image de la guerre ne doit jamais être autre chose que celle de corps en train de tomber et de blessures béantes." Egalité dans le combat, égalité dans la vie, voilà le lien entre la démocratie et le modèle de guerre occidental, avec la pensée que la guerre n'a rien de romantique.
  
    L'auteur nous met en garde sur cet héritage de mentalité collective à l'heure où les missiles ont remplacé les lances. "En clair, nous ne sommes plus une société agraire formée de petits propriétaires terriens indépendants. Nous avons seulement en héritage l'idée de la bataille grecque en tant que notion héroïque, nous l'avons isolée de la réalité du combat et avons ignoré ses véritables enseignements en appliquant le mode de pensée des Grecs à un ensemble de circonstances tout à fait différent et dangereux à à un théâtre d'opérations qui lui est étranger."
  Entre "Guerre et agriculture dans la Grèce classique (1984) et "Carnage et Culture" (2001), "Le modèle occidental de la guerre" renouvelle la perception que nous avons de l'héritage grec sur notre culture de la guerre, et sur notre culture tout court. L'ethos guerrier occidental, qui peut être une idée discutable (et qui est d'ailleurs discutée!) est lié, pour l'auteur, dont on connait par ailleurs la sympathie pour une idéologie néo-conservatrice, à l'essence même du régime politique démocratique occidental. Sans doute y-a-t-il des chapitres entiers sautés dans cette vision et que la réalité est moins simple, mais elle a le mérite de faire réfléchir sur une certaine éthique du combat et de la guerre, comme au lien entre régime politique et forme de l'armée.
  
    Victor Davis HANSEN a toujours en tête dans son "modèle occidental de la guerre" la confrontation de cette manière de faire la guerre à celle hors Occident, à laquelle se heurte par exemple les armées américaines en Irak ou ailleurs aujourd'hui. Ce modèle de guerre s'oppose à celui de nombreux stratèges et stratégistes chinois, que l'on songe aux rédacteurs des "36 stratagèmes" (TAN DAOJII, 420-479) ou des "13 articles sur l'art de la guerre" (SUN TSE, 512-473 av.JC).

  Victor Davis HANSEN, Le modèle occidental de la guerre, La bataille d'infanterie dans la Grèce classique, Les belles lettres, collection Histoire, 1990, 298 pages. Introduction de John KEEGAN, traduction de l'américain par Alain BILLAULT, "The western way of war, infantry battle in classical Greece", 1989.
  Notez bien un site officiel http://victorhanson.com
  Cet ouvrage a été également publié en français chez Tallandier, collection texto, en 2007.

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Relu le 9 août 2018
                                                                                                

 

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