15 octobre 2008
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Stratégie directe et stratégie indirecte
"La stratégie directe est celle qui opère du fort au fort, en vue de la destruction ou de la neutralisation de l'ennemi, la plus complète possible, dans les délais les plus rapides. La stratégie indirecte est celle qui opère aussi bien du fort au faible que du faible au fort, en vue, dans le premier cas de déstabiliser ou d'affaiblir l'ennemi avant de lui porter le coup décisif et, dans le deuxième, de durer pour fatiguer l'adversaire." (Hervé COUTEAU-BEGARIE). Difficile de faire plus concis même si on peut émettre des réserves sur la formulation de la partie concernant le faible au fort.
C'est le stratégiste Basil LIDDELL HART (1895-1970) qui entreprend de théoriser l'approche indirecte qu'il estime supérieure. Sans adopter bien entendu son point de vue, Hervé COUTEAU BEGARIE écrit dans son Traité de stratégie que "la stratégie d'anéantissement est, par essence, une stratégie directe puisque son but est la destruction de l'ennemi dans ses forces vives. La stratégie d'usure, en revanche, peut être directe ou indirecte : directe lorsqu'elle s'attaque à la force principale de l'ennemi, qu'elle va ébranler par des coups successifs ; indirecte, lorsqu'elle est mise en oeuvre contre des forces secondaires ou sur des théâtres périphériques."
André BEAUFRE, toujours à propos des thèses de Basil LIDDELL HART, pense qu'il "demeure que l'idée centrale de cette conception (l'approche indirecte) est de renverser le rapport des forces opposées avant l'épreuve de la bataille par une manoeuvre et non par le combat. Au lieu d'un affrontement direct, on fait appel à un jeu plus subtil destiné à compenser l'infériorité où l'on se trouve."
L'essentiel est que la stratégie indirecte est celle qui veut faire reposer la décision sur des moyens autres que la victoire militaire. Dans un monde dominé par la menace nucléaire "la stratégie indirecte apparait comme l'art de savoir exploiter au mieux la marge étroite de liberté d'action échappant à la dissuasion par les armes atomiques et d'y remporter des succès décisifs importants qui peuvent y être employés." ( Introduction à la stratégie).
Pour restituer le sens de la stratégie indirecte, rien de mieux (mais on y reviendra plus longuement par l'étude de son livre clé "La stratégie", paru en 1960, réédité en France en 1995) : "La perfection de la stratégie consisterait à entraîner une décision sans combat sérieux. L'histoire (...) fournit des exemples dans lesquels la stratégie, bénéficiant de conditions favorables, a en pratique abouti à de tels résultats.(...). Ce sont là des cas où la destruction des forces armées était obtenue à moindres frais par le désarmement que supposait leur reddition, mais une telle "destruction" peut ne pas être essentielle pour parvenir à une décision et à la réalisation du but de guerre. Dans le cas d'un Etat recherchant non pas la conquête mais le maintien de sa sécurité, le but est atteint si la menace est écartée, dès lors que l'ennemi est conduit à renoncer à son objectif". Le but véritable d'un stratège défendant un territoire n'est pas de rechercher la bataille décisive, mais la situation stratégique si avantageuse que "si elle ne produit pas elle-même la décision, sa poursuite par la bataille permettra à coup sûr d'y parvenir."
L'usage de la stratégie indirecte est "idéal" dans le cas d'une résistance à une invasion. Le stratège recherche alors tous les moyens pour parvenir à décourager l'adversaire dans la poursuite d'un objectif d'occupation ou d'exploitation de ressources.
Stratégie d'anéantissement ou stratégie d'usure.
Les stratégies d'usure et d'anéantissement ne recoupent pas les stratégies directe et indirecte, comme l'écrivent certains auteurs qui ne pensent qu'à la stratégie militaire. Une autre correspondance plus juste est établie avec les guerres illimitées et limitées, mais la distinction entre ces deux types de guerres n'est guère comprise (par la plupart des états-majors militaires et les théoriciens militaires) jusqu'à ce que l'historien Hans DELBRÜCK, dans les années 1880, la reprenne, à partir d'un texte inédit de CLAUSEWITZ, qu'il publie en 1878 et d'une réévaluation de la stratégie de FRÉDÉRIC II.
L'historien allemand réfute alors l'idée, alors commune, du grand roi précurseur de NAPOLEON et MOLTKE sur le chemin de la guerre totale : les conditions politiques et sociales du temps, ainsi que le rapport de forces avec l'Autriche, l'incitent à ne pas rechercher la bataille décisive. En développant cette analyse, DELBRÜCK dépasse le problème des fins de la guerre pour s'attacher à celui de sa conduite. Cela l'amène à poser la distinction entre stratégie d'anéantissement et stratégie d'usure. La première est celle de NAPOLÉON, la deuxième aurait été celle de FRÉDÉRIC II, incapable de frapper le coup décisif du fait de la faiblesse de ses moyens et donc condamné à fatiguer son adversaire par une série de coups de détail. Contrairement à ce que suggèrent plus tard ses critiques, DELBRÜCK précise que la stratégie d'anéantissement n'a qu'un pôle, la bataille, tandis que la stratégie d'usure en a deux, la bataille et la manoeuvre, entre lesquels évoluent les décisions du général. Il établit une généalogie de ces deux formes fondamentales : la première a été pratiquée par ALEXANDRE, CÉSAR et NAPOLÉON ; la deuxième par PÉRICLÈS, BÉLISAIRE, WALLENSTEIN, GUSTAVE-ADOLPHE et FRÉDÉRIC LE GRAND.
Cette présentation fait polémique et éditorialement parlant, cette "querelle des stratégies" s'est éteinte avec ses protagonistes.
Sur un plan historique, la question est réglée : DELBRÜCK a tort d'opposer trop catégoriquement la stratégie de FRÉDÉRIC II à celle de NAPOLÉON (et l'étude de leurs plans va plutôt dans ce sens) et d'établir une généalogie trop stricte de ces deux formes, en suggérant que les grands capitaines s'inscrivent dans l'une ou l'autre filiation. Comme le fait remarquer l'historien Otto HINZE dès 1920, la distinction n'est pas aussi tranchée et certains grands capitaines ont mis en oeuvre les deux formes selon les circonstances. Sur un plan théorique, en revanche, comme l'explique Hervé COUTEAU-BÉGARIE, la question posée par DELBRÜCK reste d'une grande importance : le problème se situe sur quatre plans au moins :
- Cette distinction recoupe t-elle celle entre deux guerres?
- La stratégie d'usure peut être la continuation d'une stratégie d'anéantissement qui n'a pas réussit ;
- Cette distinction est-elle purement empirique (DELBRÜCK) ou se retrouve t-elle sur un plan conceptuel (CLAUSEWITZ)? Les stratégies alternatives sont, par principe, des stratégies d'usure, puisqu'elles reposent sur la volonté de refuser l'affrontement en ligne. Mais on pourrait concevoir une stratégie alternative visant à la destruction de l'ennemi, par exemple par une insurrection généralisée, mais les exemples historiques sont peu probants...
- Cette distinction est-elle transposable au plan opératif? Le contre-amiral WIYLIE systématise deux modes opération, qu'il proposent d'appeler séquentiel et cumulatif.
Dans le premier, caractéristique de la stratégie d'anéantissement, une action doit aboutir à un résultat logique et chacune dépend de ce qui la précède : ce n'est que lorsque le premier objectif est atteint que l'on peut passer au suivant.
Dans le deuxième, caractéristique de la stratégie d'usure, le résultat est obtenu par une masse de petites actions indépendantes les unes des autres, comme dans la guerre au commerce maritime ou le bombardement stratégique.
Basil LIDDELL HART, extrait de La stratégie, dans Anthologie mondiale de la stratégie, compilation commentée par Gérard CHALIAND, dans la collection Bouquins, Robert Laffont, 1990 ; André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Hachette Littérature, collection Pluriel, 1998 ; Hervé COUTEAU-BEGARIE, Traité de stratégie, Economica, 2002.
STRATEGUS
Basil LIDDELL HART, extrait de La stratégie, dans Anthologie mondiale de la stratégie, compilation commentée par Gérard CHALIAND, dans la collection Bouquins, Robert Laffont, 1990 ; André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Hachette Littérature, collection Pluriel, 1998 ; Hervé COUTEAU-BEGARIE, Traité de stratégie, Economica, 2002.
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Complété le 5 mars 2017