27 novembre 2008
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3 - Méthodes et objets des recherches
Dans la premières des trois grandes parties des textes de 1980 figure en premier un texte de Jean-Marie DOMENACH de tentative de situation globale de la violence dans nos sociétés. Après un survol philosophique qui sollicite HEGEL et SARTRE, il conclu sur le fait que pour "la première fois dans l'histoire, la violence, cette conduite typiquement humaine, ne parvient plus à se justifier. Sa logique propre ne semble plus pouvoir être contenue. Lorsque les possibilités ultimes de la violence équivalent à la destruction de l'humanité, il devient insuffisant de réclamer des limitations et des contrôles. C'est à une autre problématique, à une autre pratique, à une autre politique que nous sommes invités, en attendant d'y être en quelque sorte contraints, car l'idéalisme devient nécessaire lorsqu'il converge avec l'impératif de la survie."
Suivent plus loin trois textes centrés sur les orientations des recherches sur la violence.
- L'"examen critique des méthodes quantitatives appliquées aux recherches sur les causes de la violence", d'Alain JOXE dénonce surtout l'impasse d'approches quantitatives des cycles de violence, des causes d'escalades des conflits ou des efforts militaires comme causes des guerres. Il s'agit là sans doute de critiques directes contre certaines études (en vogue à l'époque à l'Institut de Polémologie en France, par exemple) qui se résument à des statistiques sur la violence mondiale, par catégories d'armes, par zones géographiques, par types de victimes... et sur d'autres...au Pentagone par exemple.
"La prétention extraordinaire des quantitativistes ne pourra jamais arriver à faire confondre l'"habitude de penser opérationnellement" avec les exigences de précision de l'historien et la capacité de produire des concepts clairs et productifs.
Il est certain que la plupart du temps les quantitativistes n'ont pas eu à discuter sérieusement avec des marxistes parce que leur polémique se déroulait avec les "raditionnalistes"" qui ne peuvent et ne souhaitent leur opposer que des arguments de "bon sens". Quant aux plus critiques au sein même du groupe quantitativiste, même s'ils sont capables d'énumérer bien plus complètement qu'on ne l'a fait ici les vices de formes et les absurdités de la manie de quantifier, ils n'envisagent nullement d'autre issue qu'une meilleure précision dans l'élaboration des concepts et des méthodes."
- La "contribution spécifique des recherches sur la paix à l'étude des causes de la violence", de Johan GALTUNG (alors directeur de projet à l'université des Nations Unies à Genève) discute des typologies de la violence. Il tente de sérier les différentes approches et il est intéressant d'en retenir un passage de texte sur l'une d'elle, souvent oubliée par beaucoup d'experts et beaucoup de commentateurs d'événements suscitant l'émotion.
"Reprenons, pour le développer, un adage classique du pacifisme : l'idée que la violence engendre la violence.
D'où quatre propositions :
1 - La violence horizontale directe engendre la violence horizontale directe (et, par voie de conséquence, "toute action préparatoire à la violence directe entraîne une action préparatoire à la violence directe" - base de l'une des théories de la course aux armements, celle de l'action-réaction). Or, cette théorie qui ne tient pas compte ni de la structure ni de la dimension verticale ne permet pas d'appréhender les phénomènes les plus importants de notre époque.
2 - La violence structurelle engendre la contre-violence directe, laquelle engendre la contre-contre violence directe. La première proposition ne renvoie qu'à certaines caractéristiques du "conflit Est-Ouest", alors que la seconde recouvre bien des aspects du "conflit Nord-Sud". Elle découle en outre de l'idée générale, prise comme hypothèse, que la violence structurelle qui se traduit par la répression et l'aliénation engendre aussi, tôt ou tard, la contre-violence directe sous une forme ou une autre. Mais on peut aussi inverser la proposition :
3 - La violence (horizontale) directe engendre la violence structurelle. Les guerres de conquête peuvent servir à mettre en place des structures caractérisées par l'exploitation, l'infiltration, la fragmentation et/ou la marginalisation. Sur un plan international et en termes d'économie, cette situation débouche sur l'"impérialisme capitaliste": division du travail entre les producteurs de matières premières et des industries manufacturières, infiltration de la périphérie au moyen de têtes de pont, fragmentation de cette périphérie en pays n'entretenant guère de relations (et fragmentation de ces pays en districts et en secteurs économiques isolés les uns des autres), exclusion de la périphérie quant à la participation aux véritables centres de décision.
4 - La violence structurelle engendre la violence structurelle. La pauvreté peut conduire à la répression et la répression à l'aliénation, se traduisant parfois par des périodes de violence verticale directe. Ces rapports sont moins connus, mais les typologies devraient aussi mentionner les situations possibles qui jusqu'ici n'ont guère été étudiées".
Lorsque ce texte a été écrit, le monde était encore sous l'emprise du conflit Est-Ouest et les relations Nord-Sud étaient encore régies par des fossés entre des Etats. Aujourd'hui, d'autres conflits ont éclatés, mais surtout les violences structurelles traversent maintenant les Etats, et évidemment les catégories Est, Ouest, Nord, Sud ont éclaté en d'autres catégories bien plus complexes. On peut retenir encore aujourd'hui cette typologie entre violences structurelles (économiques, culturelles, écologiques...) et violences directes (des armées, des appareils policiers, des contraintes psychologiques...), les premières étant souvent masquées, dans le courant des événements rapportés par les médias, par les secondes...
- "L'apport spécifique des recherches sur la paix : l'analyse des causes de la violence sociale", de Didier SENGHAAS (Alors professeur à l'Université de Brême en République Fédérale Allemande) tente, à partir de quelques résultats de recherches antérieures de dégager de nouvelles perspectives de recherches sur :
- la nature humaine et la personnalité de l'individu et notamment sur les causes de l'agressivité individuelle ;
- le rôle des grands groupes d'intérêts ;
- les élites dominantes et les structures de classes en tant que bases sociétales de la violence sociale ;
- le rôle des grands moyens d'information et de l'opinion publique dans le déclenchement, la propagation et le dénouement des manifestations de violence ;
- les caractéristiques propres des cultures et des systèmes nationaux et leur rôle dans la production et la propagation de la violence ;
- le rôle des gouvernements et des bureaucraties ;
- le rôle des stratégies nationales - le rôle des processus de décision dans la manière de traiter la violence structurelle et directe ;
- l'escalade de la violence déclenchée par des interactions conflictuelles ou antagonistes de groupes sociaux appartenant à une même société ou à des sociétés différentes.
Dans les textes de 2005, au premier chapitre intitulé "Nouvelles formes de violence et tentatives de réponses aux nouveaux défis : typologie des formes de violence ; causes et sources de la violence", le débat se transporte plutôt sur une autre tonalité finalement plus classique - au point de vue institutionnel - où le social et l'économique sont remarquablement absents.
- "Repenser les conflits", de Dominique DAVID (Responsable des études de sécurité à l'IFRI - l'Institut Français des Relations Internationales - de Paris) appelle à dépasser le paradigme des guerres intra-étatiques, face à la multiplication des violences "à contre-pied" : - l'extension d'une violence locale à des centaines ou des milliers de kilomètres du lieu du conflit (missiles, avions kamikazes type 11 septembre) ;
- la propagation accélérée des moyens de violence (armes légères) dans le courant d'une mondialisation des échanges ;
- la multiplication des postures dissymétriques et asymétriques. "La première oppose un fort et un faible. Dans toute bataille, il y a un fort et un faible. On peut, d'entrée, se tromper sur l'identification du fort, ou du faible, mais c'est toujours le fort qui finit par gagner. Dans ce cadre dissymétrique, le champ conflictuel est homogène, les acteurs se battent sur un même plan et avec un même système de références.
La seconde posture, dite asymétrique, est quelque chose de tout à fait différent. C'est la situation où un petit est doté de moyens, quels qu'ils soient - le plus souvent techniques mais pas forcément -, qui lui permettent de contourner d'un seul coup l'ensemble du dispositif du gros. Le 11 septembre 2001, les personnes qui ont jeté leurs avions sur le World Trade Center et le Pentagone ont, d'un coup, contourné l'ensemble du dispositif de défense de la plus importante puissance militaire de la planète."
Il y a urgence à penser "plusieurs mondes" : "...s'il existe bien un monde de la grande puissance, où la violence est relativement réduite, codifiée, maîtrisée, il existe également un monde étatique relativement classique, où l'affirmation de la puissance en général et de la puissance militaire demeure déterminante - pensons à ce qui se passerait en Asie par exemple, dans les décennies à venir. Il existe, en outre, un troisième monde, lui-même multiple, où les espaces dérégulés sont occupés par des acteurs non étatiques, transnationaux et infra-étatiques dont l'importance est d'autant plus centrale que les structures étatiques sont moins solides. Nos système de sécurité, nos systèmes de pacification, si je puis hasarder ce mot, doivent prendre en compte simultanément l'ensemble de ces mondes."
-"La force et la violence : une distinction capitale", de Blandine KRIEGEL (Chargée de mission auprès de la présidence de la République Française) propose de réfléchir à l'opposition entre la force et la violence. "Cette opposition (...) est au coeur de la pensée classique de HOBBES et de SPINOZA comme elle est au principe de l'opposition entre les sociétés qui se sont construites par le travail et celles qui se sont édifiées par la guerre et la conquête, autrement dit entre les sociétés économiques et les sociétés guerrières. Le modèle des sociétés économiques qui se développent pour atteindre à la puissance, à une puissance économique toujours plus grande, n'implique pas qu'il existe nécessairement un vainqueur et un vaincu. (...) A l'inverse, la violence est toujours destructrice. Elle est fondée non sur la compétition par l'accumulation de forces mais sur l'établissement de la domination par la suppression des vies humaines. (...) Si les classiques sont d'accord pour évacuer la guerre de la société civile, ils imaginent toujours une exception, un cas limite, celui où la survie est en cause. (...) La violence est donc quelquefois nécessaire mais elle entraîne toujours une perte et une destruction, une déperdition. De ce point de vue, elle n'est donc pas seulement une puissance."
Elle termine sur un acte de foi : " Moins confiants que le XVIIIeme siècle et le XXème siècle dans l'inéluctabilité d'un progrès collectif que le XXème siècle a si souvent démenti, nous pouvons cependant continuer de parier : ce n'est pas parce que la violence a été qu'elle devra toujours être. L'éthique de la norme à venir est celle d'une philosophie ouverte sur le temps de l'humanité."
- "Le nouveau discours de la guerre", d'Yves MICHAUD (Professeur de philosophie à l'Université de Rouen), rappelle que la rationnalisation clausewitzienne de la guerre "n'est qu'un moment du discours de la guerre". Il parcourt des variantes inédites : l'hyperterrorisme (distincte du terrorisme par sa logistique, par la nature de ses objectifs et la diversité de ses actions), la guerre préventive (contre la dissémination -réelle ou supposée - d'armes de destructions massives), la guerre humanitaire (ingérence humanitaire pour faire cesser des situations intolérables).
Ces nouvelle formes inédites interviennent au moment de l'émergence d'une "société civile internationale".
"Il n'est pas étonnant que, dans ces conditions, se fasse jour un nouveau discours de la guerre où figurent, en lieu et place de la dissuasion, des alliances et des pactes d'antan, la guerre asymétrique, le terrorisme, le nettoyage ethnique, la guerre préventive et, pour s'y opposer, la guerre humanitaire, les organismes internationaux, les organisations non-gouvernementales et les promesses d'une nouvelle société civile internationale éminemment ambiguë qui, par bien des côtés, nous fait revenir du monde de "Paix et guerre entre les nations" (ARON), monde placé sous le signe de l'équilibre de la terreur, vers un monde qui ressemblerait plutôt à celui de l'après-Congrès de Vienne (1814-1815), après la chute de l'empire napoléonien, mais agrémenté de terroristes, de gaz sarin, d'anthrax et de kamikazes fous de Dieu. Dans ce monde étrange, les Etats voient leur souveraineté remise en questions à une extrémité par l'émergence d'une communauté internationale et, à l'autre, par l'anarchie aussi bien intérieure qu'internationale.(...)
Le nouveau discours de la guerre correspond à cette situation instable et ambiguë où la menace plane sans qu'on puisse faire vraiment confiance à une communauté internationale où des puissances inégales coopèrent et en même temps se font concurrence, où se dessinent des bribes de conscience morale cosmopolitique sans que s'établissent pour de bon "un consensus moral et objectif et une légitimité capable d'entraîner ou d'imposer l'adhésion des Etats et des groupes en conflit, d'arbitrer leurs différends, de juger et de punir leurs agressions ou leurs crimes" (Pierre HASSNER)"
SOCIUS
Relu (provisoire, car sans doute les études présentées vont faire l'objet d'autres développement en 2019) le 19 octobre 2018.