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10 décembre 2008 3 10 /12 /décembre /2008 08:36
            5  Violence économique et sociale

               Les textes de la troisième partie de 1980 portent sur la violence économique et sociale.
        "La violence et le développement socio-économique" de Rasheeduddin KHAN (alors professeur de science politique à la Jawaharial Nehru University en Inde), un des articles les plus denses contributeurs à ces travaux de l'UNESCO, établit une typologie de la violence en s'appuyant notamment sur les travaux de Johan GALTUNG. Il expose ainsi un diagramme où figurent les violences :
- intentionnelle ;
- involontaire ;
- physique ;
 - psychologique ;
 - sans motif (on peut se demander ce que c'est...) ;
 - motivée (évidemment...) ;
 - manifeste ;
 - latente ;
              Ces violences étant réparties dans deux têtes d'arborescence : personnelle et structurelle.

Il passe en revue ensuite les théories sur l'étiologie de la violence :
- frustration-colère-agression (dégagée par John DOLLARD) ;
- privation relative (élaborée par Ted Robert GURR) ;
- courbe J, de DAVIES ;
- changements sociaux et frustration systématique, de FEIERABEND-NESVOLD ;
- effet de la modernisation dans les société en transition, de Samuel HUNTINGTON.

     L'auteur les évalue et relève que ces cinq théories "ne reconnaissent pas le processus global et essentiel - celui de la décolonisation - qui imprègne la vie, la société, l'économie et la politique de la plupart des Etats et territoires existants. Sur les 148 États qui sont aujourd'hui membres de l'Organisation des Nations Unies, plus de 100 (...) affrontent aujourd'hui le défi prodigieux de forger une identité nouvelle à partir des débris du système colonial disparu. Mais cette réalité urgente est presque totalement méconnue par la sagesse ésotérique des constructeurs occidentaux de modèles du changement social, si ce n'est à titre de référence indirecte. Il est donc normal que la nature, le rôle et l'impact des mouvements de libération soient, au mieux, relégués au second plan. De même, on sous-estime le rôle que l'idéologie joue pour mobiliser, encadrer et stimuler les populations en direction du changement, du soulèvement et de la révolte. Ou bien on la mentionne de façon péjorative.".
     Dans un paragraphe intitulé "Les modes de la violence structurelle", il montre les corrélations entre contextes conjoncturels, systèmes écopolitiques et violence. Il distingue 5 contextes conjoncturels (colonial/lutte de libération, postcolonial/indépendance naissante, ex-colonial/Néo-métropolitain, socialisme en cours de construction, socialisme mûr) et 4 types de systèmes économiques (primitif/économie de subsistance, société tribale, faible technologie, au seuil de la révolution urbaine, traditionnel/économie de troc, société féodale, technologie intermédiaire, au seuil de la révolution industrielle, moderne (capitaliste)/économie fondée sur la monnaie et le crédit, société post-industrielle de libre entreprise, orientée vers le profit et la concurrence, échanges commerciaux mondiaux dominées par les entreprises multinationales, révolution de l'automatisation en cours, moderne (socialiste)/économie fondée sur la monnaie et le crédit, société industrielle coopérativiste et à planification centralisée, démocraties socialistes).
Dans un contexte dominant de décolonisation (référence à Franz FANON), le changement social est vu successivement sous l'angle marxiste et l'angle non-marxiste. Il conclue ce long parcours (court si l'on considère la densité des points de vue présentés) en discutant du mal-développement, cause de la violence.
  Bien entendu, cet article est très orienté - point de vue marxiste, très marqué, avec une vision des "étapes" du développement économique un peu datée - mais il a le mérite de restituer l'essentiel des causalités entre économie et violence, dans les diverses théories de la violence. On y reviendra bien entendu dans ce blog assez souvent par la suite.

               "Violence silencieuse, famine et inégalités" de Pierre SPITZ  (alors directeur pour l'Asie du projet de recherches "systèmes alimentaires et société" de l'Institut de recherches des Nations Unies pour le développement social, à Genève, Suisse) critique les discours sur l'inégalité rencontrés tant chez les classes possédantes que dans les mouvements paysans. Il montre les liens - énoncés de manière déjà ancienne - entre violence internationale et famine. Il expose le long cheminement des organismes internationaux à prendre en compte l'interdépendance étroite entre la sécurité internationale et la collaboration économique et sociale.

              "Violence "institutionnelle" et violence "démocratique" et répression", de Pierre MERTENS (alors Maître de recherche à l'Institut de sociologie de l'Université libre de Bruxelles en Belgique) montre la dialectique de ces deux violences. Il indique que l'on retrouve la violence répressive dans de nombreuses sociétés - totalitaires ou démocratiques. A travers de nombreux exemples pris de façon un peu hétéroclite, l'auteur insiste sur la violence politique : "l'État totalitaire use de la violence comme système de gouvernement, la démocratie n'y recourt que ponctuellement ou par accès, dans ce qu'il est convenu d'appeler des "périodes de crise" : dans de telles conjonctures, mêmes les conventions internationales qui imposent le respect des droits de l'homme prévoient que l'application de la plupart de ceux-ci peut être suspendue."
  La violence intellectuelle, elle, reste souvent diffuse, et notamment "une culture apparaît étroitement liée à une société donnée qui l'engendre, la nourrit, l'enseigne, la répercute, donc, jusqu'à un certain point, l'impose. Dans son affirmation d'elle même, elle nie du même coup l'existence d'autres cultures ou, tout au moins, prend leur place, fonctionne "comme si" celles-ci n'existaient pas." L'auteur termine sur "la répression de la violence contre-institutionnelle", met l'accent sur des aspects souvent occulté de la fonction publique et  surtout - résonance particulière avec notre époque - veut faire réfléchir sur la répression du terrorisme comme sur la pratique de la torture dans certains États démocratiques (par exemple la Grande Bretagne en Ulster, Irlande du Nord).

                "Les femmes et la violence sociale" d'Elise BOULDING (alors Directeur du département de sociologie de l'Université Dorthmouth aux Etats-Unis) examine la guerre des sexes.
  "Les femmes ressentent la violence structurelle et la violence comportementale plus durement que les hommes ; car la définition sociale de leur conformation biologique leur assigne un descripteur secondaire particulier - leur condition de femme - qui limite leur statut social à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. L'inégalité de la distribution des ressources, déterminée hiérarchiquement dans toutes les sociétés sauf les plus rudimentaires, s'en trouve encore aggravée au détriment des femmes.". "Bien que les caractéristiques de son rôle soient différentes de celles de l'homme, la femme a reçu la même initiation que lui à la culture de la violence, et elle use donc de la violence chaque fois qu'elle le peut, pour protéger ou rehausser son statut."
    Comprendre comment les structures institutionnelles de la société oppriment les femmes, comment elles sont victimes de la violence comportementale, comment elles deviennent elles-mêmes des agresseurs, permet d'envisager la fin de l'oppression et de la violence.
  En conclusion, l'auteur avance : "Nous allons sans doute observer dans l'immédiat une recrudescence de la violence chez les femmes, soucieuses de faire l'essai des nouvelles possibilités qui leur sont offertes. J'y verrai, pour ma part, une phase de transition dont l'aboutissement dépend de nous. Elle pourrait déboucher sur une ère nouvelle de justice et de paix. il faudrait pour cela que la participation égale des femmes et des hommes dans tous les domaines se développe, ce qui n'est possible que si nous sommes prêt à remettre délibérément en question les valeurs et les options comme les êtres humains n'ont su le faire qu'aux moments cruciaux de leur histoire.(...)".


     
      Les chapitres 3 et 4 des textes de 2005 comportent 7 contributions réparties en deux thèmes "fanatisme et sacrifice" et "corruption".

    Pour ce qui concerne le fanatisme et le sacrifice :
      
         - "Logiques religieuses de la violence" d'Olivier ABEL (Professeur à la faculté théologique de Paris) veut combattre certains simplismes.
"Chaque religion a (...) essayé de reconnaître la part violente de l'humanité et d'y faire droit, tandis que nos sociétés se sont plutôt fondées sur un optimisme qui s'articule autour de trois logiques : la technicisation - il y a toujours une solution technique -, la mondialisation - c'est bien de communiquer et d'échanger -, la rationalisation - la rationalité c'est d'économiser, car la raison veut qu'on obtienne beaucoup de résultats pour peu d'investissement, sans détruire, sans dépenser n'importe comment, etc. Les religions ont fait droit à quelque chose qui se situe en contre-point de ces trois logiques. (...). Quand je parle de violence religieuse, j'entends à la fois la violence qui est introduite ou intensifiée par les religions et la manière donc celles-ci essaient de la canaliser, de la ritualiser, voire de l'instituer."
      L'auteur termine sur les solutions aux grandes formes de violence religieuse : l'amour des ennemis et le canon.
"Cet amour des ennemis est une forme d'intelligence. il faut pouvoir se mettre à la place de ses ennemis, l'intelligence consistant à comprendre que les ennemis qui nous paraissent fous, fanatiques, intégristes, sont peut-être sincères. Il faut comprendre qu'ils peuvent avoir des amis, et nous mettre ainsi à la place des amis de nos ennemis".
"Le fait d'accepter ensemble (des textes) obligeait les rescapés d'une probable guerre de religion à cohabiter dans le même monde, puisqu'ils étaient ensemble soumis aux mêmes textes canoniques. Ce geste est très important pour comprendre l'origine du droit, celle-ci étant non pas d'éluder le conflit mais de l'instituer, en le rendant négociable, durable, réinterprétable de génération en génération.".

        - "Subvertir nos modes de pensée" de Mohammed ARKOUN (Professeur émérite de l'université Paris III) revient sur les efforts de l'UNESCO en matière d'éducation.
"Les problèmes de l'éducation et de la culture sont devenus plus lourds et plus complexes malgré les efforts déployés par l'UNESCO depuis sa création. On a dépensé beaucoup d'argent et mobilisé beaucoup de ressources humaines. Le nombre des élèves et des étudiants a augmenté, mais à un rythme au moins égal se sont accentués la régression des pédagogies, l'appauvrissement des programmes, le recul de l'esprit critique ainsi que l'invasion d'une religiosité et d'une crédulité dont on ne trouve pas de précédent au temps où prédominait une culture orale dans des sociétés paysannes, pastorales, montagnardes qui étaient parfaitement intégrées dans des systèmes de valeurs et de représentation certes "traditionnels", mais cohérents et socialement performants. On découvre ainsi que ce que l'on nomme uniformément l'éducation peut avoir des effets pervers qui vont jusqu'à déclencher des guerres civiles effroyables.".
   Face à cela, il faut changer nos grilles de lecture. L'auteur cite deux textes "provocants" propre à susciter la réflexion. Il s'agit du verset 5 de la sourate IX du Coran (qui traite de la guerre juste) et d'un extrait de l'Éloge de la nouvelle milice de Saint Bernard de Clairvaux.
  Les termes fanatisme, racisme et violence religieuse se sont concentrés sur l'Islam, devenu "mot-valise", obstacle à une claire action contre ceux-ci. Mohammed ARKOUN déplore l'alimentation de cette "valise" par la réélection triomphale de George BUSH. "Cela oblige à réexaminer aussi toute la question de l'usure des procédures formelles de la démocratie et la dissolution de toute légitimité politique issue de cette usure".

     - "La naissance du fanatisme dans la renaissance européenne" de Dominique COLAS (professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris) effectue un rappel historique.
"On pourrait aussi examiner comment les fanatiques qui ont accompagné la naissance de la Réforme en Allemagne ont été réhabilités par Engels, le camarade de combat de Marx, et comment les marxistes se sont explicitement réclamés des premiers fanatiques de l'Europe moderne pour inscrire leur trajectoire dans cette insurrection (contre les princes, les autorités politiques et les magistrats chez Luther). ils y ont vu une première forme de la lutte des classes et se sont assignés un but similaire, à savoir instaurer sur terre un bonheur infini, c'est-à-dire à créer sur terre la cité de Dieu".  
    Dominique COLAS estime que l'on peut comprendre l'analogie possible des formes religieuses et politiques, au nom de cette utopie, mais cela conduit à bien des égarements.

     - "Les attentats du 11 septembre et l'idée sacrificielle" de Bernard LEMPERT (Philosophe et thérapeute) veut proposer "une sorte d'écoute idéologique des attentats du 11 septembre 2001".
"Ils se sont pensés (les auteurs des attentats) comme des sacrificateurs" en se sacrifiant eux-mêmes. "Le crime de masse va servir de théâtre à son propre sacrifice. Au passage, il aura détruit les processus symbolisant de sa culture en croyant se détruire. En réalité, il détruit, au-delà de lui-même, ce au nom de quoi il croit agir".

         Pour ce qui concerne la corruption :

       - "Violence et corruption, un couple systémique", de Marie-Christine DUPUIS-DANON (Consultante, auteur de "Finance internationale" paru en 2004) rappelle que "tous les Etats du monde vivent, à des degrés divers, avec la corruption. Il existe ainsi, en leur sein, un marché de l'illégal plus ou moins développé. Les acteurs en sont les corrupteurs et les corrompus.".  
  L'institutionnalisation de l'État moderne et de la démocratie va de pair avec une différenciation du public et du privé. La corruption se caractérise par une confusion partielle entre les deux sphères.
  Elle examine les différentes formes de violence associée à la corruption :
- entre acteurs du contrat de corruption ;
- sur les personnes non liées par le contrat de corruption ;
- à travers la captation d'une partie de l'État;
- provenant d'une dérégulation de la corruption : elle peut se présenter comme solution de rechange à la violence, les organisations criminelles se recyclant dans des activités de contrainte sans utilisation directe de la violence, les personnes s'y opposant étant soumis à une extrême violence.
   Face à cela, les instruments de lutte restent insuffisants. La spécialiste en finance criminelle termine par le bref examen de deux conventions élaborées dans le cadre de l'ONU : la Convention contre la criminalité transnationale organisée de Palerme et la Convention des Nations Unies contre la corruption, toutes les deux datant de 2003.
  "L'approche juridique est nécessaire, mais non suffisante. La pression extérieure doit jouer pleinement son rôle dans une société globalisée : rôle des ONG (Organisations Non Gouvernementales), pression par les pairs, conditionnalité des bailleurs de fonds, implication et reconnaissance de la société civile, etc."

           - "Au-delà de la morale et de l'utilitarisme", de Jean-Michel BLANQUER (Recteur de l'Académie de Guyane) qui se livre à une définition et à une typologie de la violence :
   "La violence, surtout dans son rapport avec la corruption, peut être vue comme la pierre angulaire du passage de la sphère privée à la sphère publique. Si l'on accepte la définition classique de Weber, à savoir que l'État dispose de la violence légitime, on peut admettre que, dès qu'il y a violence, on passe du domaine des questions privées au domaine des questions publiques. On passe de ce qui est accepté à ce qui est répréhensible, domaine où l'État, la chose publique, a le droit d'intervenir. Ainsi, la violence n'est pas seulement ce moment décisif, sur le plan anthropologique, où l'homme chercher à s'affirmer tout en doutant de lui-même, elle est aussi l'élément fondamental du passage du privé au public. Dès lors, et en restant toujours dans l'optique du lien entre la violence et la corruption, on peut définir la violence comme une maladie de l'espace public et la corruption comme une rupture de l'égalité dans l'accès à l'espace public."
   Sur la base d'une telle définition, il distingue 9 catégories de violence, "allant du plus privé au plus public" :
- la violence contre soi-même (suicide ou usage de drogues) ;
- les violences domestiques (dont sont surtout victimes les femmes et les enfants) ;
- la violence de la rue ;
- la violence sociale ;
- la violence ethnique ;
- la violence du crime organisé ;
- la violence de la terreur politique organisée (terrorismes, guérillas) ;
- la violence d'État (régimes autoritaires, polices déviantes) ;
- la violence inter-étatique (guerre, dont les victimes d'aujourd'hui sont à 90% civiles).
   L'auteur porte surtout son attention sur l'Amérique Latine où les fragilités de l'intégration nationale, l'urbanisation sauvage, la corruption endémique se combinent.

              - "Le cas colombien" de Rosa Inès Ospina ROBLEDO (Directrice exécutive de Transparencia por Colombia) et de Luis Jorge GARAY (Chercheur) qui livreny le résultat d'un travail de recherche "sur le point de vue théorique  de la relation qui existe entre la violence et la corruption en Colombie".
 "La dynamique de la violence est une constante de l'histoire colombienne. Elle s'est transformée et accélérée ces derniers temps, affaiblissant la gestion des affaires publiques et les valeurs sociales par ses deux principales manifestations : le trafic de drogue et le renforcement des groupes armés illégaux.".  "Les informations empiriques dont on dispose sur le cas de la Colombie valident l'hypothèse selon laquelle un contexte de violence accroît les risques de corruption. il n'est pas aussi évident, en revanche, que la corruption soit l'une des principales causes de la violence. On est en droit d'en conclure que les efforts déployés pour créer un environnement pacifique devraient permettre de réduire la corruption dans ce pays."

                                                                                    SOCIUS

  Relu le 4 décembre 2018          
 
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