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18 décembre 2008 4 18 /12 /décembre /2008 13:28
           Opposées dans les médias aux armes létales (tuant ou blessant), les armes non létales sont des armes conçues pour que les cibles ne soient pas tuées ou blessées trop lourdement. Sont placées dans cette catégorie ce que l'on appelait auparavant des armes anti-émeutes ou anti-insurrectionnelles, fabriquées dans le but d'être utilisées surtout contre des ennemis intérieurs, dans les rues par exemple, lors des émeutes ou des révoltes populaires. Elles sont aujourd'hui le résultat de développements technologiques relativement importants. Leur innocuité a toujours fait débat, surtout, notamment depuis le XIXème siècle.
         
           On peut regrouper comme armes non létales, des armes à munitions (balles et caoutchouc, flash ball...), des armes à impulsion électrique (pistolet commercialisé par la société Taser France), des armes "courantes" comme les canons à eau ou les gaz lacrymogènes ou encore les mousses, des ondes électromagnétiques ou d'autres dispositifs comme des émetteurs de sons à très hautes fréquence destinés tout particulièrement aux jeunes de moins de 25 ans...
               Jean-Bernard HUYGHE fait état de différentes définitions. Le ministère de la défense français considère comme armes létales, "des systèmes d'armes incapacitantes spécifiquement destinés et essentiellement employés à neutraliser les personnes ou le matériel tout en limitant les accidents mortels, les lésions définitives des personnes, et les dégâts non volontaires des biens et de l'environnement." Le GRIP, think tank critique sur les questions de défense et d'armement définit les armes létales comme "des armes discriminantes explicitement conçues et utilisées pour frapper d'incapacité le personnel et le matériel, tout en minimisant le risque mortel, les lésions permanentes, et les dommages indésirables et irréversibles aux biens et à l'environnement". Une autre définition militaire de l'armement non létal le nomme comme "un équipement dont la vocation spécifique est d'exercer une contrainte sur l'homme pour obtenir une diminution temporaire des capacités physiques et psychologiques pouvant aller jusqu'à la neutralisation".
Pour résumer ses caractéristiques idéales, prenons :
- incapacitant si possible sur-le-champ ;
- avec des effets temporaires et réversibles (du moins en principe) ;
- offrant une alternative à l'usage d'une force supérieure et potentiellement mortelle ;
- utilisable dans une situation où il y a à recourir à la force, mais dans un environnement humain qu'il faut épargner, ou encore dans une situation confuse ;
- agissante de manière ciblée.
         Enfin, le principe de l'arme non létale, rappelle Jean-Bernard HUYGHE, "est connu sinon énoncé depuis des temps immémoriaux. Eviter le sang inutile : ce problème s'est principalement posé dans des situations de contrôle des foules. Le plat de l'épée, le fouet, le bâton, la puissance des chevaux pour pousser la masse humaine, les chiens dressés à mordre : même si de telles méthodes nous paraissent barbares, elles ne tuent pas, "sauf accident". Dans un registre plus moderne ou plus bénin, la fameuse pèlerine plombée d'argent ou son "bidule" en bois étaient destinés au même usage. Les produits lacrymogènes servant à disperser la foule ont été utilisés pour la première fois en 1912 par la police française. Les recherches militaires sur les agents chimiques irritants et leur mise en oeuvre par la police américaine datent des années 1920 au moins. Pourtant, il faut attendre les années 1960 pour que s'impose l'idée d'inventer de nouveaux moyens de maîtriser les manifestants. Et surtout pour que l'on cherche le mot qui permette de penser la chose."

          De façon générale, l'apparition des nouvelles armes non létales (ou incapacitantes) à base d'utilisation de l'électricité ou de l'électromagnétisme, s'inscrit dans le développement de recherches techniques initiées pour la plupart lors du grand projet de "guerre des étoiles" du Président Reagan, dans les années 1980. Si le bouclier anti-missiles atomiques s'est révélé infaisable tant sur le plan technique que sur le plan financier, toute une série de recherches commencent à aboutir aujourd'hui. Ces nouvelles armes non létales suscitent des espoirs stratégiques, aux Etats-Unis notamment. Elles pourraient s'inscrire dans de nouvelles méthodes de gestion possibles des crises.
  Plus encore, certains spécialistes, comme Bernard LAVARINI, peut-être un peu trop enthousiastes, parlent de possible rupture polémologique, d'une nouvelle anthropologie guerrière.
 "(...) une opportunité historique se présente à l'humanité (...) : celle de se donner les moyens de maîtriser la violence par d'autres moyens que la même violence. Cette opportunité, le concept d'armes non létales, c'est-à-dire qui ne tuent pas et dont on peut ajuster l'énergie de neutralisation précisément pour ne pas tuer, peut la lui fournir. Ce concept ouvre de nouvelles perspectives à la sécurité collective. Il permettrait d'associer le droit d'ingérence et l'emploi, dans un cadre offensif global, d'armes capables de paralyser le "hors-la-loi" en évitant son anéantissement et un geste suicidaire éventuel. Le risque nucléaire a fait prendre conscience de la situation de crise comme un état intermédiaire entre la guerre et la paix dont il faut gérer l'issue pour éviter un nouveau traumatisme de la conscience universelle. Envisager l'emploi des armes non létales comme moyens de règlement des crises, le cas échéant en association avec les armes conventionnelles pour l'action, parait aujourd'hui historiquement opportun et technologiquement possible."
   "(...), la définition du concept d'armes non létales et de leurs principales caractéristiques opérationnelles veut qu'elles soient de nature à "paralyser" le personnel et à neutraliser temporairement ou définitivement les équipements ou systèmes, sans porter volontairement atteinte à la vie, sans provoquer de blessures graves et sans occasionner de préjudices importants et définitifs à l'environnement. En quelque sorte, il s'agit d'interdire la conduite des opérations et de placer les moyens de l'autre dans l'incapacité d'exécuter leur mission." Bernard LAVARINI distingue ainsi toute une panoplie d'armes :
- les armes anti-personnel ;
- les armes capables de paralyser les infrastructures, les transports, l'énergie, la communication, l'information...;
- les armes capables de dégrader les performances des systèmes d'armes.

        Comme le dit Luc MAMPAEY, "l'argument le plus séduisant (en faveur des armes non létales) est qu'elles peuvent combler l'espace d'indécision entre le moment où la diplomatie échoue et celui où se prend la décision de recourir à la force conventionnelle létale. Le concept de non létalité peut donc affranchir les décideurs du choix obligatoire et exclusif entre diplomatie et action militaire en élargissant le nombre d'options. Cependant, l'analyse est souvent partiale et partielle. L'essentiel de la réflexion politico-militaire ne porte que sur l'impact technologique, politique et opérationnel du concept de non létalité et ignore nombre de questions fondamentales."
    Parmi celles-ci, Luc MAMPAEY en cite trois :
- la capacité de non létalité permet d'envisager le maintien de l'ordre et les opérations militaires comme un continuum - local, national et international. Elle pourrait renforcer l'arsenal répressif interne et "placer à terme la société sous un contrôle permanent";
- la banalisation de cette capacité, considérée comme comportant beaucoup moins de risques, peut abaisser considérablement "le seuil politiquement acceptable pour une intervention dans un pays tiers et devenir ainsi un instrument d'ingérence permanente";
- les armes non létales ouvrent une brêche dans les Traités et Conventions sur le contrôle ou la maîtrise des armements, notamment des armes chimiques et biologiques.

      Georges-Henri Bricet des VALLONS, doctorant en sciences politiques, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, analyse en 2007, les "attenants du processus de légitimation dont le concept de non-létalité a fait l'objet au sein du débat stratégique américain depuis le début des années 1990".
Suivant l'histoire de "cette supposée rupture stratégique et tactique", l'auteur nous informe très précisément des instances de décisions et de recherches impliquées, reliées directement à ce qu'on appelle aux Etats-Unis la Révolution des Affaires Militaires. C'est une nouvelle technologie qui fait rêver à la fois les responsables du maintien de l'ordre dans les centres urbains et ceux des opérations militaires de grande envergure. "Révolutionnaire, l'énergie dirigée l'est à plusieurs titres : une telle technologie combine les virtualités antipersonnel et antimatériel ; peut fonctionner comme arme individuelle ou arme à effet de zone ; enfin et surtout, peut graduer/permuter fonction létale et fonction non-létale. L'Active Denial System, système phare promu par le JNLWD (Comité directeur doté d'un budget annuel de 30 millions de dollars, chargé du développement de ces armes, au sein de la division Special Operations and Low-intensity Conflict du Département de la défense), correspond en tous points à ce modèle génétique." Le modèle génétique en question, au coeur de la stratégie des moyens, fait référence à la manoeuvre génétique, "une manoeuvre génétique se définissant comme un rapport complexe entre la culture stratégique et la culture technologique". Il s'agit en fait d'une tentative, peut-être chimérique, de combiner le développement des armements en correspondance avec les nécessités de formes changeantes du combat. On conçoit que dans cette perspective, avoir la possibilité de posséder et d'utiliser une sorte d'armement tout usage (l'auteur parle d'armement rhéostatique) suscite l'intérêt des plus hautes instances politiques et économiques.

       Si les armes non létales peuvent servir à un changement important dans la manière de combattre, elles demeurent toujours des armes - peuvent indirectement devenir meurtrières - et se situent toujours dans la perspective d'exercice de la violence comme moyen de résoudre les conflits. Il s'agit toujours d'imposer sa volonté à un adversaire. Il s'agit d'un moyen supplémentaire sans doute d'éviter la coopération, de passer outre la diplomatie, et de concevoir toujours les relations sociales comme des rapports de force. Elles pourraient faire perdurer la culture du conflit à un niveau toujours plus sophistiqué.
       Enfin, comme toute course aux armements, la course technologique des mesures et contre-mesures électroniques ne met pas le maniement des armes non létales à l'abri de moyens de destruction supérieurs.

Bernard LAVARINI, Vaincre sans tuer, du silex aux armes non létales, Editions Stock, 1997. Luc MAMPAEY, Les armes non létales, une nouvelle course aux armements, Les rapports du GRIP (Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix et la sécurité, Bruxelles, site Internet www.grip.org). Georges-Henri Bricet des VALLONS, L'arme non létale dans la stratégie militaire des Etats-Unis : imaginaire stratégique et genèse de l'armement, Revue Cultures et Conflits, 67, automne 2007 (www.conflits.org). François-Bernard HUYGHE, Les armes non-létales, PUF, collection Que sais-je?, 2009.
    Pour ceux qui veulent suivre de près les recherches et développements des armes non létales, il est conseillé de consulter - entre autres - le site de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), www.darpa.mil.

                                                                                     ARMUS
 
Relu le 5 novembre 2018
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commentaires

N
C'est une vue de l'ésprit. Car avant Rémy Fraisse, les "accidents" de Flash-ball on été suffisamment nombreux pour qu'on utilise un autre terme que "non-létal" dans le cas des Flash Ball.<br /> Les considérer comme mi-létals, permettrait aux forces de l'ordre de prendre conscience que son utilisation reste très risquée.
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G
<br /> <br /> Réflexion à développer. Mais peut-on parler de demi-mort causée par arme demi-léthale... Les demi-meurtres comme les demi-morts peuvent-ils exister? Je ne pense pas que les forces de l'ordre<br /> mettent de toute façon au premier ou au second plan le risque léthal de l'utilisation des flash ball. ce qui compte pour elles, c'est l'efficacité tactique de telles armes... Et ce d'autant plus<br /> sans doute qu'on s'élève dans la hiérarchie ???... Aux conseillers de la communication de gérer ensuite s'il y a mort d'homme... Dans cette réflexion sur une prise de conscience, sans doute<br /> faut-il distinguer l'état d'esprit de l'homme de terrain de celui du responsable politique lointain qui donne l'ordre d'usage... Bien entendu, les généralisations hâtives ne sont pas de mise...<br /> <br /> <br /> <br />

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