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22 janvier 2009 4 22 /01 /janvier /2009 14:48
           Dans la coexistence de plusieurs groupes sociaux, l'existence ou non de plusieurs langues revêt une importance d'autant plus grande si l'on considère, comme Jean-Louis CALVET que, dès l'origine, la langue est liée aux rapports de force, au pouvoir et à la négociation. Il existe certainement une relation entre ces formes de pouvoir et l'évolution des langues elles-mêmes. Dans un monde plurilingue, les différents groupes sociaux (que l'on songe à la notion de barbare par exemple) ont fait de la langue un facteur discriminant, d'appartenance ou de non appartenance à une même communauté. Et à l'intérieur de cette communauté (à l'intérieur par exemple de la Cité grecque), des éléments différenciateurs dans la manière de prononcer les mots, d'employer des tournures de phrases, de privilégier l'interrogatif, le conditionnel ou l'affirmatif... ont pu favoriser et favorisent encore les distinctions sociales, les conditions sociales...

         Une diglossie, selon Charles FERGUSON (1921-1998), est un rapport stable entre deux variétés linguistiques, l'une dite "haute" et l'autre dite "basse", génétiquement apparentées et qui se situent dans une distribution fonctionnelle différente des usages. Deux variétés d'une même langue - existent et peuvent s'influencer ou au contraire accroître avec le temps leurs différences - l'une valorisée, normée, véhicule d'une littérature reconnue, mais parlée par une minorité, et l'autre péjorativement désignée mais parlée par une plus grande partie de la population.
    Joshua FISHMAN (né en 1926) oppose le bilinguisme (capacité d'un individu ou d'un groupe à parler deux langues) à la diglossie (utilisation de deux langues dans une société, cette dernière révélant certains clivages sociaux entre des groupes utilisant des codes différents de langage et en faisant des usages différents).
    Aux conceptions de Charles FERGUSON et de Joshua FISHMAN, Jean-Louis CALVET ajoute la problématique du pouvoir et élabore une typologie inspirée notamment des situations coloniales, de diglossies enchâssées :
- à langue dominante unique ; le français est par exemple la langue officielle dominante qu'aucune autre ne peut remplacer sur le territoire de la France, malgré l'existence d'une bonne trentaine de langues minoritaires;
- à langues dominantes minoritaires ; au Maroc, le berbère est statistiquement dominant et en Algérie, il représente une grosse minorité, tandis que l'arabe officiel et le français occupent les mêmes positions qu'au Maroc ;
- à langue dominante minoritaire ; le français se retrouve en position dominante officielle sur des territoires, en Afrique, en face de deux, quatre ou beaucoup plus de langues nationales, cette langue dominante minoritaire n'étant parlée que par à peu près 10% des locuteurs...
- à langues dominantes alternatives ; dans des régions comme la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe ou la Guyane, le créole, langue influencée par le français y est la langue première, mais n'est pas une langue de prestige et le français est plus répandu en proportion qu'en Afrique francophone, ce français pouvant être remplacé dans ses fonctions officielles par une autre langue ;
 - à langues dominantes régionales ; la Suisse ou la Belgique présentent des exemples de bilinguisme officiel (français/flamand pour la Belgique), alors que chacune de ces langues est archi dominante dans chacune de leurs régions francophones et flamandes respectives. Le français coexiste avec le flamand ou avec d'autres langues, l'allemand, l'italien, le romanche...
       Pour Jean-Louis CALVET toujours, le monde apparaît "comme une vaste mosaïque linguistique" en dimensions géographiques et sociales.
         De multiples diglossies recoupent de multiples identités. Cette vision de monde où évoluent des groupes sociaux dans le temps et dans l'espace - chacun avec sa variante linguistique ou même sa langue (à tel point qu'on désigne souvent un groupe social par sa langue) est d'autant plus réaliste que les distances ou les obstacles géographiques gardent ces groupes sociaux éloignés les uns des autres. Lorsque des rencontres se produisent, il s'ensuit souvent des guerres ou des échanges sur le mode plus ou moins agressif qui sont aussi des guerres de langues... Évidemment, dans un monde où les communications dépassent ces distances, les barrières linguistiques tendent à s'amoindrir sans toutefois disparaître, ceci du fait d'ailleurs que la langue fait partie de l'identité du groupe.
Au coeur même du tissu urbain, naissent des parlers codés qui entrent dans le processus d'identification de groupes sociaux qui se représentent exclus de la société globale dans laquelle ils se trouvent.

       Patrick SAUZET propose d'ailleurs une approche sur la manière dont la sociolinguistique aborde la question de cette présence de plusieurs variantes de langues ou de plusieurs langues dans un espace politique unifié.
 Il se questionne sur l'ambiguïté de l'inégalité linguistique. "Elle peut être perçue comme ordre ou comme désordre. Les points de vue ainsi construits sont mutuellement suspects de partis-pris idéologique. Dans la situation occitane, le dilemme est révélé dès le choix du terme désignant la langue. Faut-il dire "patois" comme les locuteurs, dire donc, en un sens, les choses comme elles sont, dans leur ordre? Faut-il dire "occitan" pour pouvoir repérer le terme même de patois comme signe d'une réduction?"
"C'est en s'interrogeant sur la dominance linguistique que l'on pourra sortir des jeux de balance entre description-acceptation et donc élaborer un discours de la diglossie (une sociolinguistique), sinon scientifique, du moins rationnel."
     Il s'agit de comprendre comme les différences linguistiques fonctionnent, en réfléchissant sur l'histoire même d'une langue dominante comme le français. 
"La différenciation géographique établit une première forme d'ordre linguistique. la diglossie s'y superpose. Le latin des clercs, le français des élites sont les langues d'un groupe qu'elles identifient. Ces groupes sont dominants et leur pratique valorisée. Leur prestige en fait des objets privilégiés d'imitation. Encore faut-il que cette imitation soit admise par la société. On peut donc mettre le retard de la substitution sur la mise en place de la diglossie au compte de la censure globale des comportement d'imitation, des initiatives d'ambition individuelle. Le français est valorisé, mais son acquisition et son emploi ne sont pas ouverts à qui le désire." 
           Cette difficulté, qui se situe longtemps dans l'histoire de la France, constitue une facette de la tension entre la qualité d'une langue, langue des élites ou langue populaire.
          Diffuser le français fut un projet politique, à la fois d'unification réelle sur un territoire donné, et facteur d'homogénéisation sociale, ou même voie obligée du passage pour beaucoup de classes sociales du statut de classe servile au statut de classe consciente d'elle-même. On conçoit les débats politiques présents dans des classes sociales en possession d'une langue, désireux à la fois d'amalgamer des populations plus faciles ainsi à gouverner et de garder un certain pouvoir de maniement de cette langue (identifié à la possession de connaissances de tout ordre, permettant d'exercer le pouvoir)  sous le prétexte de ne pas la voir édulcorée C'est là une grande partie de l'enjeu de ce que l'on a désigné sous le nom de scolarisation.

Jean-Louis CALVET, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Hachette littératures, collection Pluriel, 1999 ; Patrick SAUZET, La diglossie : conflit ou tabou, texte disponible sur Internet : http://membres.lycos.fr/simorre/oc/tabou.htm

                                                                                     LINGUS
 
Relu le 4 janvier 2019

                 
      
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