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10 février 2009 2 10 /02 /février /2009 15:16
         De SOCRATE à Hans KELSEN (1881-1973), la formation du Droit, de Codes écrits plus ou moins reliés entre eux, a selon l'idée commune pour objectif de substituer la justice à la violence inter-individuelle.
  On peut toutefois, avec Frédéric ROUVILLOIS, s'interroger sur "cette énigmatique substitution du droit à la force".

        PLATON, dans son "Gorgias" fait parler un personnage, Galliclès, en lui donnant le soin de représenter les partisans du droit du plus fort.
"Dans l'ordre de la nature, il n'y a pas d'autre droit que la force, laquelle donne le droit d'avoir plus que les autres. C'est cette même force de la nature qui vaut dans l'ordre social, où la seule loi qui vaille n'est pas la loi positive, mais la loi de la nature. En revanche, la loi positive, contraire à la loi de la nature, n'est faite que pour les faibles pour garantir leur faiblesse contre la puissance des forts. La philosophie, selon Galliclès, ne permet guère de découvrir ou de comprendre ces vérités. Socrate est donc invité à ne plus s'y consacrer et à s'occuper de la vie de la Cité."  (Monique CANTO).
Lisons le texte : "Et quand on dit qu'il est injuste, qu'il est vilain, de vouloir avoir plus que la plupart des gens, on s'exprime en se référant à la loi. Or, au contraire, il est évident, selon moi, que la justice consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon et le plus fort plus que le moins fort. Partout il en est ainsi, c'est ce que la nature enseigne, chez toutes les espèces animales, chez toutes les races humaines et dans toutes les cités! Si le plus fort domine le moins fort et s'il est supérieur à lui, c'est là le signe que c'est juste.".
PLATON donne le beau rôle à Socrate en le faisant triompher de cette conception, en faisant admettre par Galliclès que l'homme le plus fort n'est pas le plus intelligent et le plus courageux, mais celui qui est à même d'éprouver les plus fortes passions et de pouvoir les satisfaire.
   Malgré la réfutation de ce droit du plus fort par presque toute la philosophie grecque, le soupçon demeure envers ce droit établi par les autorités successives, tout au long de l'histoire.

       Que ce soit pour précisément légitimer ce droit du plus fort comme Saint Paul dans l'Epître aux Romains ("Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre établi par Dieu") ou pour même faire l'économie du soupçon comme chez PASCAL dans Oeuvres ("Ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait en sorte qu'il soit juste d'obéir à la force") ou au contraire de nier cette légitimité comme ROUSSEAU dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité entre les hommes, qui évoque la ruse par laquelle les riches créent l'ordre social et confortent leur suprématie, ou comme Karl MARX et Friedrich ENGELS qui critiquent le complexe politico-juridique comme assurant historiquement les rapports capitalistes de production, la justice et le droit apparaissent bien comme des notions très différentes dans les faits.

      Hans KELSEN, un des plus grands théoriciens du droit du XXème siècle, entend dégager le droit de ses fondements idéologiques et moraux pour n'en faire qu'une technique de régulation au service de l'État, et ce tant dans le droit interne des États que dans le droit international réglant les relations entre ces États. Dans son ouvrage clé, Théorie pure du droit (1934), ainsi que dans toute son oeuvre considérable, il s'efforce de fonder l'existence d'une norme juridique incontestable, reconnue partout... sans réellement y parvenir.
C'est que, écrit-il lui-même, la justice ne fonde pas le droit positif. Dans ses efforts de rationalisation du droit, jusqu'au droit constitutionnel, qui renferme la norme ultime, dans une hiérarchie claire et quasi-mécanique, Hans KELSEN indique bien que le droit positif doit être détaché de toutes justifications "métaphysiques" (Dieu ou la nature), pour permettre la réalisation de l'objectif, finalement du droit : l'établissement de relations stables, durables et pacifiques entre les hommes, de même que la possibilité de la coopération entre eux. En dernier ressort, c'est bien l'ordre social en tant que tel que permet l'exercice du droit, sans considération pour le type de régime politique, même si les combats du professeur de droit en faveur de la démocratie en Europe entre les deux guerres mondiales sont bien connus (pas assez connus, c'est certain...). En dernier ressort, l'effectivité du droit (la possibilité d'agir des tribunaux et l'obéissance générale aux lois) et sa capacité à maintenir ces relations stables, durables et pacifiques dépend de la réalité des sanctions que ce droit prévoit en cas de manquement aux règles établies.
    Mais si ces règles établies sont contraires aux sentiments de justice des peuples, le droit est impuissant. La volonté de confondre légitimité et légalité, comme de faire de l'État le garant du droit, de faire finalement du droit public le véritable droit (opposé aux droits privés) chez Hans KELSEN s'oppose évidemment à une autre conception qui met en avant le contrat entre citoyens, les contrats de toutes sortes entre citoyens, en faisant fi souvent de leur inégalité de condition et de pouvoir, et qui place les citoyens en possibilité de rupture avec l'État.
   Source désignée de maintien de la société malgré tous les conflits qui opposent ses membres, le droit peut être lui-même source de conflit, tout simplement parce que, finalement, le droit lui-même est un produit social, difficilement réductible à une technique. Source désignée de protection du faible par rapport au droit du plus fort, le droit peut-être l'instrument du droit du plus fort.

Magali BESSONE, La justice, Textes choisis et présentés, GF Flammarion, collection corpus, 2000. Frédéric ROUVILLON, Le droit, Textes choisis et présentés, GF Flammarion, collection corpus, 1999. Jacques MICHEL, Article  Droit du Dictionnaire Critique du Marxisme, PUF collection Quadrige, 1999. PLATON, Gorgias, présentation et traduction de Monique CANTO-SPERBER, GF Flammarion, 1987.

                                                                                               JURIDICUS
 
Relu le 22 janvier 2019
 
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