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24 avril 2009 5 24 /04 /avril /2009 12:29
        Connu d'abord comme un pamphlet diffusé sous le nom de Contr'Un, Le discours de la servitude volontaire, rédigé par Etienne de LA BOETIE (1530-1563) vers 1548 constitue une oeuvre de référence sur la question de la légitimité d'un pouvoir politique. 
D'abord connu de cercles d'érudits comme MONTAIGNE (1533-1592), puis de partisans calvinistes qui le publient en 1574 en édition pirate, il n'est publié officiellement par MONTAIGNE qu'en 1580, dans la première édition des Essais, dans le livre I, comme déclamation théorique. Il n'est pas indifférent que la circulation de ce texte se fasse plutôt par le canal des libelles factieux, plutôt que par les cercles académiques.
       Il semble l'exemple même du brûlot qui échappe à son auteur, tel il s'inscrit dans l'évolution des mentalités d'une époque.

       Le discours de la servitude volontaire se présente comme un long texte d'un seul tenant. Il est juste précédé dans ses différentes éditions, d'un avant-propos, rédigé par ses différents introducteurs ou traducteurs (du vieux français), qui s'expliquent de manière courte sur leurs intentions.

       Parti d'Homère, qui parle d'Ulysse, lequel dit en public, qu'"il n'est pas bon d'avoir plusieurs maîtres ; n'en n'ayons qu'un seul", Etienne de LA BOETIE excuse Ulysse.
"Mais en conscience, n'est-ce pas un extrême malheur que d'être assujetti à un maître de la bonté duquel on ne peut jamais être assuré et qui a toujours le pouvoir d'être méchant quand il le voudra?". L'auteur indique "que je désirerais seulement qu'on me fit comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d'un Tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a pouvoir de lui nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (...) c'est de voir des millions d'hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient redouter, puisqu'il est seul, ni chérir puisqu'il est, envers tous, inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes! Contraints à l'obéissance, obligés de temporiser, divisés entre eux, ils ne peuvent pas toujours être les plus forts."
     
      Loin de s'interroger comme beaucoup d'auteurs de l'Antiquité jusqu'à la Renaissance, sur le meilleur des régimes, des gouvernements ou des souverains (cela remplit des bibliothèques entières, que ces écrits soient déistes ou non) , le natif de Sarlat inverse le questionnement : Pourquoi les hommes obéissent-ils aux tyrans? "Ce sont (...) les peuples qui se laissent, ou plutôt se font garrotter, puisqu'en refusant seulement de servir, ils briseraient leurs liens. C'est le peuple qui s'assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d'être sujet ou d'être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse."
     Il poursuit sur le même ton : "Il (...) est une seule (chose) que les hommes, je ne sais pourquoi, n'ont pas même la force de désirer. C'est la liberté : bien si grand et si doux! que dès qu'elle est perdue, tous les maux s'ensuivent, et que, sans elle, tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur."
              
       Loin d'adopter le ton doctoral des universitaires, Etienne de LA BOETIE invite le lecteur : "Cherchons (...) à découvrir, s'il est possible, comment s'est enraciné si profondément cette opiniâtre volonté de servir qui ferait croire qu'en effet l'amour même de la liberté n'est pas si naturel.". Il tente alors de trouver la différence entre trois sortes de tyrans, ces mauvais princes.
"Les uns possèdent le Royaume par l'élection du peuple, les autres par la force des armes, et les autres par succession de race.".  Finalement, "ainsi, pour dire vrai, je vois bien entre ces tyrans quelque différence, mais pas un choix à faire : car s'ils arrivent au trône par des routes diverses, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Les élus du peuple le traitent comme un troupeau à dompter, les conquérants comme une proie sur laquelle ils ont tous les droits, les successeurs comme un troupeau d'esclaves qui leur appartient tout naturellement." Puisant ses exemples dans la littérature antique, il dégage la première raison de la servitude volontaire, celle de millions d'esclaves et de serfs : l'habitude. "Ils disent avoir toujours été sujets, que leurs pères ont ainsi vécus." . Mais toujours, il y en a, "ayant l'entendement net et l'esprit clairvoyant (qui) (...) (se) rappellent au contraire les choses passées pour juger plus sainement le présent et prévoir l'avenir". 
 
      Souvent dans le texte, Etienne de LA BOETIE revient sur les difficultés (s'appuyant sur Xénophon, entre autres) des tyrans, "qui sont obligés de craindre tout le monde" et sur la disproportion entre la masse à asservir et le tout seul maître. L'auteur, dans sa poursuite des causes de cette obéissance si commune et si générale, loin de stigmatiser une couardise ou un manque de courage, montre le déploiement d'ingéniosité dont ils font preuve.
      C'est la ruse des tyrans, à l'image de Hiéron, roi de Syracuse (puisée dans Hièron ou portrait de la condition des rois, de Xénophon), qui consiste à organiser les loisirs de leurs serviteurs les plus proches qui en font autant pour leurs propres serviteurs, et ainsi de suite : "Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie."
     Les tyrans d'aujourd'hui, écrit le périgourdin, "ne font guère mieux ceux d'(hier), qui avant de commettre leurs crimes, même les plus révoltants les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien général, l'ordre public et le soulagement des malheureux".
    Cette facilité de tromper le peuple, les tyrans eux-mêmes la trouve fort extraordinaire. "Ils se couvraient volontiers du manteau de la religion et s'affublaient quelquefois des attributs de la divinité pour donner plus d'autorité à leurs mauvaises actions."
   
     Vers la fin de ce texte écrit dans une langue vigoureuse (il faut lire les versions moins nouveau français pour s'en rendre compte...), Etienne de LA BOETIE parvient à ce qui est selon lui "le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie."
Ce n'est pas l'étalage de la force armée, mais bien toujours cinq ou six hommes qui le soutiennent et qui lui assujettissent tout le pays", ses complices, ses compagnons de plaisir, ses "co-partageants  de ses rapines". "Ces six hommes "en ont sous eux 600 qu'ils dressent, "qu'ils corrompent aussi comme ils ont corrompu le tyran". Ces 600 en tiennent 6000, et ainsi de suite... "C'est ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres". Plus le peuple est grand, plus les sujets sont nombreux, et plus le tyran se couvre de cette distance entre le plus humble et lui-même, devient sacré, se montre sacré."
     Etienne de LA BOETIE ne conclu pas son livre, il poursuit simplement sur l'amitié auquel un tyran n'a pas droit et dont il ne gratifie personne.

     Claude LEFORT, dans son texte Le nom d'un, analyse ce couple de mots "qui répugne à la langue", servitude volontaire. Cette énigme que le texte de LA BOETIE semble ne faire que parcourir, sans apporter la moindre prescription ; à la limite il dénonce seulement ; réside dans les liens entre la religion et la politique. Selon lui, c'est tout Le discours... qui dénonce la dimension religieuse du politique.
"Le pouvoir n'est pas la résultante d'un accord réfléchi des volontés, d'un pacte d'association et de sujétion. C'est à un emportement du désir que cèdent les hommes, un "malencontre" consistant en un retournement imprévisible du désir ainsi que le révèle l'exemple, emprunté au Livre sacré, de "ceux d'Israël qui sans contrainte ni aucun besoin se firent un tyran" (Alain GAROUX). La seule opposition que propose Etienne de LA BOETIE à la tyrannie, le développement de l'amitié, qui exclut le principe même de la domination.

     La postérité d'un tel texte, finalement très diffusé, même s'il est  sous estimé par de grands auteurs d'histoire de philosophie politique comme Léo STRAUSS, demeure très longue. Il est considéré par beaucoup comme un des textes fondateurs de l'anarchisme et inspirateur de la désobéissance civile. Mais, de façon beaucoup plus générale, son influence se fait sentir de façon profonde au siècle des Lumières. Il est frappant de constater que  Jean-Jacques ROUSSEAU, dans Du contrat social, part exactement de la même interrogation que lui : pourquoi les hommes obéissent-ils?  Jusque dans la problématique de la dialectique du maître et de l'esclave, qui influence tant le marxisme. Ce court texte ne cesse pas d'être réédité.
 

 

 
Etienne de LA BOETIE, Discours de la servitude volontaire, 1548. L'édition utilisée plus haut est la transcription en français moderne entreprise par Charles TESTE qui figure dans le livre paru aux Editions Payot, en 1978,  au double titre Le discours de la servitude volontaire, La Boétie et la question du politique par Pierre CLASTRES et Claude LEFORT.
Sans méjuger de la qualité des autres éditions (Flammarion, Mille et une nuits...), je conseille tout particulièrement ce livre. Il comporte en effet une présentation de Miguel ABENSOUR et de Marcel GAUCHET, la préface de l'édition de 1835, par Félicité de LA MENNAIS, un texte de Pierre LEROUX, la préface de l'édition de 1863 par Auguste VERMOREL, un extrait de De la Révolution (1907) de Gustav LAUDAUER, un texte de Simone WEIL, Méditation sur l'obéissance et la liberté (1937). Y figurent deux textes de l'oeuvre, une transcription de Pierre LEONARD et celle de Charles TESTE (il faut savoir que le manuscrit original a disparu, à force d'en différer longtemps la publication). Et enfin, les deux textes de référence à propos de cette oeuvre, celui de Pierre CLASTRES et de Claude LEFORT apportent des éclairages qui passent aujourd'hui chez nombre d'auteurs comme incontournables. L'ensemble fait 310 pages pour un texte de l'oeuvre stricto-sensu de 52 pages.
Alain GAROUX, article Discours de la servitude volontaire, dans le Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986.
    

  Relu et révisé le 20 février 2019
 
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