27 avril 2009
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Vers la paix perpétuelle, d'Emmanuel KANT
Le philosophe a depuis très longtemps connaissance, vers 1752-1756, avant même la publication de la critique de Jean-Jacques ROUSSEAU, du Projet de l'abbé DE SAINT-PIERRE. Emmanuel KANT, loin de se gausser des utopies de l'abbé le prit dès le début très au sérieux, et ses textes Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine, L'idée pour une histoire universelle du point de vue cosmopolitique (1784), Qu'est-ce que Les lumières?, et Vers la paix perpétuelle (1795) se situent bien dans la logique de ses trois Critiques.
Selon Joël LEFEBVRE, "KANT fixe un but précis à l'évolution : il s'agit, comme toujours dans la tradition utopique, de la réalisation d'une société parfaite ; mais cette perfection est ici formulée en termes politiques modernes et comprise comme l'instauration d'une constitution civile rationnelle."
Ce projet philosophique se compose de plusieurs sections, et reprennent grosso modo l'idée de présenter les articles d'un traité de paix perpétuelle. Ainsi, ses articles préliminaires (première section) proposent les dispositions suivantes :
- "Aucun traité de paix ne doit être considéré comme tel si on l'a conclu en s'y réservant secrètement quelque sujet de recommencer la guerre." Emmanuel KANT, contre l'exercice d'une diplomatie secrète, attaque un "procédé qu'il faut laisser à la casuistique des Jésuites et qui est au-dessous de la dignité des souverains (...)".
- "Aucun État indépendant (petit ou grand, peu importe ici) ne pourra être acquis par un autre État par héritage, échange, achat ou donation." Certains y trouvent ici le principe de l'intangibilité des frontières, ce principe qui entrera beaucoup dans la pratique des organisations internationales fondées bien après.
- "Les armées permanentes doivent avec le temps, disparaitre complètement."
- "On ne doit point contracter de dettes publiques en relation avec les querelles extérieures de l'État". Cette "dangereuse force financière, à savoir un trésor de guerre pour faire la guerre" constitue un sérieux obstacle à l'établissement d'une paix perpétuelle.
- "Aucun État ne doit s'immiscer par la violence dans la constitution et le gouvernement d'un autre État". C'est le principe de l'autodétermination des peuples qui sera souvent mis en avant dans les mouvements ultérieurs de la décolonisation (notamment dans les années 1960).
- "Aucun État en guerre avec un autre ne doit se permettre des actes d'hostilité de nature à rendre impossible la confiance réciproque dans la paix future, par exemple : l'emploi d'assassins, d'empoisonneurs, la violation d'une capitulation, la provocation à la trahison dans l'État auquel on fait la guerre. On peut y voir là les idées, défendues bien entendu également beaucoup ailleurs, d'un droit de la guerre qui limite les moyens utilisés, dans la perspective de la fin d'un conflit armé.
Le philosophe a depuis très longtemps connaissance, vers 1752-1756, avant même la publication de la critique de Jean-Jacques ROUSSEAU, du Projet de l'abbé DE SAINT-PIERRE. Emmanuel KANT, loin de se gausser des utopies de l'abbé le prit dès le début très au sérieux, et ses textes Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine, L'idée pour une histoire universelle du point de vue cosmopolitique (1784), Qu'est-ce que Les lumières?, et Vers la paix perpétuelle (1795) se situent bien dans la logique de ses trois Critiques.
Selon Joël LEFEBVRE, "KANT fixe un but précis à l'évolution : il s'agit, comme toujours dans la tradition utopique, de la réalisation d'une société parfaite ; mais cette perfection est ici formulée en termes politiques modernes et comprise comme l'instauration d'une constitution civile rationnelle."
Ce projet philosophique se compose de plusieurs sections, et reprennent grosso modo l'idée de présenter les articles d'un traité de paix perpétuelle. Ainsi, ses articles préliminaires (première section) proposent les dispositions suivantes :
- "Aucun traité de paix ne doit être considéré comme tel si on l'a conclu en s'y réservant secrètement quelque sujet de recommencer la guerre." Emmanuel KANT, contre l'exercice d'une diplomatie secrète, attaque un "procédé qu'il faut laisser à la casuistique des Jésuites et qui est au-dessous de la dignité des souverains (...)".
- "Aucun État indépendant (petit ou grand, peu importe ici) ne pourra être acquis par un autre État par héritage, échange, achat ou donation." Certains y trouvent ici le principe de l'intangibilité des frontières, ce principe qui entrera beaucoup dans la pratique des organisations internationales fondées bien après.
- "Les armées permanentes doivent avec le temps, disparaitre complètement."
- "On ne doit point contracter de dettes publiques en relation avec les querelles extérieures de l'État". Cette "dangereuse force financière, à savoir un trésor de guerre pour faire la guerre" constitue un sérieux obstacle à l'établissement d'une paix perpétuelle.
- "Aucun État ne doit s'immiscer par la violence dans la constitution et le gouvernement d'un autre État". C'est le principe de l'autodétermination des peuples qui sera souvent mis en avant dans les mouvements ultérieurs de la décolonisation (notamment dans les années 1960).
- "Aucun État en guerre avec un autre ne doit se permettre des actes d'hostilité de nature à rendre impossible la confiance réciproque dans la paix future, par exemple : l'emploi d'assassins, d'empoisonneurs, la violation d'une capitulation, la provocation à la trahison dans l'État auquel on fait la guerre. On peut y voir là les idées, défendues bien entendu également beaucoup ailleurs, d'un droit de la guerre qui limite les moyens utilisés, dans la perspective de la fin d'un conflit armé.
C'est dans une seconde section qu'Emmanuel KANT introduit les articles "définitifs" d'une paix perpétuelle entre les États :
- "Dans tout État, la constitution civile doit être républicaine". Il y a là l'idée d'une uniformisation des types de gouvernement, qui rend possible cette paix. Sur la question si "elle est également la seule capable de conduire à la paix perpétuelle", le philosophe allemand en discute assez longuement. Il estime que cette forme de constitution "est issue de la source pure qu'est le concept de Droit". "Si l'assentiment des citoyens est nécessaire pour décider s'il y aura ou non la guerre, il est bien naturel que, du moment qu'il leur faudrait appeler appeler sur eux-mêmes les maux de la guerre (...), il est bien naturel qu'ils réfléchissent mûrement avant d'entreprendre une partie si dangereuse (...).". Par la suite, Emmanuel KANT insiste sur la différence entre république et démocratie. Il ne croit pas que la foule puisse devenir peuple, et donne une préférence pour une forme républicaine de gouvernement dont les caractéristiques essentielles sont la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, et sa représentativité.
- "Le droit international doit être fondé sur un fédéralisme d'États libres". Reprenant la discussion menée à la fois par GROTIUS et HOBBES sur l'état de nature, il compare la situation interne de l'État, parvenu à la paix civile, à la situation internationale. Il faut parvenir à cette même paix, avec une certaine prudence écrit-il, car il pense impossible l'établissement d'une république mondiale.
- "Le droit cosmopolitique doit être limité aux conditions de l'hospitalité universelle". Par cette formule que l'on peut trouver alambiquée, Emmanuel KANT veut signifier que l'établissement de la paix perpétuelle ne peut pas passer par l'emploi de la force armée. Seul le sentiment général qu'une violation du droit est ressentie de la même manière partout, peut la garantir, de même que règne à l'intérieur des États la paix civile, non pas par la menace permanente de l'emploi de la violence, mais par le sentiment général qu'une violation du droit met tout le monde en danger.
- "Dans tout État, la constitution civile doit être républicaine". Il y a là l'idée d'une uniformisation des types de gouvernement, qui rend possible cette paix. Sur la question si "elle est également la seule capable de conduire à la paix perpétuelle", le philosophe allemand en discute assez longuement. Il estime que cette forme de constitution "est issue de la source pure qu'est le concept de Droit". "Si l'assentiment des citoyens est nécessaire pour décider s'il y aura ou non la guerre, il est bien naturel que, du moment qu'il leur faudrait appeler appeler sur eux-mêmes les maux de la guerre (...), il est bien naturel qu'ils réfléchissent mûrement avant d'entreprendre une partie si dangereuse (...).". Par la suite, Emmanuel KANT insiste sur la différence entre république et démocratie. Il ne croit pas que la foule puisse devenir peuple, et donne une préférence pour une forme républicaine de gouvernement dont les caractéristiques essentielles sont la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, et sa représentativité.
- "Le droit international doit être fondé sur un fédéralisme d'États libres". Reprenant la discussion menée à la fois par GROTIUS et HOBBES sur l'état de nature, il compare la situation interne de l'État, parvenu à la paix civile, à la situation internationale. Il faut parvenir à cette même paix, avec une certaine prudence écrit-il, car il pense impossible l'établissement d'une république mondiale.
- "Le droit cosmopolitique doit être limité aux conditions de l'hospitalité universelle". Par cette formule que l'on peut trouver alambiquée, Emmanuel KANT veut signifier que l'établissement de la paix perpétuelle ne peut pas passer par l'emploi de la force armée. Seul le sentiment général qu'une violation du droit est ressentie de la même manière partout, peut la garantir, de même que règne à l'intérieur des États la paix civile, non pas par la menace permanente de l'emploi de la violence, mais par le sentiment général qu'une violation du droit met tout le monde en danger.
A ces deux sections, le philosophe ajoute deux adjonctions, et termine son texte par deux appendices qui doivent l'éclairer.
La première adjonction "De la garantie de la paix perpétuelle", la fait reposer "sur la grande artiste Nature, dont le mécanisme laisse visiblement transparaître une finalité qui, du sein même de la discorde entre les hommes, et contrairement à leur volonté, fait surgir la concorde".
La deuxième adjonction porte sur un "Article secret en vue de la paix perpétuelle", qui semble contredire son tout premier article, mais "les maximes des philosophes sur les conditions de la possibilité de la paix publique doivent être consultées par les États armés pour la guerre", car les rois ne sont pas philosophes. On retrouve là une conception développée dans Le conflit des facultés. Il ne s'agit pas là de la diplomatie secrète, mais de la consultation discrète des philosophes en vue d'établir la paix, les philosophes n'étant pas soupçonnables de vouloir la publicité...
Le premier appendice "Du désaccord entre la morale et la politique du point de vue de la paix perpétuelle" reprend en fait tout la conception que l'on peut retrouver dans MACHIAVEL sur la sagesse du Prince. A contrario, le deuxième appendice "De l'accord de la politique avec la morale selon le concept transcendantal du droit public", argumente - longuement - autour de la conception du droit public international.
La première adjonction "De la garantie de la paix perpétuelle", la fait reposer "sur la grande artiste Nature, dont le mécanisme laisse visiblement transparaître une finalité qui, du sein même de la discorde entre les hommes, et contrairement à leur volonté, fait surgir la concorde".
La deuxième adjonction porte sur un "Article secret en vue de la paix perpétuelle", qui semble contredire son tout premier article, mais "les maximes des philosophes sur les conditions de la possibilité de la paix publique doivent être consultées par les États armés pour la guerre", car les rois ne sont pas philosophes. On retrouve là une conception développée dans Le conflit des facultés. Il ne s'agit pas là de la diplomatie secrète, mais de la consultation discrète des philosophes en vue d'établir la paix, les philosophes n'étant pas soupçonnables de vouloir la publicité...
Le premier appendice "Du désaccord entre la morale et la politique du point de vue de la paix perpétuelle" reprend en fait tout la conception que l'on peut retrouver dans MACHIAVEL sur la sagesse du Prince. A contrario, le deuxième appendice "De l'accord de la politique avec la morale selon le concept transcendantal du droit public", argumente - longuement - autour de la conception du droit public international.
Emmanuel KANT termine son ouvrage avec ce qu'on doit considérer en définitive comme un acte de foi.
"Si c'est un devoir et s'il existe en même temps une espérance fondée de rendre effectif un état de droit public, bien qu'en s'en rapprochant seulement par un progrès poursuivi à l'infini, la paix perpétuelle, qui succédera à ce que l'on a jusqu'ici appelé à tort des traités de paix (à proprement parler, des armistices) n'est pas une idée creuse, mais une tâche qui, résolue graduellement, se rapprochera constamment (car les époques où se produisent des progrès se feront, peut-on espérer, de plus en plus courtes) du but final qui est le sien."
Pour Emmanuel KANT, l'homme est doté d'une insociable sociabilité (Olivier DEKENS)
On sait bien que la suite de la situation en Europe n'est guère propice à cette idée de paix perpétuelle, notamment au début des années 1800. Si FICHTE et GORRES partagent encore l'optimisme de KANT, ensuite la critique de la Révolution, notamment en Allemagne, aboutit au fait que ce sont surtout HEGEL et CLAUSEWITZ qui dominent la pensée européenne. Ce n'est qu'à partir de la fin de la Première Guerre Mondiale et également de la fin de la Seconde Guerre Mondiale que les idées de KANT - voir par exemple l'étude de Karl JASPERS sur ces aspects - continuent leur chemin.
Emmanuel KANT, Vers la paix perpétuelle, 1795 (Presses Universitaires de Lyon, Le livre de poche, 1985).
Joël LEFEBVRE, introduction au Projet de paix perpétuelle d'Emmanuel KANT, op cit. Olivier DEKENS, Comprendre KANT, Armand Colin, collection Cursus, 2005.
PAXUS
"Si c'est un devoir et s'il existe en même temps une espérance fondée de rendre effectif un état de droit public, bien qu'en s'en rapprochant seulement par un progrès poursuivi à l'infini, la paix perpétuelle, qui succédera à ce que l'on a jusqu'ici appelé à tort des traités de paix (à proprement parler, des armistices) n'est pas une idée creuse, mais une tâche qui, résolue graduellement, se rapprochera constamment (car les époques où se produisent des progrès se feront, peut-on espérer, de plus en plus courtes) du but final qui est le sien."
Pour Emmanuel KANT, l'homme est doté d'une insociable sociabilité (Olivier DEKENS)
On sait bien que la suite de la situation en Europe n'est guère propice à cette idée de paix perpétuelle, notamment au début des années 1800. Si FICHTE et GORRES partagent encore l'optimisme de KANT, ensuite la critique de la Révolution, notamment en Allemagne, aboutit au fait que ce sont surtout HEGEL et CLAUSEWITZ qui dominent la pensée européenne. Ce n'est qu'à partir de la fin de la Première Guerre Mondiale et également de la fin de la Seconde Guerre Mondiale que les idées de KANT - voir par exemple l'étude de Karl JASPERS sur ces aspects - continuent leur chemin.
Emmanuel KANT, Vers la paix perpétuelle, 1795 (Presses Universitaires de Lyon, Le livre de poche, 1985).
Joël LEFEBVRE, introduction au Projet de paix perpétuelle d'Emmanuel KANT, op cit. Olivier DEKENS, Comprendre KANT, Armand Colin, collection Cursus, 2005.
PAXUS
Révisé le 16 février 2019