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8 mai 2009 5 08 /05 /mai /2009 13:25
       On peut distinguer trois grandes périodes, dans le jeu des typologies et des polémiques, dans la conception de la tyrannie et du despotisme. D'abord l'Antiquité, puis une période qui va de la Renaissance ou XVIIIème siècle, et enfin l'époque contemporaine des deux derniers siècles.
       
      Dans l'Antiquité, les Grecs, auxquels nous devons la typologie des constitutions qui reste une constante de la philosophie politique (Jean-louis LABARRIERE), ne prennent pas le despotisme en compte dans leurs classifications.
De la Renaissance au XVIIIème siècle, MACHIAVEL (qui voit au-delà de l'opposition entre roi et tyran), HOBBES (qui critique la conception grecque), MONTESQUIEU (qui la remanie) et ROUSSEAU poussent à faire émerger les notions de despotisme et de tyrannie autant par esprit polémique qu'à des fins d'analyse. Dans les Temps Modernes, on note le poids grandissant de la notion de despotisme par rapport à la tyrannie.
Quant à la notion de dictature, celle-ci peut aussi bien qualifier la situation militarisée en Amérique Latine jusque dans les années 1980 que celle voulue par une partie du mouvement communiste sous le nom de dictature du prolétariat.

       Ces trois termes - tyrannie, despotisme et dictature - renvoient à la notion d'autocratie, "a savoir un pouvoir de domination sans limite, concentré dans ses conditions, fortement personnalisé dans un chef, et violent dans ses modes d'expression." (Thierry MENISSIER).

       MONTESQUIEU (1689-1755), dans L'esprit des lois, dont l'idéologie peut être présentée tour à tour comme libérale, réformatrice, conservatrice et réactionnaire (Michel TROPER), remanie à partir des notions de l'Antiquité grecque toute la typologie des pouvoirs politiques. Dans cet écrit sans véritable plan d'ensemble, le philosophe décrit les gouvernements démocratique, aristocratique, monarchique et despotique, et il le fait en mettant en opposition le quatrième aux trois premiers, prenant comme illustration les empires de son époque au Proche-Orient et en Asie du Sud. Il le présente et les stigmatise comme le plus inhumain des régimes, qui dépend de l'absence de vertu, d'honneur et d'instruction chez les sujets. Son existence même dépend de l'utilisation permanente d'une violence cruelle et sanguinaire, qui en fait par excellence le gouvernement par la peur. A l'opposé, la distribution des trois grandes puissances de l'État (législative, exécutive et judiciaire) permet de préserver la liberté politique en évitant les abus de pouvoir auxquels les hommes sont naturellement portés (Céline SPECTOR). Alors que dans les États despotiques, la concentration des pouvoirs entre les mains d'un homme ou d'un corps menace le citoyen d'arbitraire, la distribution des pouvoirs qui peuvent s'empêcher et se contrebalancer permet de garantir institutionnellement ce que la politique individuelle ne permet pas d'assurer. Pour le philosophe français, les gouvernants doivent comprendre que l'autolimitation du pouvoir est conforme à leur intérêt. Il a fait du despotisme, véritablement, une catégorie, forme pervertie de la monarchie. L'ensemble des "sciences politiques" reprend d'ailleurs à son compte sa classification, que ce soit en Europe ou dans le Nouveau Monde. Après lui, le despotisme, la tyrannie, puis la dictature sont fortement connotés négativement.

      Il faut que la Révolution française survienne pour que cette perception évolue. A la tyrannie des rois et des princes s'oppose la tyrannie du peuple. Ensuite, une grande partie des marxistes, avec la notion de dictature du prolétariat qui doit garantir du retour du capitalisme, la fortune de la notion de dictature évolue fortement. Tandis que le despotisme et la tyrannie restent négatifs, la dictature prend un nouveau sens. Même si en fait, les expériences dites communistes montrent de nouveau que la domination ne suffit jamais en politique, que l'obéissance réclamée par ces types de régimes autoritaires se retourne souvent contre les objectifs affichés. L'actualité de L'esprit des lois (dans une lecture du minimum nécessaire, qui est encore loin du suffisant, surtout en démocratie), n'en ressort que plus aujourd'hui.

      Pour Etienne BALIBAR, la notion de dictature du prolétariat a subi un cycle qui s'achève aujourd'hui : "Un cycle en effet s'achève, dans lequel nous pouvons observer successivement sa formation, sa formalisation dans la doctrine "marxiste" des partis de la classe ouvrière, son institutionnalisation dans la révolution soviétique et dans le mouvement communiste issu de la IIIème Internationale, enfin sa décomposition dans la crise du "système socialiste" et des partis communistes". Le même auteur remarque la rareté et la dispersion de ce terme dans les oeuvres de Karl MARX et Friedrich ENGELS, notamment à propos de la transition révolutionnaire du capitalisme au communisme, excepté dans Les luttes de classes en France (1850). Successivement, Karl MARX et Friedrich ENGELS, BLANQUI, LENINE, STALINE, TROTSKI, GRAMSCI, MAO TSE TOUNG... ont donné des sens différents à la dictature du prolétariat en l'incluant dans une doctrine ou une philosophie politique.

   Comme pour l'oeuvre de MONTESQUIEU avec le despotisme, plusieurs textes aborderont par la suite, cette notion de dictature. Dans cet article, écrit comme une esquisse, il s'agit simplement de mentionner différents sens dans l'Histoire que l'on accorde à ces trois termes.

  Enfin, comme il est impossible de faire une coupure franche dans la réalité économico-politico-sociale, la notion de dictature, comme celle de tyrannie ou de despotisme, s'étend à d'autres domaines que la philosophie politique. Dictature de la marchandise dans le cadre d'un fétichisme généralisé, dictature des marchés qui entendent diriger à la place des États l'économie mondiale, dictature idéologique de la "pensée unique", despotisme de chefs d'entreprise ou même de chefs de famille (rejoignant là la philosophie antique), tyrannie des enfants dans la définition des prioritaires budgétaires familiales de parents débordés.... Comme au XVIIIème siècle, le politique et l'économique sont également présents dans l'esprit des philosophes. De nos jours, c'est tout au long d'une sorte de continuum de la vie quotidienne aux stratégies internationales que peuvent se penser le despotisme, la tyrannie et la dictature...

Étienne BALIBAR, article Dictature du prolétariat, Dictionnaire Critique du Marxisme, PUF, collection Quadrige, 1999. Céline SPECTOR, article Montesquieu, Le Vocabulaire des philosophes, Philosophie classique et moderne, Ellipses, 2002. Michel TROPER, article L'esprit des lois de Montesquieu, Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986. Jean-Louis LABARRIERE, article Tyrannie et despotisme, Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 1996. Thierry MENISSIER, Éléments de philosophie politique, Ellipses, 2005.

                                                                             PHILIUS
 
Relu le 21 mars 2019



      
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