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1 juin 2009 1 01 /06 /juin /2009 13:38
              La sélection naturelle et la naissance de la civilisation sont les sujets de ce livre du déjà prolifique spécialiste de Darwin, Patrick TORT, qui a déjà à son actif la coordination d'un important dictionnaire sur l'oeuvre de Charles DARWIN et la rédaction d'une bonne vingtaine de livres, sans compter la fondation d'un Institut, Charles Darwin International. A notre époque où l'évolution est une notion presque galvaudée et encore mal comprise, même parmi les étudiants et les professeurs de sciences naturelles, ce livre répond à de nombreuses questions sur le contenu réel des écrits de Darwin. Ainsi, après L'origine des espèces, La filiation de l'Homme, est beaucoup moins connu.
           Tableaux clairs et érudition fluide sont bien là pour aborder le "vrai" darwinisme, à l'opposé d'un darwinisme social, caution de toutes les dérives racistes et justifications coloniales ou néo-coloniales. C'est l'occasion de montrer un Darwin anti-esclavagiste, anti-raciste et progressiste, peut-être pour certains de manière un peu trop appuyée, qui pourrait faire penser que le génial penseur était vraiment à l'abri d'une ambiance passablement raciste de l'intelligentsia britannique... André PICHOT, par exemple, est beaucoup moins "charitable" envers Charles DARWIN que Patrick TORT. Pour lui, "Darwin n'était ni plus ni moins raciste, sexiste ou partisan de l'esclavage, que ses contemporains" (Aux origines des théories racistes. De la Bible à Darwin, Flammarion). Ce que l'histoire personnelle du penseur de l'évolution ne corrobore pas forcément, ayant eu du mal à rentrer précisément dans le circuit universitaire "normal" et s'efforçant de ne pas participer aux discours intellectuels justifiant l'impérialisme, contrairement d'ailleurs à son entourage immédiat.

          Revenons sur la réception de l'oeuvre de Darwin dans les milieux "intellectuels". Alors que L'origine des espèces s'arrête avant l'homme, c'est dans La filiation de l'Homme qu'il aborde de front la destinée de l'humanité, après bien des hésitations dues entre autres au climat d'hystérie religieuse agitée en arrière-garde par toute une partie de l'establishment. Il fallait, avant d'aborder le contenu de ce dernier ouvrage, pense Patrick TORT, faire un retour sur le véritable sens de la sélection naturelle, de façon à bien comprendre cette filiation Animal/Humain. Le spécialiste de l'évolution s'attarde longuement sur le couple Infériorité/Supériorité, ce qui permet de bien saisir le véritable avantage de la faiblesse physique de l'homme, facteur du développement de sa sociabilité.

     A partir de La filiation de l'homme de Charles Darwin, l'historien et théoricien des sciences développe ce qu'il appelle l'effet réversif de l'évolution.
"Si importante qu'ait été, et soit encore, la lutte pour l'existence, cependant, en ce qui concerne la partie la plus élevée de la nature de l'homme, il y a d'autres facteurs plus importants", écrit Charles DARWIN. "Car les qualités morales progressent, directement ou indirectement, beaucoup plus grâce aux effets de l'habitude, aux capacités de raisonnement, à l'instruction, etc, que grâce à la sélection naturelle ; et ce, bien que l'on puisse attribuer en toute assurance à ce dernier facteur les instincts sociaux, qui ont fourni la base du développement du sens moral".  De cette "phrase capitale" Patrick TORT tente d'expliquer le dynamisme (il utilise l'analogie de l'anneau de Moebius) qui va des luttes pour l'existence, de la sélection naturelle, aux instincts sociaux, au sens moral et à la civilisation. Dans son chapitre sur l'origine de la morale, l'auteur livre une histoire naturelle de la liberté.
           "Conscient de l'insuffisance ou de l'inadéquation du trop fréquent recours à l'expédient du "saut" ou du "bond qualitatif", j'ai été conduit plusieurs fois, sur la question classique du rapport nature/culture, à affirmer ailleurs que le concept d'effet réversif de l'évolution rend possible le matérialisme. Cela paraît impliquer qu'avant sa formulation et son explicitation comme concept structurant la compréhension du continuum nature/civilisation chez Darwin, le matérialisme était incomplet. Et cela l'implique en effet. La civilisation repose en grande partie sur l'édification de la morale et la question du rapport entre matérialisme et morale est (...) restée en suspend dans la philosophie".  
     Dans un dernier petit chapitre, Patrick TORT questionne d'ailleurs la tendance "à vouloir transformer le darwinisme en philosophie", alors qu'il s'agit bien là d'une entreprise scientifique pour expliquer le monde. Il aurait pu ajouter que Charles DARWIN n'a jamais voulu entreprendre une étude sociologique...
     
        Une bibliographie fournie et d'abondantes notes en bas de page peuvent guider tout lecteur dans la poursuite de l'étude du darwinisme dans toutes ses implications. Il est fortement conseiller de prendre connaissance, pour tout approfondissement de la question - car L'effet Darwin se lit surtout comme un ouvrage qui se veut de bonne vulgarisation - de cette oeuvre qu'est La Filiation de l'Homme.
      Au moment du bicentenaire de la naissance de Charles Darwin en 2009, une polémique relança le fameux débat du darwinisme social, débat (conflit) intellectuel qui se doubla d'un conflit éditorial....
 
     L'éditeur présente le livre de la façon suivante (en quatrième de couverture) : "une interprétation expéditive du darwinisme a fait trop souvent de la "survie du plus apte" l'argument des manifestations ordinaires de la loi du plus fort : élitisme social, domination de race, de classe ou de sexe, esclavagisme, élimination des faibles. Patrick TORT, spécialiste de l'oeuvre de Darwin, montre qu'en réalité la civilisation, né de la sélection naturelle des instincts sociaux et de l'intelligence, promeut au contraire la protection des faibles à travers l'émergence - elle-même sélectionnée - des sentiments affectifs, du droit et de la morale. Pour emblème de cet "effet réversif" de l'évolution, l'auteur choisit la bande de Möbius, dont la face unique résulte d'un retournement continu. Un essai pour en finir avec la tentation toujours présente d'utiliser Darwin pour justifier l'injustifiable."
     
      Philippe SOLAL, dans un article sur son blog (www.miranda-ejournal.eu) de mars 2010, écrit que "Pour comprendre la portée de l'analyse de l'auteur, il faut la resituer dans le contexte polémique dans lequel elle prend sens et où elle s'inscrit. Au même moment où Patrick Tort faisait paraître son essai, l'historien des sciences André Pichot publiait un ouvrage nettement moins bienveillant, intitulé Aux origines des théories raciales, de la Bible à Darwin, qui lui-même faisait suite à une précédente étude, La société pure, de Darwin à Hitler (Flammarion, 2000), dans laquelle André Pichot allait même jusqu'à mêler les noms du savant britannique et de l'ordonnateur de la solution finale, suggérant ainsi une continuité entre l'énoncé des lois de la sélection naturelle et la destruction des juifs d'Europe. L'enjeu de l'ouvrage de Patrick Tort est donc nettement visible à travers les éléments de cette polémique et concerne le sens profond de l'anthropologie darwinienne. La démonstration opérée par l'auteur, érudite et renseignée, paraît convaincante, même si ce "retournement" de la cruauté de la nature à la noblesse de la morale humaine semble fournir une fin bienheureuse, une bien trop grande happy end à l'histoire de l'évolution. Patrick Tort, dans le dernier chapitre, nous enjoint de ne pas philosopher sur le Darwinisme, dont les notions dynamiques ne se laissent pas enfermer dans les catégories métaphysiques traditionnelles. C'est pourtant ce qu'il fait tout au long de son ouvrage, pour notre plus grand bonheur."
 

 

 
     Patrick TORT (né en 1952), linguiste, épistémologue, philosophe et historien des sciences français, fondateur en 1998 de l'Institut Charles Darwin International, a écrit et dirigé de nombreuses études sur le darwinisme, dont le Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution (PUF, 1996) en trois gros volumes (5000 pages au total). Il a aussi écrit notamment Misère de la sociobiologie (PUF, 1985) ; Darwinisme et société (PUF, 1992) ; Pour Darwin (PUF, 1997) avec de nombreux collaborateurs ; L'Ordre et les monstres (Le débat sur l'origine des déviations anatomiques au XVIIIe siècle) (Syllepse, 1998) ; La pensée hiérarchique et l'évolution (Aubier, 1983) ; Darwin et la Religion (la conversion matérialiste) (Ellipses, 2011) ; Darwinisme et marxisme (Les éditions arkhê, 2011)... 
Son site officiel fourmille d'informations : www.patrick-tort.org
 
 
 


Patrick TORT, L'effet Darwin, Sélection naturelle et naissance de la civilisation, Éditions du Seuil, collection Science ouverte, 2008, 235 pages.
Charles DARWIN, La filiation de l'homme et la sélection liée au sexe, traduction coordonnée par Michel PRUM, présentée par Patrick TORT, Éditions Syllepse, 2000. Il s'agit de la traduction de l'anglais The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex, troisième tirage de la deuxième édition de 1874, dont la première eut lieu en 1871.
 
Complété le 2 Octobre 2012. Relu le 21 avril 2019
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commentaires

C
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Description : Mon Blog(fermaton.over-blog.com), présente le développement mathématique de la conscience humaine.<br /> <br /> La Page:BEAGLE DE DARWIN !<br /> <br /> LE THÉORÈME DU BEAGLE.<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> Clovis Simard<br /> <br /> <br />
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