5 juin 2009
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Examiner les philosophies américaines, en soi, à part leur rôle dans le conflit, dans les conflits, répond à une double démarche.
D'une part, le corpus philosophique américain est bien distinct du corpus européen ou des régions d'Asie, et à l'échelle des États-Unis, constitue bien un ensemble d'une certaine cohérence. D'autre part, alors que de cette philosophie découle bien des effets, notamment une certaine manière de voir le monde et les relations humaines, et qu'elle diffuse dans le monde entier, elle est peu connue du public européen et parfois méprisée par une grande partie de l'intelligentsia européenne. Nous tenterons d'analyser les différentes philosophies ayant une part dans la constitution de la mentalité nord-américaine d'une manière chronologique, de Samuel JOHNSON à Susan HAAK.
Nous ne pouvons pas comprendre l'importance de l'oeuvre de Samuel JOHNSON (1696-1772), considéré comme le premier philosophe américain, ni l'influence de sa philosophie, assez médiocre selon les critères habituels, si nous ne nous souvenons pas de l'ambiance religieuse particulière à la colonisation, notamment venue d'Angleterre. L'évêque et philosophe irlandais George BERKEKEY (1685-1753) trouve en lui un vulgarisation assidu (en tant que membre important de l'Église anglicane dans les colonies anglaises d'Amérique), même s'il mêle à l'empirisme "dogmatique" (selon l'expression d'Emmanuel KANT) un platonisme puritain.
Une parenthèse sur cet empirisme permet de se faire une idée de la théorie de l'action prônée par Samuel JOHNSON. Dans l'histoire de la philosophie, plusieurs idéalismes se disputent la conception du monde et de la société : l'idéalisme "problématique" de DESCARTES, s'oppose à l'idéalisme "dogmatique" de BERKELEY, lequel s'oppose à l'idéalisme "transcendantal" d'Emmanuel KANT. Temps et espace, pour KANT, ne sont pas perçus, seuls le sont les phénomènes dans le temps et dans l'espace. Le transcendantalisme ajoute aux formes a priori de la sensibilité des catégories a priori de l'entendement (qualité, quantité, relation, modalité) ainsi qu'un sujet "transcendantal", permanent et accompagnant toutes les représentations. George BERKELEY, lui, considère comme la grande majorité des empiristes qu'il n'existe pas d'entités a priori ; tout est a posteriori. Seuls les objets de la perception ou les esprits qui les perçoivent sont réels. La théorie de la connaissance de George BERKELEY, reprise de la position de John LOCKE, n'étudie que des objets immédiatement donnés par les sens ou par l'entendement. Les idées n'existent pas en dehors d'un esprit qui les perçoit. Il n'y a en fait aucune matière, nous ne percevons que les idées de celle-ci, et c'est cela seul qui importe. Il n'y a pas de chose en soi, tout dépend du sujet, et cet empirisme est finalement plus proche de René DESCARTES que d'Emmanuel KANT, en ce sens que le philosophe français en arrive à douter de l'existence du monde réel et que les impressions que nous avons peuvent provenir de l'activité d'esprits trompeurs. On imagine bien la connexion de cet empirisme avec la croyance religieuse qui fait dépendre le monde d'éléments bien supérieurs à ce que peut en faire l'action humaine. On conçoit également que tout dialogue est pratiquement impossible entre cet idéalisme "dogmatique" et l'idéalisme "spéculatif" d'HEGEL.
Cette parenthèse n'a pas d'autre objet de signifier que l'univers mental américain diffère de l'univers mental européen. De fait, si en Europe la théologie est reléguée à une influence mineure, aux États-Unis, l'existence de forces surnaturelles est intégrée dans les esprits et guide nombre d'activités. Énormément de philosophes américains, surtout dans la période coloniale, sont en même temps des théologiens et des faiseurs de sermons diffusés régulièrement dans tous les foyers ou lors de grands rassemblements.
Plus élaborée, la philosophie de Jonathan EDWARDS (1703-1772), ministre de l'Église congrégationaliste, notamment dans The Freedom of the Will (1754), traite de la liberté de la volonté conformément à la doctrine de la prédestination et de la "totale perversion et corruption de la nature humaine", "ce qui n'excuse aucunement le péché", ni non plus "de ne pas faire le bien".
Selon une argumentation simplifiée dans des sermons à fortes connotations menaçantes (il est fréquemment mis en garde, sous peine d'enfer éternel, contre le non-respect des prescriptions morales), la détermination de la volonté qui a pour cause "un motif extérieur ou un penchant habituel interne" est distinguée de la liberté de l'agent qui possède la volonté. L'homme "n'est pas libre de vouloir ce qu'il veut, mais il est pleinement et parfaitement libre de faire ce qu'il veut"...
Jonathan EDWARS est un des acteurs du "Grand réveil" religieux (1720-1770), qui traverse surtout le protestantisme (religion dominante).
A une Église officielle, pilotée par les familles d'aristocrates fonciers, qui distille essentiellement la soumission aux autorités, se joint un mouvement des idées issues des Lumières qui ne place plus l'homme dans la dépendance du péché originel. Les responsables d'Église veulent réconcilier les nouvelles pensées des sciences naturelles avec les explications théologiques. Contre ce mouvement-là, cette déperdition de la foi, cette perte également du sens de la recherche d'un Nouveau Monde moral des premiers colonisateurs, de nombreux prédicateurs, emportés par une émotion communicative, prêchent la conversion personnelle, et réaffirment la possibilité de salut par la Grâce seule. Cette période, émaillée par la naissance de nouvelles églises indépendantes, voit souffler un nouveau vent de ferveur religieuse, mais aussi de tolérance et de liberté. L'insistance sur la responsabilité et la liberté de l'individu prépare beaucoup d'esprits à la future Révolution américaine.
Alors qu'en Europe, le mouvement des idées va vers une critique de plus en plus vive de la religion, beaucoup trop au service des Monarchies et du conservatisme (notamment contre l'esprit scientifique), dans les Colonies américaines, il amplifie l'esprit religieux en en faisant un facteur de liberté et d'épanouissement personnel et collectif.
Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, Editions De Boeck Université, collection Le point philosophique, 1998. Daniel BOORSTIN, Histoire des Américains, Editions Robert Laffont, collection Bouquins, 1981.
PHILIUS
D'une part, le corpus philosophique américain est bien distinct du corpus européen ou des régions d'Asie, et à l'échelle des États-Unis, constitue bien un ensemble d'une certaine cohérence. D'autre part, alors que de cette philosophie découle bien des effets, notamment une certaine manière de voir le monde et les relations humaines, et qu'elle diffuse dans le monde entier, elle est peu connue du public européen et parfois méprisée par une grande partie de l'intelligentsia européenne. Nous tenterons d'analyser les différentes philosophies ayant une part dans la constitution de la mentalité nord-américaine d'une manière chronologique, de Samuel JOHNSON à Susan HAAK.
Nous ne pouvons pas comprendre l'importance de l'oeuvre de Samuel JOHNSON (1696-1772), considéré comme le premier philosophe américain, ni l'influence de sa philosophie, assez médiocre selon les critères habituels, si nous ne nous souvenons pas de l'ambiance religieuse particulière à la colonisation, notamment venue d'Angleterre. L'évêque et philosophe irlandais George BERKEKEY (1685-1753) trouve en lui un vulgarisation assidu (en tant que membre important de l'Église anglicane dans les colonies anglaises d'Amérique), même s'il mêle à l'empirisme "dogmatique" (selon l'expression d'Emmanuel KANT) un platonisme puritain.
Une parenthèse sur cet empirisme permet de se faire une idée de la théorie de l'action prônée par Samuel JOHNSON. Dans l'histoire de la philosophie, plusieurs idéalismes se disputent la conception du monde et de la société : l'idéalisme "problématique" de DESCARTES, s'oppose à l'idéalisme "dogmatique" de BERKELEY, lequel s'oppose à l'idéalisme "transcendantal" d'Emmanuel KANT. Temps et espace, pour KANT, ne sont pas perçus, seuls le sont les phénomènes dans le temps et dans l'espace. Le transcendantalisme ajoute aux formes a priori de la sensibilité des catégories a priori de l'entendement (qualité, quantité, relation, modalité) ainsi qu'un sujet "transcendantal", permanent et accompagnant toutes les représentations. George BERKELEY, lui, considère comme la grande majorité des empiristes qu'il n'existe pas d'entités a priori ; tout est a posteriori. Seuls les objets de la perception ou les esprits qui les perçoivent sont réels. La théorie de la connaissance de George BERKELEY, reprise de la position de John LOCKE, n'étudie que des objets immédiatement donnés par les sens ou par l'entendement. Les idées n'existent pas en dehors d'un esprit qui les perçoit. Il n'y a en fait aucune matière, nous ne percevons que les idées de celle-ci, et c'est cela seul qui importe. Il n'y a pas de chose en soi, tout dépend du sujet, et cet empirisme est finalement plus proche de René DESCARTES que d'Emmanuel KANT, en ce sens que le philosophe français en arrive à douter de l'existence du monde réel et que les impressions que nous avons peuvent provenir de l'activité d'esprits trompeurs. On imagine bien la connexion de cet empirisme avec la croyance religieuse qui fait dépendre le monde d'éléments bien supérieurs à ce que peut en faire l'action humaine. On conçoit également que tout dialogue est pratiquement impossible entre cet idéalisme "dogmatique" et l'idéalisme "spéculatif" d'HEGEL.
Cette parenthèse n'a pas d'autre objet de signifier que l'univers mental américain diffère de l'univers mental européen. De fait, si en Europe la théologie est reléguée à une influence mineure, aux États-Unis, l'existence de forces surnaturelles est intégrée dans les esprits et guide nombre d'activités. Énormément de philosophes américains, surtout dans la période coloniale, sont en même temps des théologiens et des faiseurs de sermons diffusés régulièrement dans tous les foyers ou lors de grands rassemblements.
Plus élaborée, la philosophie de Jonathan EDWARDS (1703-1772), ministre de l'Église congrégationaliste, notamment dans The Freedom of the Will (1754), traite de la liberté de la volonté conformément à la doctrine de la prédestination et de la "totale perversion et corruption de la nature humaine", "ce qui n'excuse aucunement le péché", ni non plus "de ne pas faire le bien".
Selon une argumentation simplifiée dans des sermons à fortes connotations menaçantes (il est fréquemment mis en garde, sous peine d'enfer éternel, contre le non-respect des prescriptions morales), la détermination de la volonté qui a pour cause "un motif extérieur ou un penchant habituel interne" est distinguée de la liberté de l'agent qui possède la volonté. L'homme "n'est pas libre de vouloir ce qu'il veut, mais il est pleinement et parfaitement libre de faire ce qu'il veut"...
Jonathan EDWARS est un des acteurs du "Grand réveil" religieux (1720-1770), qui traverse surtout le protestantisme (religion dominante).
A une Église officielle, pilotée par les familles d'aristocrates fonciers, qui distille essentiellement la soumission aux autorités, se joint un mouvement des idées issues des Lumières qui ne place plus l'homme dans la dépendance du péché originel. Les responsables d'Église veulent réconcilier les nouvelles pensées des sciences naturelles avec les explications théologiques. Contre ce mouvement-là, cette déperdition de la foi, cette perte également du sens de la recherche d'un Nouveau Monde moral des premiers colonisateurs, de nombreux prédicateurs, emportés par une émotion communicative, prêchent la conversion personnelle, et réaffirment la possibilité de salut par la Grâce seule. Cette période, émaillée par la naissance de nouvelles églises indépendantes, voit souffler un nouveau vent de ferveur religieuse, mais aussi de tolérance et de liberté. L'insistance sur la responsabilité et la liberté de l'individu prépare beaucoup d'esprits à la future Révolution américaine.
Alors qu'en Europe, le mouvement des idées va vers une critique de plus en plus vive de la religion, beaucoup trop au service des Monarchies et du conservatisme (notamment contre l'esprit scientifique), dans les Colonies américaines, il amplifie l'esprit religieux en en faisant un facteur de liberté et d'épanouissement personnel et collectif.
Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, Editions De Boeck Université, collection Le point philosophique, 1998. Daniel BOORSTIN, Histoire des Américains, Editions Robert Laffont, collection Bouquins, 1981.
PHILIUS
Relu et corrigé le 17 avril 2019