7 juin 2009
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Robert MUCHEMBLED, professeur à l'université de Paris-Nord, auteur déjà d'une vingtaine d'ouvrage d'histoire, et qui a consacré de nombreuses années à l'étude des archives du Comté d'Artois, écrit là une histoire de la violence qui remet beaucoup d'idées en place. Dans la lignée de Norbert ELIAS et de ses études sur la civilisation des moeurs, l'auteur dresse une fresque historique de 1300 à 2000, qui permet de situer la réalité de la violence, loin du tapage médiatique de certaines organes de presse passablement orientés.
"Du XIII au XXIème siècle, la violence physique et la brutalité des rapports humains suivent une trajectoire déclinante dans toute l'Europe de l'Ouest. La courbe des homicides répertoriés dans les archives judiciaires en témoigne. Au très haut niveau initial observé voici 700 ans succède une première baisse, de moitié environ, vers 1600-1650, suivie d'un effondrement spectaculaire : le nombre de cas est divisé par dix en 3 siècles, jusqu'aux années 1960, tandis que les décennies suivantes connaissent une relative mais nette remontée." commence Robert MUCHEMBLED dans son Introduction. Explication de cet état de fait, selon l'auteur qui s'appuie sur "la plupart des chercheurs actuels" : l'émergence "sur le Vieux Continent d'un puissant modèle de gestion de la brutalité masculine, juvénile en particulier."
Pour l'auteur, "la principale rupture se situe vers 1650, lorsque s'affirme dans toute l'Europe meurtrie par d'interminables guerres une intense dévaluation de la vue du sang. A partir de ce moment, la "fabrique" occidentale refaçonne les comportements individuels volontiers brutaux, en particulier chez les jeunes, par un système de normes et de règles de politesse qui dévalorise les affrontements en armes, les codes de vengeance personnelle, la rudesse des rapports hiérarchiques et la dureté des relations entre sexes ou classes d'âge. Il en résulte au fil des siècles une véritable transformation de la sensibilité collective face à l'homicide, qui aboutit finalement à en faire un puissant tabou au cours de l'époque industrielle."
Commençant par le traditionnel essai de définition de la violence, en faisant appel à des éléments psychanalytiques et sociologiques, Robert MUCHEMBLED insiste beaucoup sur l'évolution du regard porté sur elle par la population en général et par les autorités en particulier. Il détaille ensuite le spectaculaire déclin de la violence depuis 7 siècles, et en décrivant la paix urbaine à la fin du Moyen Âge, en montrant les facettes du duel nobiliaire et des révoltes populaires, il nous fait comprendre comment on en arrive à une violence apprivoisée. Notamment grâce au développement d'une littérature abondante et très diffusée propageant des frissons mortels à travers des récits noirs ou d'aventures, on assiste à une fantasmatisation de la violence, comme dérivatif mental ou par effet de catharsis.
Dans un dernier chapitre sur les bandes des jeunes actives depuis les années 1960, l'historien relativise leur importance : "Les récentes augmentations enregistrées en matière d'homicide et d'agressions physiques ne sont peut-être que des fluctuations conjoncturelles sur une courbe qui demeure très basse dans le long terme". A diverses reprises d'ailleurs, l'auteur montre bien les différences notables du niveau de violence entre l'Europe de l'Ouest, l'Amérique du Nord, le Japon et les autres régions du monde. Dans son explication à ce phénomène l'auteur met en relief le fait qu'en très peu de temps, la civilisation européenne s'est trouvée libérée des traditionnels conflits armés : "une mutation feutrée mais décisive du rapport à la loi ancienne de la force (...) se traduit par un bouleversement des équilibres entre les classes d'âge et les sexes." Dans de longs passages sur la violence juvénile, l'auteur indique que dans les longues périodes de développement démographique, on assiste plus à des montées de "sourds mécontentements générationnels" que dans les périodes de grands troubles ou de guerres. Que ce soit dans les années 1960 ou 2000, "les bandes offrent aux jeunes une socialisation par les pairs qui se substitue à une éducation par les pères devenue insuffisante, défaillante ou maladroite."
Dans sa conclusion, Robert MUCHEMBLED pose quand même la question : "Sommes-nous arrivés à un tournant? Notre civilisation globalement apaisée, riche et hédoniste saura t-elle sublimer davantage les pulsions juvéniles brutales, qu'elle continuait à entretenir voici peu en les réservant aux confrontations guerrières, pour éviter qu'elles ne saturent les marges déshéritées des grandes métropoles ou les stades et ne produisent des explosions en chaîne? Sans en dire les termes, l'auteur fait bien sentir les limites d'un contrôle social lorsque les injustices généralisées se propagent, notamment chez les populations les plus jeunes.
"Du XIII au XXIème siècle, la violence physique et la brutalité des rapports humains suivent une trajectoire déclinante dans toute l'Europe de l'Ouest. La courbe des homicides répertoriés dans les archives judiciaires en témoigne. Au très haut niveau initial observé voici 700 ans succède une première baisse, de moitié environ, vers 1600-1650, suivie d'un effondrement spectaculaire : le nombre de cas est divisé par dix en 3 siècles, jusqu'aux années 1960, tandis que les décennies suivantes connaissent une relative mais nette remontée." commence Robert MUCHEMBLED dans son Introduction. Explication de cet état de fait, selon l'auteur qui s'appuie sur "la plupart des chercheurs actuels" : l'émergence "sur le Vieux Continent d'un puissant modèle de gestion de la brutalité masculine, juvénile en particulier."
Pour l'auteur, "la principale rupture se situe vers 1650, lorsque s'affirme dans toute l'Europe meurtrie par d'interminables guerres une intense dévaluation de la vue du sang. A partir de ce moment, la "fabrique" occidentale refaçonne les comportements individuels volontiers brutaux, en particulier chez les jeunes, par un système de normes et de règles de politesse qui dévalorise les affrontements en armes, les codes de vengeance personnelle, la rudesse des rapports hiérarchiques et la dureté des relations entre sexes ou classes d'âge. Il en résulte au fil des siècles une véritable transformation de la sensibilité collective face à l'homicide, qui aboutit finalement à en faire un puissant tabou au cours de l'époque industrielle."
Commençant par le traditionnel essai de définition de la violence, en faisant appel à des éléments psychanalytiques et sociologiques, Robert MUCHEMBLED insiste beaucoup sur l'évolution du regard porté sur elle par la population en général et par les autorités en particulier. Il détaille ensuite le spectaculaire déclin de la violence depuis 7 siècles, et en décrivant la paix urbaine à la fin du Moyen Âge, en montrant les facettes du duel nobiliaire et des révoltes populaires, il nous fait comprendre comment on en arrive à une violence apprivoisée. Notamment grâce au développement d'une littérature abondante et très diffusée propageant des frissons mortels à travers des récits noirs ou d'aventures, on assiste à une fantasmatisation de la violence, comme dérivatif mental ou par effet de catharsis.
Dans un dernier chapitre sur les bandes des jeunes actives depuis les années 1960, l'historien relativise leur importance : "Les récentes augmentations enregistrées en matière d'homicide et d'agressions physiques ne sont peut-être que des fluctuations conjoncturelles sur une courbe qui demeure très basse dans le long terme". A diverses reprises d'ailleurs, l'auteur montre bien les différences notables du niveau de violence entre l'Europe de l'Ouest, l'Amérique du Nord, le Japon et les autres régions du monde. Dans son explication à ce phénomène l'auteur met en relief le fait qu'en très peu de temps, la civilisation européenne s'est trouvée libérée des traditionnels conflits armés : "une mutation feutrée mais décisive du rapport à la loi ancienne de la force (...) se traduit par un bouleversement des équilibres entre les classes d'âge et les sexes." Dans de longs passages sur la violence juvénile, l'auteur indique que dans les longues périodes de développement démographique, on assiste plus à des montées de "sourds mécontentements générationnels" que dans les périodes de grands troubles ou de guerres. Que ce soit dans les années 1960 ou 2000, "les bandes offrent aux jeunes une socialisation par les pairs qui se substitue à une éducation par les pères devenue insuffisante, défaillante ou maladroite."
Dans sa conclusion, Robert MUCHEMBLED pose quand même la question : "Sommes-nous arrivés à un tournant? Notre civilisation globalement apaisée, riche et hédoniste saura t-elle sublimer davantage les pulsions juvéniles brutales, qu'elle continuait à entretenir voici peu en les réservant aux confrontations guerrières, pour éviter qu'elles ne saturent les marges déshéritées des grandes métropoles ou les stades et ne produisent des explosions en chaîne? Sans en dire les termes, l'auteur fait bien sentir les limites d'un contrôle social lorsque les injustices généralisées se propagent, notamment chez les populations les plus jeunes.
Notons qu'une abondante bibliographie et des notes très détaillées en bas de page permettent à tout chercheur ou tout étudiant de poursuivre et d'approfondir cette réflexion.
L'éditeur présente le livre de la manière suivante : "L'actualité place sans cesse la violence sur le devant de la scène. Thème important pour les sociologues et les politiques, elle est aussi un objet d'histoire. A rebours du sentiment dominant, Robert Muchembled montre que la brutalité et l'homicide connaissent une baisse constante depuis le XVIIIe siècle. La théorie d'une "civilisation des moeurs", d'un apprivoisement voire d'une sublimation progressive de la violence parait donc fondée. Comment expliquer cette incontestable régression de l'agressivité? Quels mécanismes l'Europe a-t-elle réussit à mettre en oeuvre pour juguler la violence? Un contrôle social de plus en plus étroit des adolescents mâles et célibataires, doublé d'une éducation coercitive des mêmes classes d'âge fournissent les éléments centraux de l'explication. Progressivement, la violence masculine disparaît de l'espace public pour se concentrer dans la sphère domestique, tandis qu'une vaste littérature populaire, ancêtre des médias de masse actuels, se voit chargée d'un rôle catharsique : ce sont les duels des Trois Mousquetaires ou de Pardaillan, mais aussi, dans le genre policier inventé au XIXe siècle, les crimes extraordinaires de Fantômas qui ont désormais à charge de traduire les pulsions violentes. Les premières années du XXIe siècle semblent toutefois inaugurer une vigoureuse résurgence de la violence, notamment de la part des "jeunes de banlieues". L'homme redeviendrait-il un loup pour l'homme?"
Nathalie SZCZECH (site www.nonfiction.fr), en octobre 2008, salue cet ouvrage : "Après bientôt quatre décennies de recherches historiques consacrées à la violence, Robert Muchembled ose prendre du recul, croiser des données régionales avec les résultats rassemblés par d'autres historiens européens et confronter ses hypothèses à celles de spécialistes en sciences humaines pour proposer, sur ce thème des plus complexes, un regard largement diachronique et comparatiste. Considérant la violence criminelle à la lumière des archives judiciaires, l'historien constate que depuis le XVIIIe siècle, les rapports humains apparaissent progressivement moins brutaux : émerge et s'installe dans l'Europe moderne puis contemporaine, un modèle de gestion de la violence qui parvient progressivement à canaliser les pulsions agressives individuelles. (...) Confronté, comme tous les spécialistes de la violence, au problème de sa définition, Robert Muchembled choisit de consacrer un premier chapitre à l'examen de cette notion complexe et de faire rapidement le point sur la question de ses origines et de ses modalités. Partant d'une présentation minimale fondée sur l'étymologie, l'auteur choisit de retenir une définition légale de la violence et de concentrer son regard sur les violences criminelles. (...) Il faut saluer l'audace de Robert Muchambled qui propose sur le sujet si glissant de la violence, une synthèse qui embrasse largement l'Europe moderne et contemporaine. Fort de ses recherches personnelles sur les archives de l'Artois - qui lui sert de laboratoire -, l'historien s'appuie, pour élargir son propos, sur une fine connaissance de la littérature secondaire spécialisée la plus récente. Son ouvrage est ainsi riche d'exemples variés et évocateurs. De ce fourmillement de cas se dégage la classique idée d'un déclin progressif de la violence que l'auteur soutient avec force. C'est néanmoins la conviction d'un lien entre les actes de violence et la situation sociale des jeunes gens qui en sont les auteurs, qui anime de manière neuve toute la réflexion de l'historien. Plaidant pour une analyse culturelle du phénomène de violence, c'est moins une étude politique ou sociale, qu'un regard porté sur les mutations des imaginaires - figures de la virilité, code d'honneur, construction du lien intergénérationnel - qui permettrait de comprendre les modalité et transformations de la violence criminelle dans les sociétés d'Europe occidentale. Essai de synthèse, l'ouvrage n'hésite pas à prendre de la hauteur et à multiplier les hypothèses stimulantes et les larges comparaisons. Peut-être souffrirait-il en contrepartie de la loi du genre : largement ouvert chronologiquement, il traite néanmoins rapidement la période contemporaine. Riche de propositions, il n'a pas toujours un espace suffisant pour les développer toutes, pour préciser l'appareil théorique ou laisser plus longuement parler les sources. Indispensable à l'approche historique du phénomène de la violence, le travail de Robert Muchembled invite de manière très stimulante à poursuivre, à son propos, les recherches sur le terrain du culture."
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Robert MUCHEMBLED (né en 1944), historien français spécialiste de l'Époque moderne, oriente ses recherches sur l'histoire sociale, l'anthropologie du pouvoir, la criminalité et la vie matérielle entre 1400 et 1789. il s'est beaucoup intéressé au phénomène de la sorcellerie, ou plutôt de sa répression. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont : Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe siècles) (Flammarion, 1978, réédité en 1991) ; Sorcières, justice et société aux XVI-XVIIe siècles (imago, 1987) ; L'invention de l'homme moderne. Sensibilités, moeurs et comportements collectifs sous l'Ancien Régime (Fayard, 1988, réédition Hachette, 1994) ; le Temps des supplices. De l'obéissance sous les rois absolus, XVe-XVIIIe siècles (Armand Colin, 1992; réédition Press Pocket, 2001) ; La société policée. Politique et politesse en France du XVe au XXe siècle (Seuil, 1998) ; L'orgasme et l'Occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours (Seuil, 2005) ; Les Ripoux des Lumières, Corruption policière et Révolution (Seuil, 2011)...
Robert MUCHEMBLED, Une histoire de la violence, De la fin du Moyen Âge à nos jours, Éditions du Seuil, collection L'univers historique, 2008, 500 pages.
Complété le 5 octobre 2012. Relu le 16 avril 2019.