21 juin 2009
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De diverses manières de lire une Constitution
Il existe plusieurs manières de lire ou de comprendre une constitution, la constitution des Etats-unis par exemple.
il y a la lecture de droit constitutionnel qui consiste à la manière d'André TUNC ou d'autres juristes, une manière interne en quelque sorte par rapport au texte, et par rapport aux textes qui le précèdent ou le suivent dans le temps. On peut faire du droit et de la jurisprudence et discuter des diverses compétences des organes constitutionnels, du législatif, de l'exécutif, du judiciaire. De cette répartition formelle du pouvoir entre différentes instances politiques. De manière de gouverner.
Il y a une autre lecture qui consiste, à se placer du point de vue politique toujours, mais extérieur en quelque sorte au texte, en soulevant les questions simples et essentielles : qui gouvernent? qui sont gouvernés? comment s'articulent le formalisme politique avec la présence ensemble ou face à face des groupes politiques existants?
Or, dans l'historiographie des Etats-Unis se positionne très souvent seulement suivant la première manière de lire la Constitution. Elle prend à la lettre les termes de celle-ci, défend sa conception, sa validité, et glorifie sa pérennité et la stabilité qu'elle donne aux institutions du pays. Bien entendu la quantité importante d'amendements à cette constitution (17 depuis 1789) amène des explications qui vont dans le sens d'un renforcement du sens de cette Constitution. Elles se situent souvent dans le fil droit des discussions pendant la diffusion du The Federalist.
Ce n'est que tardivement aux Etats-Unis que des voix s'élèvent pour mettre en cause cette manière apologétique de commenter la Constitution. L'une d'entre elles, celle de Charles Austin BEARD (1874-1948), l'un des principaux historiens américains, conteste les interprétations habituelles des motivations de l'oeuvre des Pères fondateurs des Etats-Unis, notamment dans son livre An economic Interpretation of the Constitution. "Dans la mesure où le premier objectif d'un régime est - en dehors de la simple répression de la violence physique - d'édicter des règles qui régissent les rapports de propriété entre les membres d'une même société, les classes dominantes dont les droits doivent être ainsi définis cherchent inévitablement à obtenir du gouvernement que ces règles soient compatibles avec les intérêts les plus nécessaires à la continuation de leurs stratégies économiques. A moins, évidemment, qu'ils ne contrôlent eux-mêmes les instances de gouvernement." Se fondant sur l'étude des situations économiques et des opinions politiques des 55 hommes qui se réunirent pour élaborer la Constitution américaine, il relève que la majorité était des professionnels du droit, que la plupart étaient propriétaires d'immenses terrains, de manufactures, de titres d'État (et d'esclaves...) en nombre. Benjamin FRANKLIN, Alexander HAMILTON, Georges WASHINGTON avaient en commun avec d'autres rédacteurs de faire partie des couches les plus riches de la société américaine.
"Nous, le Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d'établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être général et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d'Amérique." (préambule de la Constitution des États-Unis d'Amérique)
Une lecture juridique décèle le contournement de la difficulté de nommer les États membres, cette ratification étant alors incertaine par beaucoup d'États, et surtout cette formulation fonde la constitution sur le peuple entier et non sur les États en tant que tel. C'est bien la constitution d'une nation.
Une lecture de la réalité sociale, politique et économique, montre que ce Nous, le peuple, désigne ces hommes blancs anglais et protestant issus de l'aristocratie la plus riche. Ce Nous le peuple est un Nous d'exclusion, puisque les femmes, les Noirs, les indiens, les citoyens pauvres dans l'impossibilité d'acquitter de leurs devoirs électoraux (et bien entendu, les esclaves), étant tout simplement démuni des moyens intellectuels ou financiers de le faire... n'en font pas partie. Et dans les débats du Federalist, dont certains termes sonnent à nos yeux d'une manière peut-être étrange, transparaît une méfiance radicale vis-à-vis d'une forme de république dite populaire, disons-le de la démocratie. Transparaît parfois aussi la volonté de convaincre d'autres membres de la même aristocratie que cette Constitution est mieux à même de défendre leurs intérêts, face aux menaces venant des autres couches de la société et des autres pays.
Il existe plusieurs manières de lire ou de comprendre une constitution, la constitution des Etats-unis par exemple.
il y a la lecture de droit constitutionnel qui consiste à la manière d'André TUNC ou d'autres juristes, une manière interne en quelque sorte par rapport au texte, et par rapport aux textes qui le précèdent ou le suivent dans le temps. On peut faire du droit et de la jurisprudence et discuter des diverses compétences des organes constitutionnels, du législatif, de l'exécutif, du judiciaire. De cette répartition formelle du pouvoir entre différentes instances politiques. De manière de gouverner.
Il y a une autre lecture qui consiste, à se placer du point de vue politique toujours, mais extérieur en quelque sorte au texte, en soulevant les questions simples et essentielles : qui gouvernent? qui sont gouvernés? comment s'articulent le formalisme politique avec la présence ensemble ou face à face des groupes politiques existants?
Or, dans l'historiographie des Etats-Unis se positionne très souvent seulement suivant la première manière de lire la Constitution. Elle prend à la lettre les termes de celle-ci, défend sa conception, sa validité, et glorifie sa pérennité et la stabilité qu'elle donne aux institutions du pays. Bien entendu la quantité importante d'amendements à cette constitution (17 depuis 1789) amène des explications qui vont dans le sens d'un renforcement du sens de cette Constitution. Elles se situent souvent dans le fil droit des discussions pendant la diffusion du The Federalist.
Ce n'est que tardivement aux Etats-Unis que des voix s'élèvent pour mettre en cause cette manière apologétique de commenter la Constitution. L'une d'entre elles, celle de Charles Austin BEARD (1874-1948), l'un des principaux historiens américains, conteste les interprétations habituelles des motivations de l'oeuvre des Pères fondateurs des Etats-Unis, notamment dans son livre An economic Interpretation of the Constitution. "Dans la mesure où le premier objectif d'un régime est - en dehors de la simple répression de la violence physique - d'édicter des règles qui régissent les rapports de propriété entre les membres d'une même société, les classes dominantes dont les droits doivent être ainsi définis cherchent inévitablement à obtenir du gouvernement que ces règles soient compatibles avec les intérêts les plus nécessaires à la continuation de leurs stratégies économiques. A moins, évidemment, qu'ils ne contrôlent eux-mêmes les instances de gouvernement." Se fondant sur l'étude des situations économiques et des opinions politiques des 55 hommes qui se réunirent pour élaborer la Constitution américaine, il relève que la majorité était des professionnels du droit, que la plupart étaient propriétaires d'immenses terrains, de manufactures, de titres d'État (et d'esclaves...) en nombre. Benjamin FRANKLIN, Alexander HAMILTON, Georges WASHINGTON avaient en commun avec d'autres rédacteurs de faire partie des couches les plus riches de la société américaine.
"Nous, le Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d'établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être général et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d'Amérique." (préambule de la Constitution des États-Unis d'Amérique)
Une lecture juridique décèle le contournement de la difficulté de nommer les États membres, cette ratification étant alors incertaine par beaucoup d'États, et surtout cette formulation fonde la constitution sur le peuple entier et non sur les États en tant que tel. C'est bien la constitution d'une nation.
Une lecture de la réalité sociale, politique et économique, montre que ce Nous, le peuple, désigne ces hommes blancs anglais et protestant issus de l'aristocratie la plus riche. Ce Nous le peuple est un Nous d'exclusion, puisque les femmes, les Noirs, les indiens, les citoyens pauvres dans l'impossibilité d'acquitter de leurs devoirs électoraux (et bien entendu, les esclaves), étant tout simplement démuni des moyens intellectuels ou financiers de le faire... n'en font pas partie. Et dans les débats du Federalist, dont certains termes sonnent à nos yeux d'une manière peut-être étrange, transparaît une méfiance radicale vis-à-vis d'une forme de république dite populaire, disons-le de la démocratie. Transparaît parfois aussi la volonté de convaincre d'autres membres de la même aristocratie que cette Constitution est mieux à même de défendre leurs intérêts, face aux menaces venant des autres couches de la société et des autres pays.
De nombreuses études historiques mettent en évidence la tiédeur - dont se plaignant d'ailleurs les vrais insurgés - dont fait preuve la grande majorité du "peuple" envers la Révolution, envers l'Indépendance et envers la Constitution. Elles mettent en relief, comme celle de Jackson Turner MAIN (1916-2003), dans son livre Social Structure of Revolutionnary America, également à jour les désordres civils provoqués par la guerre d'indépendance, les multiples conflits entre grands propriétaires, journaliers, commerçants, locataires, fermiers, sans compter les multiples émeutes et les nombreuses révoltes d'esclaves. De nombreux groupes sociaux ont cru voir dans la Révolution l'occasion d'une rénovation sociale, et il fallait tout le talent oratoire des leaders des Insurgés pour convaincre que "l'anarchie ne régnera pas"...
Toute Révolution est le moment d'une redistribution des richesses et la Révolution américaine n'échappe pas à cette règle. Bien entendu, les révoltes sociales obligèrent les classes dominantes à composer avec des catégories pauvres de la population, mais surtout, les gigantesques propriétés des loyalistes à la Couronne britannique passèrent entre les mains des familles insurgées.
Des historiens critiques (Carl DEGLER) affirment, études très précises souvent à l'appui, que la révolution américaine n'ouvrit les portes du pouvoir politique à aucune nouvelle classe sociale. Howard ZINN pense que "La Constitution illustrait donc parfaitement la complexité du système américain : elle servait les intérêts de l'élite fortunée mais faisait également quelques gestes en direction des petits propriétaires, des ouvriers-artisans et des fermiers aux revenus modestes, pour s'assurer leur soutien le plus large. Les gens modérément prospères qui composaient cette base formaient, en outre, un rempart efficace contre les Indiens, les Noirs et les Blancs pauvres. Elles permettaient à l'élite américaine de conserver le contrôle de la situation avec un minimum de mesures coercitives et un maximum de législation - tout cela rendu plus acceptable grâce aux flonflons patriotiques et unitaires."
Howard ZINN, Une histoire populaire des États-Unis, Agone, 2002. Elise MARIENSTRAS, Les mythes fondateurs de la nation américaine, Editions Complexe, 1992. André TUNC, Le droit des États-Unis, PUF, collection Que sais-je?, 1969.
Le texte de la Constitution des Etats-Unis est disponible sur plusieurs sites Internet.
PHILIUS
Relu le 4 avril 2019