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22 juin 2009 1 22 /06 /juin /2009 13:24
           Dans son introduction au mythe, Marcel DETIENNE indique que "deux thèses principales s'affrontent. Pour l'une, la vérité des mythes, et même toute vérité, n'est en définitive qu'"un effet de signification". Pour l'autre, la création des mythes, la mythologie vécue, spontanée, n'est qu'un jeu logique, qu'un exercice de mise en ordre, qu'une activité combinatoire. Le mythe a sa manière de dire, et elle est logique (elle procède par distinctions, oppositions, corrélations, comme toute pensée logicienne). Mais le plus important n'est pas la manière, la forme : c'est le fond ; le mythe dit quelque chose sur quelque chose. Le passage du mythos au logos, du discours mythique au discours conceptuel (lequel profite, en outre, du passage de l'oral à l'écrit, du genre parlé au genre rédigé) témoigne pour les deux thèses : il ne les départage pas. Le concept formaliste davantage, mais c'est le mythe qui introduit le jeu des distinctions : il les invente, et le concept les reprend, parfois les améliore, quelquefois les durcit (quand le fonctionnel devient du substantiel, la reprise est éventuellement une méprise). En ce qui touche les contenus, on peut tenir que le sens profond est ou n'est pas dans le mythe ; s'il y est, un discours rationnel a chance de l'y récupérer ; mais s'il n'y est pas, on ne comptera point dans ce discours pour proférer ce que le discours premier n'aurait pas réussi à faire entendre."
   Si une grande partie de la pensée (débutante) sur le mythe se polarise sur la Grèce antique, le renouvellement et l'élargissement de la notion de mythe, et de mythologie provient d'études sur les sociétés "primitives".
            
         Patrice BIDOU distingue deux approches dans l'analyse de la mythologie.
     "La première approche part des formes originelles de la vie, des images primitives, toujours incomplètes, parce que trop parfaites ou trop confuses (...) et relate leur évolution, leurs transformations progressives, jusqu'à un point terminal où elles apparaissent dans un rapport d'homomorphie exacte avec la réalité". Claude LEVI-STRAUSS exprime dans ses études (La geste d'Asdiwal, 1958-1959 ; Mythologiques, 1964) ce rapport d'adéquation du mythe à la réalité. Son approche fonctionnelle du mythe le fait comprendre comme le vecteur du rassemblement d'"un même groupe d'hommes et de femmes autour d'un même ordre du monde et d'une même conception de l'existence : souci de consensus (...)"
"En prenant (...) pour premier objet d'étude, poursuit Patrice BIDOU, l'histoire racontée, avec ses conditions d'énonciation (heure, lieu de la narration, identité, talent du narrateur), ses caractéristiques externes (dimension du récit, place du récit dans le corpus) et ses caractéristiques internes (rythmes, diachronies, règle de composition narrative), l'ethnologue cherche non seulement à découvrir les hiérarchies qu'une société humaine définit en son sein et entre les différentes parties du cosmos, mais plus encore à mettre au jour et à décrire les lois qui régissent le fonctionnement de la pensée mythique ; une pensée qui, comme dans les rêves ou les entreprises visionnaires sciemment provoquées (l'auteur pense sans doute aux drogues et aux danses rituelles sous l'emprise d'hallucinogènes), s'appuie sur des images, ce qui a pour effet principal de rendre les motifs des mythes irréductibles à toute définition univoque."
       "La deuxième approche part de la reconnaissance de plusieurs discours entrelacés au sein du mythe. En même temps que se déroule une histoire de famille (les luttes entre démons et dieux sont toujours des luttes familiales...), par exemple, des univers astronomique, géographique, techno-économique, sexuel ou autres déploient en contrepoint leurs éléments et leurs formes.". Le mythologue effectue ainsi une véritable analyse des récits pour en dégager une architecture qui obéit aux mêmes règles que le mythe dans sa globalité, les éléments tirés de ces discours entrelacés permettent ensuite de les clarifier davantage.
Ce travail permet ensuite de comparer des discours pris dans une aire géographique et de les comparer à d'autres discours dans des aires de civilisations différentes. Ce que fait d'ailleurs Claude LEVI-STRAUSS pour repérer les mêmes fonctions, supportées par des récits analogues, dans des sociétés très éloignées les unes des autres.

        Pierre LEVEQUE insiste sur la relation intime des mythes et du temps, dans n'importe quelle culture dans son étude des origines des premières religions.
 "L'analyse des mythes introduit donc à la catégorie du temps, vécue sur un double registre. D'une part, c'est le temps dans son déroulement inexorable depuis le début absolu que représentent l'émersion du monde et sa genèse sous l'action démiurgique d'êtres primordiaux, avec des étapes successives marquées par la création de l'homme, ses progrès technologiques ou religieux, les anciens rois, voire les cataclysmes comme le déluge qui menacent sa survie. Si les premières étapes de cette évolution ne relèvent que du fantasmatique, il est hautement vraisemblable que, peu à peu, ce sont les expériences concrètes de l'humanité qui ont été subsumées dans l'imaginaire, donnant lieu à un processus de cristallisation par suite de l'inextricable mélange qui a été opéré du naturel et du surnaturel. Tous ces mythes répondent à l'implacable nécessité pour le groupe humain de dominer son histoire, celle du cosmos et celle de l'humanité, en s'assurant d'un début absolu - l'an zéro de la création du monde - et de se soustraire aux angoisses d'un temps qui échappe sans cesse, en fixant sa place dans le devenir. L'imaginaire s'ordonne ainsi autour de deux axes : le monde des puissances, qui est celui de la simultanéité, et le monde des mythes, qui est celui de la succession, même si, bien entendu, ce sont les mêmes lois de la pensée - l'analogie culminant dans une concaténation universelle - qui jouent, dans les deux cas, dans l'élaboration foisonnante de ce fantasmatique. D'une part, et sans contradiction, c'est l'éternel retour d'un temps cyclique qui se manifeste dans le lever quotidien du soleil, dans les phases de la lune, voire dans les apparitions des planètes - qui tous donnent lieu à des mythes spécifiques -, mais qui éclate plus clairement encore dans la réapparition du printemps et de la végétation annuelle, facteur déterminant de reproduction pour des sociétés agro-pastorales, d'où le caractère dominant des mythes hiérogamiques et des mythes de mort/résurrection du jeune dieu."

         L'analyse des mythes, qu'elle soit globalement entreprise comme cohérence dans une société ou qu'elle soit comparativement entreprise entre morceaux de mythologies dans des sociétés différentes, met en évidence deux types de mythes : les mythes de création et les mythes eschatologiques (de fin du monde). Les uns comme les autres possèdent un caractère violent en lien avec la violence de la nature ou/et la violence des hommes entre eux.

          Les mythes de création du monde, dont se sont dotés presque toutes les cultures connues, mettent en scène la fin d'un chaos primordial. Pierre CRÉPON met en relief les "meilleurs de ce type" de mythe qui scelle le début du monde par l'immolation d'un être primordial. "L'immolation peut être la conséquence du combat victorieux d'un héros contre un monstre, ou bien la suite de la mort naturelle du premier être (...). Dans les deux cas, l'origine du monde est fondée sur un sacrifice (...)."  Dans le premier cas, parmi les nombreux exemples, Pierre CRÉPON cite la mise à mort du géant Ymir de la mythologie germanique, à partir duquel les trois dieux, Odin, Vili et Vé fabriquent le monde, et s'étend surtout sur "le plus riche d'enseignements (qui) demeure d'un des plus anciens récits qui soient parvenus jusqu'à nous, l'Enouma Elish, le Poème babylonien de la création." Ce récit, à partir d'un schéma du cosmos commun à toute la Mésopotamie, apparaît comme la transposition sur le plan mythologique du succès de Babylone qui s'empare de la suprématie sur toute la contrée. "Le mythe de l'Enouma Elish peut recevoir deux lectures différentes. D'une part, il reflète des croyances religieuses propres à un ensemble culturel, et dont on trouve des correspondances dans d'autres domaines géographiques et historiques (...) D'autre part, il joue le rôle d'une exaltation d'une histoire nationale, avec la promotion du dieu de Babylone au rang de roi de l'univers".
   Mircea ÉLIADE, dans son livre Aspects sur le mythe veut montrer cinq points importants.  D'une façon générale, le mythe est vécu par les sociétés archaïques comme : 
- l'Histoire des actes des Êtres Surnaturels ;
- une Histoire absolument vraie (elle se rapporte au réel passé, présent et à venir) et sacrée (parce qu'elle est l'oeuvre même des Êtres Surnaturels) ;
- se rapportant à une création : il raconte comment quelque chose est venu à l'existence, ou comment un comportement, une institution, une manière de travailler ont été fondés ; c'est la raison pour laquelle les mythes constituent les paradigmes de tout acte humain significatif (ce qui est d'ailleurs rappelé souvent dans les textes de lois) ;
- par le fait qu'en connaissant le mythe, on connaît l'origine des choses et, par suite, on arrive à les maîtriser et à les manipuler à volonté ; il ne s'agit pas d'une connaissance extérieure, abstraite, mais d'une connaissance que l'on vit rituellement, soit en narrant cérémoniellement le mythe, soit en effectuant le rituel auquel il sert de justification ;
- d'une manière ou d'une autre, on vit le mythe, dans le sens qu'on est saisi par la puissance sacrée, exaltante des événements qu'on remémore et qu'on réactualise.
        Dans la même étude, Mircea ÉLIADE met l'accent sur les rapports entre le mythe cosmogonique et les mythes d'origine. Les cosmogonies servent de modèle à toutes sortes de création.
         Cosmos et société sont, à la limite, la même chose ou dépendent si étroitement que toucher au mythe de la création, c'est toucher aux fondements les plus sacrés de la société. Chaque réelle transformation sociale dans les sociétés antiques se traduit et est justifié par une transformation, une autre interprétation des mythes d'origine, comme le montre par exemple l'histoire de l'Égypte ancienne.

         Les mythes eschatologiques peuvent d'une certaine manière être considérés comme les projections dans le futur des événements du début du monde. En effet, écrit Pierre CRÉPON, "les bouleversements à venir annoncés sont généralement supposés être le prélude du retour appartenant à un âge d'or, et ils participent de ce fait à la re-création d'un monde au temps mythique des origines où l'instabilité perpétuelle du monde actuel ferait place à une plénitude que ne viendrait troubler aucune menace." Ce lien entre les mythes cosmogoniques et l'attente d'une fin dernière est mit en relief par de nombreux auteurs et même par le texte de certaines religions. "Néanmoins, bien que l'espoir eschatologique soit l'aboutissement d'une certaine conception de la création du monde, ses répercussions sur l'attitude d'un groupe humain face à la guerre sont d'un tout autre ordre. Dans un cas, les actes commis par les dieux au commencement servent de modèles aux actions des hommes ici-bas. Dans l'autre c'est l'attente d'un événement mythique qui suggère que certains épisodes réels peuvent en être la préfiguration. Un tel espoir en la réalisation de prédictions donne évidemment libre cours aux entreprises les plus hasardeuses et aux interprétations excessives, d'autant plus que le schéma des mythes eschatologiques prévoit que des catastrophes inéluctables s'abattront sur le monde avant qu'il ne soit régénéré."
   Tant dans la Mésopotamie ancienne que dans les tribus indiennes d'Amérique du Sud, on retrouve ce combat entre les forces du bien et les forces du mal, présentes au début comme à la fin du monde.

       Par ailleurs, ce que met en relief Claude LÉVI-STRAUSS, et avec de nombreux anthropologues, c'est bien la forme du contrôle social particulièrement contraignant qu'induit la mythologie par son emprise sur les esprits, à la fois voie principale et parfois unique de la mémoire à long terme des sociétés, notamment orales, et perception obligatoire du monde. La conjonction entre ce caractère contraignant et la désignation d'ennemis extérieurs comme suppôts de puissances surnaturelles ennemies ou concurrentes, peuvent donner aux conflits armés, aux guerres, une tonalité de violence et de sauvagerie absolue.
 Seule une analyse fine des guerres entre sociétés primitives peut montrer si systématiquement elles sont entreprises dans cet état d'esprit. En tout cas, le caractère systématiquement religieux de luttes de certains peuples contre d'autres (on pense aux anciens peuples d'Israël par exemple) à certaines époques est décrit dans leurs propres textes sacrés. Mais là encore une analyse détaillée seule peut permettre de retrouver le fil des relation entre mythologies et guerres, entre religions et guerres, tant ces textes sont aussi des réécritures d'histoires.
    Ce qui est essentiel de noter, c'est la présence forte du mythe dans la vie d'une société primitive.
    Faut-il adopter la conclusion de Pierre CRÉPON, qui pense que les mythes peuvent aussi bien servir de support à une réflexion spirituelle qu'ils peuvent être une justification à des actions belliqueuse? Cette position apparaît bien "moyenne", car il ne s'agit pas seulement de justification, mais aussi de fondement. Mais d'une certaine façon entre une bienveillance "spirituelle" à l'égard des mythes et une condamnation "morale" de l'action des mythes sur les comportements sociaux, il y a largement place pour d'autres considérations, prenant en compte les conditions de vie, les relations socio-économiques, les incompréhensions linguistiques au sens large.... qui toutes d'ailleurs, dans les sociétés "primitives" ont quelque chose à voir avec les mythes.

       On peut préférer la position de Gaston BOUTHOUL, passant en revue tous les aspects des guerres, y compris des mythologies primitives ou antiques. Il écrit, à tort sans doute, (mais il peu au fait des études des ethnologues) que "les cosmogonies des primitifs sont en général trop vagues" pour en tirer des enseignements précis. Mais a tout à fait raison quand il écrit que dès "que l'on se trouve en présence de civilisations historiques, on trouve dans leurs cosmogonies et leurs mythologies un trait commun - la place énorme qu'y tient la guerre. On y voit les principaux dieux conquérir le premier rang ou tout au moins s'y maintenir grâce à des batailles fabuleuses où ils parviennent à écraser soit d'autres dieux antagonistes, soit des armées de géants, de génies ou d'anges révoltés." Il passe en revue froidement les panthéons polythéistes des Assyriens, des Aztèques, des Germains, des Grecs, des Indiens brahmanes et constate tout aussi froidement l'exception d'une mythologie chinoise et d'une mythologie dans le  boudhisme pour indiquer les traits constants des mythologies antiques. Il en dégage trois d'entre eux :
- A l'origine sont les combats des dieux avec des monstres ou des démons ;
- Les cultes consistent en sacrifices sanglants aux dieux ;
- Le Paradis est réservé aux guerriers les plus braves et les plus féroces.
     Il n'épargne pas le monothéisme, même s'il note une évolution marquante : "A l'aube du monothéisme, la tradition du dieu guerrier et combattant ne disparait pas entièrement. il semble que les hommes qui se sont élevés à la conception monothéiste n'aient pu se résoudre aussitôt à l'idée d'un dieu pacifique. Lorsqu'on lit la Bible, l'évolution est frappante. Au début le dieu d'Israël est conçu comme une sorte de divinité particulière à la tribu, uniquement préoccupé des intérêts de celle-ci et combattant avec elle comme les dieux d'Assour ou les divinités patronnes de chaque cité grecque. C'est le dieu vengeur, le dieu jaloux, le dieu des armées. Mais à mesure que l'on s'éloigne de la partie archaïque de la Bible, le monothéisme s'élargit passant peu à peu du particularisme des anciens Hébreux à l'universalisme qui prépare les conceptions chrétiennes et la notion d'un dieu pacifique et miséricordieux. Mais il est frappant de constater que lorsque naquit le monothéisme, d'entre tous les attributs possibles (que se partageaient les dieux de l'Olympe, (...), on conféra au dieu unique des attributs exclusivement guerriers : ce fut le "dieu des Armées"".

Pierre CRÉPON, Les religions et la guerre, Éditions Albin Michel, collection Espaces libres, 1991. Pierre LEVÈQUE, Introduction aux premières religions, Le livre de poche Librairie générale d'éditions, Collection Histoire, 1997. Patrice BIDOU, article Mythe, dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, PUF, collection Quadrige, 2000. Mircea ÉLIADE, Aspects du mythe, Éditions Gallimard, collection Idées, 1963. Marcel DETIENNE, article Mythe, dans Encyclopedia Universalis, 2004. Gaston BOUTHOUL, Traité de polémologie, Bibliothèque scientifique Payot, 1991.

                                                     RELIGIUS
  

          
Relu le 3 avril 2019





                     
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