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19 août 2009 3 19 /08 /août /2009 09:09
                L'ouvrage, publié en 1960, de l'historien et journaliste français Philippe ARIES (1914-1984) traite de l'évolution  historique des mentalités familiales. Dans l'étude des conflits entre classes d'âge, de leur formation, de leur identité, de leur représentation, sa thèse permet de progresser, car elle se situe à un moment où se fait jour (ou se redécouvre) la conscience de la particularité de l'enfant. Cette conscience, avant le contrôle des naissances et la baisse de fécondité à la fin du XVIIIe siècle, selon lui, n'existait pas, non que les enfants étaient précédemment négligés, mais ils étaient considérés comme des adultes en miniature sans caractéristiques spécifiques. Dans les éditions successives de son ouvrage, Philippe ARIES enrichit son étude en mettant en relief une évolution non linéaire des mentalités depuis l'époque romaine.
  
    Ainsi dans l'édition de 1973, on peut lire dans la préface qu'"un grand changement intervient (...) dans cette société (du haut Moyen-Age), peut-être à l'époque de la féodalité et du renforcement des vieilles chefferies. Il concerne l'éducation, c'est-à-dire la transmission du savoir et des valeurs. Celle-ci est désormais (...) assurée par l'apprentissage. Or la pratique de l'apprentissage est incompatible avec le système des classes d'âge, ou, tout au moins, il tend en se généralisant à le détruire.(...). Il force les enfants à vivre au milieu des adultes, qui leur communiquent ainsi le savoir-faire et le savoir-vivre. Le mélange des âges qu'il entraîne me parait un des traits dominants de notre société, du milieu du Moyen-Age au XVIIIe siècle. Dans ces conditions, les classements traditionnels par âge ne pouvaient que se brouiller et perdre de leur nécessité.".
 "C'est à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe que j'ai situé, en partant de sources souvent françaises, la retraite de la famille loin de la rue, de la place, de la vie collective et son repli à l'intérieur d'une maison mieux défendue contre les intrus, mieux préparée pour l'intimité. Cette nouvelle organisation de l'espace privé avait été obtenue par l'indépendance des pièces qui communiquaient entre elles par un couloir (au lieu de s'ouvrir l'une sur l'autre en enfilade) et par leur spécialisation fonctionnelle (salon, salle à manger, chambre à coucher).".
   Cet ouvrage, qui s'appuie sur de nombreux documents écrits (des considérations sur l'éducation elle-même aux règlements intérieurs des établissements recevant des enfants), comme sur l'architecture funéraire, constitue un des premiers qui introduisent l'étude de l'histoire de la famille et des mentalités dans les recherches historiques et sociologiques.

       En trois parties, Le sentiment de l'enfance, La vie scolastique et La famille, Philippe ARIES trace l'histoire des attitudes vis-à-vis de l'enfance, montrant un tableau contrasté du développement de l'affectivité et du développement du contrôle social.

      La première partie sur les âges de la vie, la découverte de l'enfance, l'habit des enfants, l'histoire des jeux, le passage de l'impudeur à l'innocence, en 5 chapitres permet d'examiner les deux sentiments de l'enfance. "Le premier sentiment de l'enfance - le mignotage - était apparu dans le milieu familial, dans la compagnie des petits enfants. Le second, au contraire, provenait d'une source extérieure à la famille : des hommes d'Église ou de robe, rares jusqu'au XVIe siècle, de plus nombreux moralistes au XVIIe siècle, soucieux de moeurs policées et raisonnables. Ils étaient aussi devenus sensibles au phénomène jadis négligé de l'enfance, mais ils répugnaient à considérer ces enfants comme des jouets charmants, car ils voyaient en eux de fragiles créatures de Dieu qu'il fallait à la fois préserver et assagir. Ce sentiment passa à son tour dans la vie familiale.
  Au XVIIIe siècle, on retrouve dans la famille ces deux éléments anciens associés à un élément nouveau : le souci de l'hygiène et de la santé physique. le soin du corps n'était pas ignoré des moralistes et des éducateurs du XVIIe siècle. On soignait les malades avec dévouement (avec aussi des grandes précautions pour démasquer les simulateurs) mais on ne s'intéressait au corps des biens portants que dans un but moral : un corps mal endurci inclinait à la mollesse, à la paresse, à la concupiscence, à tous les vices!".

      La vie scolastique constitue de loin , avec ses 8 chapitres, la partie plus longue de l'ouvrage. L'auteur y examine les habitudes des jeunes et vieux écoliers du Moyen-Age, l'institution nouvelle que constitue le collège, les origines des classes scolaires, les différents âges des écoliers qui évoluent avec le temps, les progrès de la discipline, les situations des externats et des internats, le fonctionnement des petites écoles (entendez le primaire), et la rudesse de l'enfance écolière en général.
  Dans ce tableau historique, l'auteur effectue des distinctions révélatrices. "D'un côté la population scolarisée, d'un autre côté ceux qui, selon des coutumes immémoriales, entraient directement dans la grande vie des adultes, dès que leurs pas et leurs langues étaient assez affermis. Cette division ne correspondait pas aux conditions sociales. Sans doute, le noyau principal de la population scolaire était-il constitué de familles bourgeoises, d'officiers de robe et d'Église. Mais (...) on relevait des nobles chez les non-scolaires, et des artisans, paysans dans les écoles." L'école unique était la règle, les enseignements aujourd'hui primaire et secondaire mêlés, les différents âges se retrouvaient souvent dans la même classe. C'est surtout l'Église qui fournissait les éducateurs et les écoles populaires accueillaient non seulement les pauvres, mais les petits artisans et les petits bourgeois, tout cela s'accroissant en nombre (d'établissements, de professeurs, d'élèves) et en temps de scolarité. Par la suite, depuis le XVIIIe siècle, "l'école unique a été remplacée par un système d'enseignement double,  où chaque branche correspond, non à un âge, mais à une condition sociale : le lycée ou le collège pour les bourgeois (le secondaire) et l'école pour le peuple (le primaire). Le secondaire est un enseignement long. Le primaire est resté très longtemps un enseignement court, et il a fallu en France et en Angleterre, les révolutions issues des dernières grandes guerres pour le prolonger."

       Dans la troisième partie sur la vie familiale, l'auteur examine essentiellement les images de la famille et l'évolution globale de la famille médiévale à la famille moderne, en deux chapitres relativement courts. Il indique comment la naissance et le développement d'un nouveau sentiment de la famille se diffuse depuis le XVe siècle jusqu'au XVIIIe siècle, sans détruire d'abord l'ancienne sociabilité, se limitant aux notables ruraux et urbains, aux aristocrates ou aux bourgeois, aux artisans ou aux marchands. "A partir du XVIIIe siècle, il s'étendit à toutes les conditions et s'imposa tyranniquement aux consciences. On a souvent présenté l'évolution des derniers siècles comme le triomphe de l'individualisme sur les contraintes sociales, parmi lesquelles on comptait la famille. Où voit-on de l'individualisme dans ces vies modernes où toute l'énergie du couple est orientée vers la promotion d'une postérité volontairement réduite?" Philippe ARIES veut nous défendre contre un certain simplisme dans notre époque où prétendument l'individu est beaucoup plus libre qu'auparavant. Il met l'accent sur le fait que partout cette évolution des mentalités renforce l'intimité de la vie privée aux dépens des relations de voisinage ou d'amitiés ou de tradition. "L'histoire de nos moeurs se réduit en partie à ce long effort pour se séparer des autres, pour se retrancher à l'écart d'une société dont la pression n'est plus supportée. La maison a perdu ce caractère de lieu public qu'elle avait dans certains cas au XVIIe siècle, au profit du cercle ou du café, qui à leur tour sont devenues moins fréquentés. La vie professionnelle et la vie familiale ont étouffé cette autre activité qui au contraire envahissait autrefois toute la vie, celle des relations sociales."

       Dans sa conclusion, Philippe ARIES écrit que le grand événement "fut donc, au temps modernes la réapparition du souci éducatif". "La famille et l'école ont ensemble retiré l'enfant de la société des adultes. L'école a enfermé une enfance autrefois libre dans un régime disciplinaire de plus en plus strict, qui aboutit aux XVIIIe et XIXe siècle à la claustration totale de l'internat. La sollicitude de la famille, de l'Église, des moralistes et des administrateurs a privé l'enfant de la liberté dont il jouissait parmi les adultes. Elle lui a infligé le fouet, la prison, les corrections réservées aux condamnés des plus basses conditions. Mais cette rigueur traduisait un autre sentiment que l'ancienne indifférence : un amour obsédant qui devait dominer la société à partir du XVIIIe siècle. On conçoit sans peine que cette invasion de l'enfance dans les sensibilités ait provoqué les phénomènes maintenant mieux connus du malthusianisme, du contrôle des naissances. Celui-ci a apparu au XVIIIe siècle au moment où la famille achevait de se réorganiser autour de l'enfant, et dressait entre elle et la société le mur de la vie privée."  On retrouve là des réflexions que l'on peut lire dans les ouvrages de Michel FOUCAULT sur le contrôle social. C'est sur une considération sur les liens sociaux que l'auteur termine. "Tout se passe comme si un corps social polymorphe très contraignant se défaisait, qu'il était remplacé par une poussière de petites sociétés, les familles, et par quelques groupements massifs, les classes ; familles et classes réunissaient des individus rapprochés par leur ressemblance morale, par l'identité de leur genre de vie, alors que l'ancien corps social unique englobait la grande variété des âges et des conditions. Car les conditions y étaient d'autant plus tranchées et hiérarchisées qu'elles se rapprochaient dans l'espace. Les distances morales suppléaient aux distances physiques." "Or il vint un temps où la bourgeoisie n'a plus supporté la pression de la multitude ni le contact du peuple. Elle a fait sécession : elle s'est retiré de la vaste société polymorphe pour s'organiser à part, en milieu homogène, parmi les familles closes, dans des logements prévus pour l'intimité, dans des quartiers neufs, gardés de toute contamination populaire."
   C'est sur une note assez pessimiste, sans doute exagérée, et qui manque d'étayage, qu'il termine, sur la vision d'une société "qui assure à chaque genre de vie un espace réservé où il était entendu que les caractères dominants devaient être respectés, qu'il fallait ressembler à un modèle conventionnel, à un type idéal, et ne jamais s'en éloigner sous peine d'excommunication.
 Le sentiment de la famille, le sentiment de classe, et peut-être ailleurs de race, apparaissent comme les manifestations de la même intolérance à la diversité, d'un même souci d'uniformité."
 


Philippe ARIES, l'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Plon, 1960. Réédition avec nouvelle préface en 1973, Éditions du Seuil, collection l'Univers historique, 503 pages.
 
Relu le 27 avril 2019
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