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7 septembre 2009 1 07 /09 /septembre /2009 12:51
       Le sacrifice occupe une place centrale dans les études d'anthropologie religieuse depuis les travaux de Edward Barnettt TYLOR (1823-1917), de William ROBERTSON SMITH (1846-1894), de Henry HUBERT (1872-1927) et de Marcel MAUSS (1872-1950). Les thèses développées par ces deux derniers auteurs dans leur livre Essai sur la nature et la fonction du sacrifice (1899) sont elles-mêmes au centre des débats, même si elles reposent surtout sur des recherches effectuées en Inde et sur les textes bibliques. Après que différents auteurs se soient plutôt penchés sur la recherche des origines du sacrifice, aux hypothétiques résultats, HUBERT et MAUSS préfèrent réfléchir à sa nature.

      Le sacrifice est avant tout une consécration : l'homme et le divin n'étant pas en contact direct, il faut un intermédiaire pour qu'ils communiquent. C'est intermédiaire est une offrande, une offrande détruite à l'intention des dieux avec qui les hommes veulent transmettre leur message. Cette théorie qui repose sur la distinction d'Emile DURKHEIM entre le sacré et le profane, distinction dont l'existence est beaucoup moins acceptée aujourd'hui, concernant l'univers mental des sociétés étudiées par les anthropologues. Le sacrifice serait donc plutôt une manipulation du sacré pour concentrer une énergie dans une chose ou un animal, au profit de l'homme ou de la société.
Dans une variété de sacrifice, appelée par J CAZENEUVE (1915-2005) un sacrifice-consécration, la mise à mort de la victime n'est qu'un moyen pour l'homme de montrer qu'il pose sa condition matérielle comme ne suffisant pas à elle-même, il fait une oblation totale aux esprits ou aux dieux pour rendre cela manifeste.
Dans une autre, appelée sacrifice-communion, la participation de l'humain et du divin se réalise sur le modèle de la parenté artificielle ou de l'alliance par le sang. le principe lumineux est absorbé pour s'incarner dans la victime, en même temps que l'on fonde la solidarité des hommes entre eux, car tous se sont unis en consommant le même principe sacré.
L'unité des divers sacrifices ne devrait pas être cherchée dans un mécanisme commun ou une séquence identité de gestes, mais dans la reconnaissance dans les deux cas, d'une transcendance et dans l'affirmation pour l'homme de la possibilité d'une participation à ce qui le transcende. (Roger BASTIDE).

      A l'époque de la parution de l'Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, ce que nous savions des sacrifices se résumait à peu de choses. Depuis, nous avons à notre disposition une masse considérable de données recueillies dans diverses parties du monde.
    Parmi ceux qui ont étudié longtemps ces sociétés orales dites primitives, Claude LEVI-STRASS (né en 1908), dans La pensée sauvage (1962), influencé par les idées d'Evans PRITCHARD (1902-1973), écrit que "le principe fondamental du sacrifice est celui de la substitution : à défaut de la chose prescrite, n'importe quelle autre peut la remplacer, pourvu que persiste l'intention qui seule importe, et bien que le zèle lui-même puisse varier. (...) Dans le sacrifice, la série (continue et non plus discontinue, orienté et non plus réversible (comme dans le totémisme) des espèces naturelles joue le rôle d'intermédiaire entre deux termes polaires, dont l'un est le sacrificateur et l'autre la divinité, et entre lesquels, au départ, il n'existe pas d'homologie ni même de rapport d'aucune sorte : le but du sacrifice étant précisément d'instaurer un rapport, qui n'est pas de ressemblance, mais de contiguïté, au moyen d'une série d'identifications successives qui peuvent se faire dans les deux sens, selon que le sacrifice est piaculaire ou qu'il représente un rite de communion : soit donc, du sacrifiant au sacrificateur, du sacrificateurs à la victime, de la victime sacralisée à la divinité ; soit dans l'ordre inverse.
  Mais ce n'est pas tout. une fois le rapport entre l'homme et la divinité assuré par sacralisation de la victime, le sacrifice le rompt par la destruction de cette même victime. Une solution de continuité apparaît ainsi du fait de l'homme ; et comme celui-ci avait préalablement une communication entre le réservoir humain et le réservoir divin, ce dernier devra automatiquement remplir le vide, en libérant le bienfait escompté. Le schème du sacrifice consiste en une opération irréversible (la destruction de la victime) afin de déclencher, sur un autre plan, une opération également irréversible (l'octroi de la grâce divine), dont la nécessité résulte de la mise en communication préalable de deux "récipients" qui ne sont pas au même niveau.(...) Le sacrifice cherche à établir un connexion souhaitée entre deux domaines initialement séparés."

      Michel CARTRY (1931-2008), dans le Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie pose la question du fonctionnement dans les rites des sociétés à tradition orale toujours de ces procédés d'identification. Il reprend quelques éléments tirés de son propre (gros) livre de 1987 : Sous le masque de l'animal. Essai sur le sacrifice en Afrique Noire, lequel s'attarde beaucoup sur la position du sacrifiant (à ne pas confondre avec le sacrificateur) :
   - "Il y a comme deux versants de la notion de sacrifice dont la théorie reste à faire ;
   - La position du sacrifiant est souvent occupée par un groupe (famille, lignage, groupe résidentiel ou groupe politique ;
   - Nombreux sont les cas de sacrifice où le bénéficiaire du rite n'est pas une personne mais une chose.
  Cette étude, qui analyse des éléments trouvés également ailleurs qu'en Afrique, montre la complexité du sacrifice, qui rassemble autour de lui plusieurs "acteurs" qui assument des rôles parfois différents.
  Les observations effectuées par de nombreux auteurs n'amènent parfois pas beaucoup d'éclaircissements sur ce qui se passe pendant le sacrifice pour le sacrifiant, pour le sacrificateur comme pour la victime (ce que les acteurs s'en représentent bien entendu). Les bienfaits divins passent par différents "chemins" et bénéficient plus ou moins aux acteurs concernés suivant les méandres des rites observés par des spécialistes désignés par la collectivité. Spécialistes qui se gardent certainement de communiquer tous les "secrets" de leurs conceptions à tous les membres de la société, sans indifférenciation (ne parlons pas des observateurs extérieurs à fortiori). Il y a sans doute des explications fournies de manière ésotérique et de manière exotérique aux participants, de façon peut-être différenciée...
  Aujourd'hui, au moment où les sociétés encore "primitives" disparaissent à grande vitesse, il est peu probable que l'anthropologie nous livre d'autres réflexions majeures... C'est en puisant dans la documentation déjà existante que nous pouvons trouver des explications plus détaillées du sens du sacrifice. La confrontation de cette documentation avec des éléments de sociétés écrites, plus tardives, avec les textes sacrés, peuvent ouvrir d'autres voies de recherche.
    Ainsi Abel KOVOUAMA, dans son étude sur le sacrifice en Afrique Noire dans les religions africaines anciennes et modernes, l'appréhende comme modalité de rapports "instituant des croyances et des pratiques individuelles et collectives au sein de chaque société". Il entend montrer par exemple que les "religions africaines anciennes et modernes participent, à travers la pratique rituelle du sacrifice, de la dialectique de l'ordre et du désordre". Il veut mettre en évidence "à travers l'étude de quelques-unes de ces religions anciennes et modernes prophétiques, la place du sacrifice par le sang versé (animal et parfois humain), appréhendé comme figure réparatrice du désordre provoqué par la transgression de l'harmonie de l'ordre cosmique et social." Il montre la continuité qui existe dans les mentalités collectives de populations africaines (bantoue, Dogons du Mali, Fang du Gabn...) entre les pratiques ancestrales à travers les bouleversements mêmes provoqués par les Etats coloniaux et néo-coloniaux. Les prophétismes, nativismes, revivalismes, millénarismes pullulent et s'expriment notamment par des sacrifices dont les mises en scène s'inspirent directement d'une symbolique très ancienne.

    Abel KOVOUAMA, contribution Le sacrifice en Afrique Noire, Sous la direction d'Evelyne PEWNER, Sacrifier, se sacrifier, SenS Editions, 2004 (Rappelons que ce livre rassemble les contributions des participants d'un Colloque tenu à Amiens, en mai 2004 sous l'égide du Centre Universitaire de Recherche en Science de l'Education et en Psychologie, du Centre Louis Grenet et du Service des Affaires Culturelles de l'Université de Picardie) ; Claude LEVI-STRAUSS, La pensée sauvage,  Plon collection Pocket, Agora, 2004 ; Roger BASTIDE, Article Sacrifice, Encyclopedia Universalis, 2004 ; Michel CARTRY, article Sacrifice du Dictionnaire de l'ethonologie et de l'anthroplogie, PUF collection Quadrige, 2002.

                                                                           RELIGIUS

     

   

      
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