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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 12:23
      Dans cette discipline aux contours flous qu'est l'anthropologie, ce qui constitue d'ailleurs une marque d'un certain progrès des approches pluridisciplinaires, beaucoup d'auteurs abordent la question du conflit, de l'agressivité, de la guerre, sans en faire très souvent l'objet central de leur étude. D'abord études s'appliquant aux aspects sociaux et culturels des populations dites primitives, elles dégagent une mise en relation de nombreux faits, même contemporains.

    Longtemps rivée sur la question de l'origine de la famille, du matriarcat, de la propriété privée, l'ethnologie, puis l'anthropologie mettent à jour des éléments importants sur les conflits internes aux systèmes de parenté comme aux systèmes économiques, que l'on a longtemps qualifiés d'économies de dons et de contre dons. C'est l'imbrication des relations parentales et inter-générationnelles avec la façon dont les hommes vivent en s'appuyant sur la nature (chasse, pêche, cueillette, puis agriculture...) qui permet de bien comprendre le fonctionnement des conflits, comment ils apparaissent et comment ils s'évacuent en quelque sorte. Émile DURKHEIM et Marcel MAUSS établissent, dans le cadre d'un système social global, "total", une typologie des relations humaines dont nous nous inspirons encore aujourd'hui. Des analyses d'ordre psychologique et psychanalytique ont enrichis par ailleurs nos connaissances du rôle des rites et des mythes dans ces sociétés, de même que, mais de manière bien plus éparses, des anthropologues ont étudié et étudient encore le phénomène guerre, dans sa ritualisation et dans sa relation directe avec un système de vengeance.

      Les conflits exprimés à travers les systèmes de parenté, mis en lumière par exemple par Brosnav MALINOWSKI (1884-1942), sont découverts souvent en allant au-delà de clivages entre écoles d'anthropologues. Ce dernier refuse de perdre de vue l'universalité de la culture tout en soulignant la spécificité de chaque culture ;  par exemple "face aux propositions de FREUD sur le complexe d'Oedipe, il rejoint celui-ci quant à l'universalité de la fonction de répression ; mais se sépare de lui en montrant la diversité des formes culturelles que peut prendre cette fonction : le désir d'inceste ne se porte pas partout sur la mère, ni le respect et la haine sur le père : cela dépend des sociétés et de leur organisation de la parenté."
Ce débat fait référence aux lignées patrilinéaires ou matrilinéaires des sociétés primitives, aux systèmes de filiation et d'alliance, dont Claude LEVI-STRAUSS (1908-2009) fait l'objet principal de ses attentions. Suivant la lignée où ils se trouvent dans ces sociétés, les individus jouissent de statuts particuliers et héréditaires, statuts qui comptent dans la répartition des pouvoirs et des richesses. Dans cette même perspective, Françoise HÉRITIER analyse des sociétés dotés de systèmes semi-complexes, "mixtes".
    
         Dans Les structures élémentaires de la parenté (1949), les rapports entre la nature et la culture, repensés en terme d'opposition et de complémentarité, sont envisagés sous l'angle de l'universalité des caractères de l'espèce humaine, et dans une grande variabilité des règles sociales. On peut mettre également en valeur leur évolution constante, accélérée lorsque les sociétés sont mises en relations les uns avec les autres, singulièrement au contact de la civilisation occidentale. "Dans les faits de parenté, ce qui instaure le lien entre nature et culture, c'est la prohibition de l'inceste, présente dans toute l'espèce humaine, et dans une grande diversité allant de la restriction minimale - les parents directs - à la plus étendue (famille, clan, village). C'est l'aspect négatif d'une règle positive qui contraint à l'échange des femmes. Les parentes proches d'un homme lui sont interdites comme épouses pour pouvoir être promises à un autre, qui à son tour, cédera ses propres parentes proches, qui lui sont interdites à lui. Dans le cas le plus élémentaire (...), on échange une soeur contre une épouse. (...) Les systèmes de parenté sont des systèmes de communication dans lesquels les femmes comme les paroles circulent entre les hommes. Les formes les plus évidentes de ces systèmes sont celles où il est prescrit que le conjoint se situe dans une certaine catégorie de parenté (cousine du premier ou du deuxième degré en ligne croisée masculine ou féminine) ; surtout de tels systèmes donnent lieu à des formes régulières d'échanges circulaires ou immédiats, dans lesquels se manifeste de la façon la plus apparente le principe de réciprocité." (Elisabeth COPET-ROUGIER). Ce qui est intéressant c'est  ce qui pousse les hommes et les femmes à respecter ces règles de prohibition et d'échange, à avoir cette crainte de l'inceste (qui n'est pas l'inceste biologique mais celui défini culturellement à l'intérieur des sociétés qui se font parfois des idées fausses sur les rôles des partenaires). Quelle contrainte s'exerce sur eux pour que ces règles s'offrent avec grande régularité aux yeux des observateurs extérieurs?  Connaissant la brutalité des relations dans certaines sociétés, nous percevons que ce n'est pas dans l'harmonie que cela se passe, ni sans conflits (mais la plupart du temps, le refus de s'y conformer aboutit à l'exclusion souvent synonyme de mort).
   
     Les recherches sur les populations de chasseurs-cueilleurs, sur leur base matérielle, compte tenu de leur contexte écologique, continuent et elles apportent des éléments pour comprendre les conflits économiques. Marshall SAHLINS (Stone Age Economic, 1971) reconnaît chez eux la première société d'abondance, une société pour laquelle la satisfaction des besoins, établis comme tels par la société, ne se heurte pas à la rareté et ne connait pas le surmenage. Sociétés nomades, très mobiles souvent, elles n'ont que peu de choses à voir avec celles qui par le stockage de la nourriture et des éléments d'habitats se fixent et se sédentarisent. C'est dans ces dernières précisément que, par différenciation sociale et par accroissement important de la population, qu'interviennent des évolutions qui figent les règles de la propriété et qui annoncent la formation des États. Les catégories marxistes de lutte des classes, de superstructure et d'infrastructure, de modes de production... continuent d'être appliquées aux premières sociétés, dans la mesure où s'y insèrent des éléments extra-économiques. Maurice GODELIER et Claude MEILLASSOUX entre autres tentent d'articuler la théorie de l'économie domestique avec le système de hiérarchie lignagère, d'identifier plusieurs modes de production au sein d'une même société, en mettant en relief cette lutte des classes bien présente.

       Les recherches psychologiques et psychanalytiques, très influencées au début par les approches de Sigmund FREUD (Totem et Tabou) ont souvent été handicapées par le manque de connaissance réelle des anthropologues sur les théories psychanalytiques. (Bertrand PULMAN). Ce n'est qu'avec G. ROHEIM (1950) et G. DEVEREUX (1951) que la situation ethnographique peut être envisagée dans ses dimensions transférielles. C'est surtout la théorie de l'ambivalence des sentiments qui retient l'attention, dans des études sur les rites d'initiation, les comportements et les représentations sexuels et les contes européens. Mais cela reste très restreint et les études les plus intéressantes sont surtout des monographies. Il est de toute façon difficile de se faire une idée de ce que pouvaient ressentir les hommes et les femmes des sociétés primitives et c'est la raison pour laquelle Sigmund FREUD lui-même, en l'absence de matériels psychanalytiques, s'en désintéresse très vite, une fois posée son ontogenèse du complexe d'Oedipe. Toutefois des débats sur l'universalité d'un tel complexe interrogent parfois des éléments tirés de l'observation des sociétés primitives autant que par la comparaison de sociétés contemporaines dans les diverses parties du monde.

     La guerre oppose des unités politiques indépendantes et localisées dans l'espace, dont la taille peut être extrêmement variable (communauté locale, ensemble segmentaire à lignages, clans ou classes d'âges, tribus, chefferie, royaume, État-nation) et fait partie souvent du quotidien de nombreuses sociétés primitives. Faites plus d'escarmouches et de petits massacres répétés plutôt que d'affrontements collectifs armée contre armée, très loin en tout cas du modèle occidental de la guerre, les guerres conventionnelles des sociétés traditionnelles relèvent principalement de deux types, non exclusifs l'un de l'autre : mode de résolution d'une crise intervenue dans le déroulement de transactions pacifiques (échange de femmes et/ou de "marchandises") ou moyen de reproduction symbolique du corps social ou du cosmos.
  Des distinctions entre sociétés guerrières et sociétés pacifiques font l'objet de batailles littéraires parfois rageuses et régulièrement (Napoléon CHAGNON contre Patrick TIERNEY, à propos de l'Amazonie), un ouvrage veut mettre en avant le caractère dominant de la guerre (Lawrence KEELEY, Les guerres préhistoriques, 2009 ; Pierre CLASTRES, La guerre dans les sociétés primitives, 2005) alors que l'ensemble, peu ou prou, des anthropologues s'en désintéresse.
  A l'exception toutefois des systèmes de vengeance. En effet R. VERDIER (1980-1984) et J. FAVRET (1968), entre autres ont étudiés ce genre de relations très codifiées,  où n'importe qui ne peut pas venger la mort de n'importe qui causé par n'importe qui. Ce système de vengeance se situe dans une sorte d'intermédiaire entre des relations "pacifiques" et la guerre et est surtout présent dans les sociétés où prévaut une division en clans et en lignages.

    Au lieu de se livrer à des comparaisons d'un bout à l'autre de la planète entre systèmes de parentés, ou systèmes économiques de don-contre don, Jared DIAMOND (De l'inégalité parmi les sociétés, 1997) s'essaie à penser l'évolution des sociétés simples aux sociétés complexes. Il reprend les classifications anthropologiques des sociétés humaines, des sociétés égalitaires aux sociétés qu'il nomme kleptocrates et analyse pour chacune d'elles des caractéristiques comme leur population, le forme de peuplement, la base des relations, les processus d'autorité, le système de bureaucratie, la force ou la faiblesse du monopole de la force et de l'information, les modes de résolution des conflits et la hiérarchie des colonies de peuplement... Il pose la question simple : Que doit faire une élite pour gagner le soutien populaire tout en continuant à jouir d'un mode de vie plus confortable que le commun des mortels?
"Au fil des âges, les kleptocrates ont toujours eu recours à un assortiment de quatre solutions :
- Désarmer le peuple et armer l'élite. C'est beaucoup plus facile en ces temps d'armes de haute technologie, produites exclusivement dans des établissements industriels et que l'élite peut sans mal monopoliser, que ce ne l'était jadis, au temps où chacun pouvait fabriquer des lances ou des massues ;
- Combler les populations en redistribuant une bonne partie du tribut reçu, et en tirer une certaine popularité. Ce principe était tout aussi valable pour les chefs hawaïens qu'il l'est de nos jours pour les hommes politiques américains ;
- Employer le monopole de la force pour promouvoir le bonheur, en maintenant l'ordre public et en réfrénant la violence. C'est potentiellement un avantage important et sous-estimé des sociétés centralisées sur des sociétés non-centralisées." ;
- Gagner le soutien de la population (en élaborant) une idéologie ou une religion qui justifie la kleptocratie (un système de vol bien organisé)"  
      Ce que le professeur de physiologie de Californie veut montrer, c'est que dans la confrontation entre les sociétés, au cours des 13 000 dernières années, ce sont celles qui maîtrisent le mieux ces quatre solutions qui gagnent la bataille de l'évolution.  Dans le cadre de l'anthropologie, en effet, il ne suffit pas de voir comment une société fonctionne, mais aussi de comprendre pourquoi certaines sociétés "réussissent" et d'autres pas... L'explication qu'il en donne ne remporte pas toutes les convictions, mais elle a le mérite, surtout quand elle est complétée par une approche écologiques, de poser un certain nombre de questions sur le sens (au sens de direction)  de l'évolution de l'humanité depuis des milliers d'années.

Jared DIAMOND, De l'inégalité parmi les sociétés, Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, Gallimard, collection nrf Essais, 2000. Elisabeth COPET-ROUGIER, Article Anthropologie, d'Encyclopedia Universalis, 2004. Bernard PULMAN, Article Psychanalyse et Anthropologie et Philippe DESCOLA/Michel IZARD, Article Guerre dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, PUF, collection Quadrige, 2002.

                                                                         ANTRHOPUS


   
Relu le 5 mai 2019
  
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