Publié en mai 2013, sans avoir pour l'instant le même succès éditorial que ses prédécesseurs, à cause de critiques croissantes de toute sortes, la cinquième version du DSM se situe dans une évolution générale de la psychiatrie américaine, et par extension, de la psychiatrie mondiale. Après que la troisième version ait consacré le recul de la psychanalyse, la cinquième renforce une vision biologisante de la "maladie mentale" sans parvenir à en faire d'ailleurs une définition (ce qui n'est même pas tenté dans le Manuel). Il s'agit d'ailleurs non de combattre des "maladies" mais des "désordres" mentaux dont le vision se fait finalement de plus en plus proche, ouvertement, d'un contrôle social, à commencer par celui des enfants.
La multiplication des qualifications désordres poursuit son inflation et le dernier Manuel semble bien touffu, presque obscur, aux non spécialistes, comme il est de moins en moins apprécié au sein même des professions, même aux Etats-Unis, ayant affaire aux affections mentales. Il faut dire que la psychiatrie américaine, ses théories foisonnantes, ses pratiques louées ou décriées, et ses classifications anciennes et nouvelles, ont suscité aux Etats-Unis, depuis bien longtemps, une profusion d'écrits à nulle autre pareille (Michel MINARD).
Sans doute précisément dans une société où le contrôle social contrebalance une liberté politique (au moins apparente), il s'agit de surveiller les comportements individuels qui doivent rester dans le "raisonnable", l'"acceptable", le "correct" afin que la société fonctionne relativement sans heurts brutaux. Bien plus qu'en Europe, la psychiatrie occupe une place importante dans le monde médical. Sans faire ici l'énumération ou la critique des concepts de la psychiatrie - souvent en antagonisme plus ou moins direct avec la psychanalyse - que nous entamons par ailleurs, il s'agit simplement de faire le point sur le DSM.
Dans la liste des changements par rapport au DSM IV TR, nous pouvons sérier :
- L'abolition du système des "axes". Les 20 chapitres du manuel sont restructurés en fonction des relations apparentes entre les troubles (symptômes, vulnérabilités) ;
- Deux nouveaux diagnostics voient le jour : l'hyperphagie boulimique (Binge eating disorder) et le trouble d'accumulation compulsive "hoarding" ;
- Les troubles d'abus de substances et de dépendance à une substance sont rassemblés en un seul trouble. En outre l'APA (Association de la Psychiatrie Américaine), précise que dans le DSM-IV les troubles d'abus de substance nécessitaient la présence d'un seul symptôme ;
- Les critères du stress post-traumatique sont modifiés pour s'intéresser davantage aux symptômes comportementaux, aux enfants ert aux adolescents. Un quatrième groupe de symptômes s'ajoute aux trois existants ;
- La dermatillomanie (trouble d'auto-mutilation compulsive à travers des grattages de la peau, grattages de boutons, de cicatrices, de petites aspérités) est incluse dans le chapitre sur les troubles obsessifs compulsifs ;
- Le terme "pédophilie" est remplacé par le terme "trouble pédophiliques" ;
- Les critères des troubles d'apprentissage sont élargis ;
- Les 10 troubles de personnalité sont maintenus.
Parmi, pour prendre la terminologie scientifique, les modifications majeures, on peut citer :
- Pour la schizophrénie, des troubles ont été retirés de la cinquième édition : au moins six catégories concernant le type paranoïde, le type désorganisé, le type catatonique, le type indifférencié, le type résiduel et le trouble psychotique partagé ;
- Le syndrome d'Asperger n'est plus classé en tant que trouble à part et est classé dans la section du trouble autistique (TSA).
- Le trouble bipolaire est modifié ;
- Une re-conceptualisation majeure est proposée concernant les troubles de la personnalité. On a maintenant affaire à des troubles de personnalité schizotypique, bordeline (limite), antisociale, narcissique, obsessionnelle-compulsive et autre... ;
- Sur les trouble du déficit de l'attention, il est suggéré que, dans les problèmes de concentration et d'hyperactivité/impulsivité, un minimum de quatre symptômes devaient être identifié chez les individus âgés de 17 ans ou plus ;
- Le trouble d'hypersexualité est proposé en tant que nouvelle catégorie. Cette suggestion présente un diagnostic officiel qui serait également spécifié et désignerait les comportements problématiques liés aux cas suivants : masturbation, pornographie, cybersexe...
Même en restant dans l'affirmation des responsables de cette édition qui disent que le Manuel comprend approximativement le même nombre de diagnostics que le DSM-IV, il faut constater que la suppression du système multi-axial et le bouleversement de l'ordre des vingt chapitres contribue à rendre la classification encore plus touffue.
Des critiques de plus en plus vives
Des critiques vives émanant d'anciens responsable des éditions précédentes, qui reviennent souvent eux-même sur leur opinion au moment de leurs publications, comme celle d'Allen FRANCES (patron et rédacteur en chef du DSM-IV) mettent l'accent sur une nocivité de certains changements. Il recommande, en signalant que le DSM n'est qu'un guide et pas une Bible, d'ignorer "ses dix plus mauvais changements". Après avoir écrit que l'annonce de l'APA (de publication du DSM-V) est le plus mauvais moment de ses 48 ans de vie professionnelle en psychiatrie, ce dernier annonce que le DSM-5, profondément défectueux (il est vrai qu'il semble plus mal rédigé que les précédents...), contient de nombreux changements clairement dangereux et scientifiquement contestables. "Mon meilleur conseil aux cliniciens, à la presse et au public, c'est d'être sceptique et de ne pas suivre aveuglément la route du DSM-5 qui a toute chance de conduire à des surdiagnostics massifs et à des sur-médications périlleuses. Il convient tout simplement d'éviter dix changements qui sont des non-sens". Il rappelle que le nouveau manuel a pris un mauvais départ et n'a jamais été capable de mettre en place des fondements solides. "Ses leaders avaient dès le début une ambition prématurée et irréalisable : donner naissance à un changement de paradigme en psychiatrie. Une ambition excessive combinée à une exécution désordonnée a conduit inévitablement à de nombreuses propositions mal conçues et risquées." Le célèbre psychiatre rappelle que l'histoire de la psychiatrie est jalonnée de lubies diagnostiques qui rétrospectivement paraissent plutôt mauvaises que bonnes. Il se refuse à penser que c'est pour des conflits d'intérêts financiers avec Big Pharma (contrairement à certains de ses collègues et de nombreux journalistes et écrivains...) que les experts du DSM-5 ont eux-mêmes proposé leurs lubies diagnostiques, mais plutôt ce qu'il appelle des conflits d'intérêts intellectuels, les experts en question ayant toujours tendance à surestimer leurs idées favorites et les marottes diagnostiques. Il évoque aussi l'évident conflit d'intérêts entre le DSM-5 digne de la confiance du public et le DSM-5 best-seller éditorial.
Il énumère ensuite les diagnostics à éviter : le dérèglement perturbateur de l'humeur, la dépression majeure (médicalisation du chagrin ordinaire), le trouble neurocognitif mineur, le déficit de l'attention chez l'adulte susceptible d'élargir la prescription de psychostimulants, le trouble excès alimentaire (mais ALLAN a évidemment un conflit d'intérêts alimentaires avec ce trouble!) et l'abus de substance mis dans le même sac que l'addiction pure et dure. De plus, le DSM-5 s'est aussi engagé sur une pente dangereuse en introduisant le concept d'addictions comportementales susceptibles de devenir des troubles mentaux et d'entrainer des surdiagnostics inconsidérés, d'addiction à Internet ou au sexe par exemple, et des traitements aussi lucratifs qu'inutiles. Et le DSM-5 a ouvert encore plus grand aux erreurs de diagnostic de stress post-traumatique dans le cadre médico-légal. Par contre il trouve bien la diminution de la prévalence de l'autisme espérée par le groupe de travail (de 10 à 50% selon les experts), diminution liées à des critères plus soigneux et plus spécifiques ; en revanche, il critique l'annonce trompeuse selon laquelle ces modifications de critères n'auront pas d'influence sur les taux de troubles et sur la délivrance de prises en charge. Al FRANCES termina sa péroraison de décembre 2012 dans Psychology Today en affirmant que "le dsm-5 viole le plus sacré (et le plus fréquemment ignoré) des principes de la médecine : d'abord ne pas nuire. C'est pour cela que c'est un si triste moment." (Michel MINARD)
Il est vrai que, malgré les nombreuses critiques adressées lors de la publication de drafts à l'intention de très nombreux acteurs médicaux ou sociaux, les deux principaux défauts du DSM nouvel opus résident dans l'abaissement des seuls diagnostics pour certains troubles et l'addition de nouveaux troubles sans preuves scientifiques suffisantes pour les qualifier de troubles spécifiques (troubles de dérégulation dit d'humeur explosive. Sans compter de nombreuses autres critiques, de la part notamment de spécialistes de santé mentale, visant la tendance à soigner les multiples défaillances des services sociaux (éducation, santé) privés de moyens financiers par des prescriptions médicamenteuses individuelles.
Un flou conceptuel
En tout cas, le flou conceptuel de nombreux troubles présentés dans le DSM 5, outre une perception parfois uniquement biologisante de ces troubles, l'absence de définition de la maladie mentale et l'absence également d'étiologie qui permettrait de distinguer les affections originelles des multiples mécanismes psychiques de défense, interdisent de prendre en compte dans la présentation des multiples affections ses indications. Les prendre en compte, c'est sans doute d'une part accroitre les dangers de mettre en erreur sur le plan scientifique, et prendre un Manuel de diagnostic surtout utile aux compagnies d'assurance et aux producteurs pharmaceutiques pour une oeuvre marquante sur le plan des concepts.
Au bout d'un long exposé critique sur la psychiatrie américaine, Michel MINARD, psychiatre honoraire des hôpitaux, écrit que "Ceci étant dit, il parait difficile aujourd'hui de ne porter un jugement sur les classifications psychiatriques américaines qu'en fonction des critères le plus souvent mis en avant par ceux qui les ont fabriqués ou qui les ont critiqués : leur fiabilité, leur validité et leur scientificité. L'histoire même des DSM nous a montré combien ces trois indicateurs étaient sujets à caution. La validité - de la "rêverie" de Rush à l'"homosexualité" en passant par la "drapétomanie" de Cartwright - a montré qu'elle était plus du ressort des décisions d'une société données que des certitudes d'un corps médical unanime. Certes, la fiabilité a effectivement augmenté avec l'utilisation de critères plus clairs et plus précis. La scientificité, dont on se rappelle qu'elle a été promue par Spitzer avec l'utilisation du fameux indication k et de sa variante pondérée afin justement de mesurer la fiabilité, a été mise en doute par d'autres chercheurs d'autres disciplines, aussi "scientifiques" que Spitzer, comme Kirk et Kutchins. (...) Pas plus aujourd'hui qu'hier, la psychiatrie ne peut prétendre être une science : c'est, comme les autres spécialités médicales, une pratique sociale qui ne doit pas manquer d'utiliser des outils et des concepts scientifiques divers (mathématiques, physiques, chimiques, biologiques, génétiques, etc.) à chaque fois que celui peut lui permettre d'accomplir des progrès dans son artisanat thérapeutique quotidien.(...)."
Un certain engouement (en décroissance) pour le DSM en France
Pour comprendre l'engouement pour le DSM en France, même si celui-ci semble faiblir chez les praticiens en ce qui concerne la cinquième version, Bernard GOISE, pédo-psychiatre-psychanalyste, avance plusieurs hypothèses :
1 - Une hypothèse sociologique : "Elle concerne les modifications de la demande de la collectivité envers les psychiatres et les pédopsychiatres. Il est clair en effet qu'en France, la demande sociale dans les années 1960-1970, à l'égard de la (pédo-psychiatrie, était centrée principalement sur la question du sujet, de sa souffrance et de ses conditions de soin. C'est dans cette perspective que s'est joué, me semble t-il, tout le mouvement de sectorisation (en psychiatrie de l'adulte comme en psychiatrie de l'enfant) dont on sait par ailleurs qu'il renvoyait également à des objectifs égalitaires, et qu'il cherchait à tenir compte, pour lutter contre l'enfermement, de la terrible et douloureuse expérience concentrationnaire à laquelle la Seconde Guerre mondiale, avait, hélas, donné lieu.
La politique de sectorisation est (...) loin d'avoir été menée à son terme mais, à l'heure actuelle, il ne semble plus que les même objectifs ou que les mêmes idéaux soient en jeu et, de ce fait, probablement, la demande sociale a désormais changé.
On parle moins du sujet, on parle moins de souffrance, on parle moins d'enfermement, et l'on parle davantage de symptômes à réduire ou à raboter pour favoriser l'adaptation socio-scolaire de l'enfant.
C'est ainsi que les projecteurs médiatiques ont pu se focaliser successivement sur la violence des adolescents, sur la maltraitance et les abus sexuels, sur les troubles obsessivo-compulsifs (TOC), sur la maladie de Gille de la Tourette (maladie des tics), sur les troubles oppositionnels avec provocation (TOP) ou sur les troubles de l'acquisition des coordinations (TAC) enfin, plus récemment...
La tentation est grande, dès lors, de rechercher la réponse médicamenteuse qui permettrait rapidement de supprimer le symptôme, sans avoir besoin de se livrer à une analyse psychopathologique complète de la situation, analyse forcément lente et pluri-factorielle.
C'est ce que l'on a vu pour les TOC, les tics, les comportements psychotiques sans structure psychotique avérée, et c'est selon moi, dans cette dynamique des idées et des attentes que l'hyperactivité de l'enfant a acquis, peu à peu, un statut clinique particulier, et grandement emblématique."
2 - Une hypothèse économique : "La pression des laboratoires pharmaceutiques est énorme dans le champ de la psychiatrie adulte, privant d'ailleurs les enseignants d'une possibilité de transmission véritablement libre des connaissances, et la situation (...) risque de devenir identique dans le champ de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.
Fort heureusement, les parents nous posent encore de bonnes questions et ne veulent pas s'en tenir à un traitement symptomatique médicamenteux, mais la dérive est déjà en route.
Même si nous n'en sommes pas à la situation scandaleuse des États-Unis, et malgré toutes les précautions prises en matière de première prescription, la consommation des produits maphétamine-like a triplé, en France, au cours des quatre dernières années dans son indication concernant l'hyperactivité...
Quelques collègues et moi-même avions cru bon, ainsi, d'attirer l'attention sur les risques et les problèmes éthiques qui peuvent s'attacher au fait de "bourrer nos enfants de psychotropes" et ce d'autant qu'en ce qui concerne l'hyperactivité, l'analyse psychopathologique des troubles peut, en fait, donner lieu à des choix thérapeutiques multidimensionnels fort intéressants. (...).
Quant au dernier (...) (rapport) INSERM (...) il ouvre délibérément la porte à une prescription dite "préventive" et ceci, avant l'âge de 3 ans (alors que jusqu'à maintenant, les autorisations de mise sur le marché sont encore très resserrées en psychiatrie infanto-juvénile, ne serait-ce qu'en raison d'un principe élémentaire de précaution)."
3 - Une hypothèse psychologique et anthropologique : "il existe depuis longtemps une sorte de consensus tacite entre les médias et le grand public pour toujours évacuer la complexité qui nous confronte immanquablement à la question de la sexualité, de la souffrance psychique et de la mort.
D'où la fascination actuelle d'un grand nombre d'équipes psychiatriques pour une clinique de l'instant et les mirages de l'évaluation, au détriment d'une clinique de l'histoire, alors même que les deux axes se devraient de demeurer étroitement liés.
Or, la vie psychique n'est pas simple, et les troubles de la vie psychique non plus. Vouloir le faire croire est une escroquerie, mais une escroquerie qui se fonde sur ce paradoxe que l'humain s'attaque toujours à ce qu'il a de plus précieux, à sa voir sa capacité de penser. De ce fait, tout se passe comme si la pensée avait horreur d'elle-même, comme s'iol existait, partout et toujours, une sorte de haine de la pensée envers elle-même.
Pouvons-nous vraiment croire, comme on nous l'annonce régulièrement, qu'il existe un gène du bonheur, un gène de l'héroïsme, un gène de la violence, un gène de l'homosexualité, et même... un gène de l'autisme?
Les choses sont bien plus complexes que cela, et quand bien même il y aurait une particularité génétique à ces différentes problématiques (ce qui est d'ailleurs hautement probable), les généticiens authentiques et dignes de se nom savent désormais qu'il s'agit d'une génétique infiniment subtile et sophistiquée, d'une génétique dite des "traits complexes", soit une génétique de vulnérabilité qui laisse une place à l'impact de l'environnement, et non pas une génétique causale qui rendrait l'homme, telle l'amibe, littéralement prisonnier de son génome (...). (...)."
Dans cette dernière considération réside un fait marquant généralement passé sous silence : l'impasse des neurosciences comme science du mental. C'est précisément sur la complexité des processus mentaux, même vu sous l'angle des fonctionnements des différentes parties du cerveau, que butent les spécialistes qui auraient voulu traduire dans les DSM les succès des neurosciences. Soit par carence d'approche (vouloir établir la causalité de comportements à partir de certains processus neuronaux), soit par difficulté d'analyses (découverte de la complexité de plus en plus grande de ces mêmes processus au fur et à mesure que l'on avance dans la recherche), l'approche purement biologique de la maladie mentale se heurte un très gros écueil. Et cela même au moment où le système socio-économique (offre des laboratoires pharmaceutiques, financiarisation de la santé) comme de nombreux acteurs sociaux (parents angoissés par les conditions de réussite scolaire de leurs enfants entre autres) poussent à trouver des solutions immédiates à l'é-explosion de symptômes qui ne sont pas seulement individuels.
Initiative pour une Clinique du Sujet, Pour en finir avec le carcan du DSM, Editions érès, 2011. Michel MINARD, Le DSM-roi, La psychiatrie américaine et la fabrique des diagnostics, Editions érès, Collection "Des travaux et des Jours, 2013.
PSYCHUS
Relu le 23 septembre 2021