La plasticité de la notion de violence, dans laquelle entre un cocktail de faits objectifs et d'appréciations subjectives, s'avère assez forte lorsqu'il s'agit des conflits impliquant d'une manière ou d'une autre la sexualité. Il existe bien, nonobstant l'existence d'un droit public qui délimite ce qui est licite (légitime pour celui qui se considère du côté du droit) et illicite en matière de pratiques sexuelles (notamment par l'intermédiaire de la législation sur le mariage), et qui dit ce qui est agression sexuelle et ce qui ne l'est pas, un continuum de comportement entre une simple expression d'une virilité qui peut passer pour l'expression (manifestée par des comportements et des postures) de la volonté d'accomplir des actes en fin de compte sexuels, une virilité plus ou moins agressive, et plus ou moins facteur d'oppression pour souvent le sexe féminin et plus loin, très loin sans doute, l'acte brutal du viol, accompli en dehors de toute institution reconnue et accompli par des êtres de force physique supérieure.
Non seulement, la virilité s'exprime de manière plus ou moins agressive suivant les époques et les régions, allant de seulement la prise d'initiative pour une relation amoureuse à l'affirmation de réalisation d'un droit garanti par la communauté, prolongeant bien au-delà d'une aimable entreprise bien des comportements, mais le viol peut être admis intégralement dans le cadre familial comme l'expression d'un devoir de consommation du mariage. On comprend alors qu'il ait fallu beaucoup de débats et d'études pour qu'au niveau planétaire, on aboutisse à une définition - dans le cadre de l'Organisation Mondiale de la Santé pour le préciser - de la violence sexuelle.
La définition de l'Organisation Mondiale de la Santé...
Ainsi, l'OMS, dans son Rapport mondial sur la violence et la santé décrit le contexte de cette violence sexuelle, partout présente dans le monde.
"Bien que, dans la plupart des pays, peu de recherches soient consacrées au problème, les données dont nous disposons donnent à penser que, dans certains endroits, près d'une femme sur quatre subit probablement des violences sexuelles de la part d'un partenaire intime et un tiers des adolescentes déclarent avoir subi une initiation sexuelle forcée. La violence sexuelle a de profondes répercussions sur la santé physique et mentale de la victime. Outre les traumatismes physiques, elle est associée à n risque accru de nombreux problèmes de santé sexuelle et génétique, dont les conséquences se font sentir immédiatement, mais aussi des années après l'agression. Les conséquences pour la santé mentale sont tout aussi graves que les conséquences physiques et peuvent aussi durer très longtemps. La mortalité associée à la violence sexuelle peut être due à un suicide, à l'infection à VIH ou à un homicide, soit pendant l'agression en cas de viol avec homicide, soit plus tard dans les "crimes d'honneur". La violence sexuelle peut aussi influer profondément sur le bien-être social des victimes. Aussi, certaines victimes sont stigmatisées et mises au ban de la société par leur famille et par d'autres personnes.
L'agresseur peut retirer du plaisir de rapports sexuels imposés, mais l'objectif sous-jacent est souvent l'expression d'un pouvoir et d'une domination sur la personne agressée. Souvent, les hommes qui obligent leur épouse à avoir des rapports sexuels pensent agir légitimement parce qu'ils sont mariés avec cette femme.
Le viol de femmes et d'hommes, qui est souvent utilisé comme arme de guerre, comme forme d'attaque contre l'ennemi, caractérise la conquête et l'avilissement des femmes ou des combattants capturés. Il peut aussi servir à punir des femmes qui ont transgressé des codes sociaux ou moraux, par exemple, ceux qui interdisent l'adultère ou l'ivresse en public. Il arrive aussi que des hommes et des femmes soient violés alors qu'ils sont en garde à vue ou en prison.
La violence sexuelle peut être dirigée contre les hommes et les femmes, mais (le chapitre sur la violence sexuelle de ce rapport) porte essentiellement sur les diverses formes de violence sexuelle dont sont victimes les femmes, ainsi que sur les violences sexuelles que subissent les jeunes filles aux mains d'autres personnes que leur tuteur ou soignant.
L'OMS parvient à cette définition : la violence sexuelle est "tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d'une personne indépendamment de sa relations avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s'y limiter, le foyer et le travail."
Les auteurs précisent pour cette définition que "la coercition vise le recours à la force à divers degrés. En dehors de la force physique, l'agresseur peut recourir à l'intimidation psychologique, au chantage ou d'autres menaces - par exemple, la menace de blessures corporelles, de renvoi d'un emploi ou de ne pas obtenir un emploi recherché. La violence sexuelle peut survenir alors que la personne agressée est dans l'incapacité de donner son consentement parce qu'elle est ivre, droguée, endormie ou incapable mentalement de comprendre la situation, par exemple. La violence sexuelle comprend le viol, qui se définit ainsi : acte de pénétration, même légère, de la vulve ou de l'anus imposé notamment par la force physique, en utilisant un pénis, d'autres parties du corps ou un objet. Il y a tentative de viol si l'on essaie de commettre un tel acte. Lorsqu'il y a viol d'une personne par deux ou plusieurs agresseurs, on parle de viol collectif. La violence sexuelle peut comprendre d'autres formes d'agression dans lesquelles intervient un organe sexuel, notamment le contact imposé entre la bouche et le pénis, la vulve ou l'anus."
ils indiquent également différents actes de violence sexuelle :
- viol dans le mariage ou commis par un petit ami ;
- viol commis par des étrangers ;
- viol systématique pendant les conflits armés ;
- avances sexuelles importunes ou du harcèlement sexuel, y compris le fait d'exiger des relations sexuelles contre des faveurs ;
- violence sexuelle exercée contre des enfants ;
- violence sexuelles exercée à l'encontre de handicapés physiques ou mentaux ;
- mariage ou cohabitation forcée, y compris le mariage d'enfants ;
- négation du droit d'utiliser la contraception ou de se protéger contre des maladies sexuellement transmissibles ;
- avortement forcé ;
- actes de violence contre l'intégrité sexuelle des femmes, y compris la mutilation génitale féminine et les inspections imposées pour s'assurer de la virginité ;
- prostitution forcée et traité d'êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle.
Ils précisent également que "il n'existe pas de définition universellement acceptée de la traite d'être humains aux fins d'exploitation sexuelle. On désigne par cette expression le déplacement organisé de personnes, habituellement des femmes, entre des pays ou à l'intérieur de pays aux fins de travail sexuel. Cette traite comprend également le fait de contraindre un migrant à se soumettre à un acte sexuel en contrepartie d'une autorisation d'émigrer ou de dispositions pour sa migration. La traite d'êtres humains à des fins sexuelles utilise la force physique, la tromperie et la servitude qui découle d'un endettement. Dans la traite de femmes et d'enfants, par exemple, les victimes s'entendent souvent promettre du travail comme domestique ou dans l'industrie des services, mais en fait, elles sont emmenées dans des bordels où leur passeport et autre pièce d'identité sont confisqués. Il arrive qu'elles soient battues et enfermées, et on leur promet parfois la liberté une fois qu'elles auront gagné - en se prostituant - le prix de leur achat ainsi que leurs frais de visa et de voyage."
Une littérature dénonciatrice
L'ensemble de la littérature sur le viol est largement dénonciatrice et peu d'études, sauf en psychanalyse, en psychiatrie ou en psychologie, se penchent sur les processus qui mènent à cette violence sexuelle. C'est que le chemin est encore long pour que toutes les sociétés et les États représentés dans les instances internationales reconnaissent non seulement la réalité de certaines violences sexuelles, mais les considèrent comme des crimes. Le degré de tolérance à l'égard d'actes qui visent surtout les femmes va de pair avec un statut qui dans certaines régions les considèrent encore comme des individus de seconde zone.
L'évolution envers le viol
La définition même du viol attire d'abord l'attention de Cyrille DUVERT avant de faire le point sur l'évolution de la société sur ce point : "Que le viol soit une violence, la langage en atteste : la racine des mots "viol" et "violence" est commune dans de nombreuses langues latines, germaniques ou extra-européennes. En français, l'usage du terme "violer" est attesté dès le XIe siècle et désigne alors aussi bien le fait d'"user de violence" que de "prendre de force une femme". En outre, les recherches historiques sur le phénomène révèlent des hésitations terminologiques quant aux domaines respectifs du "rapt" et du "viol" qui semblent n'avoir été clairement distingués qu'au XVIe siècle. L'un et l'autre sont cependant des crimes punis de mort dans l'ancien droit français et ont en commun l'absence de consentement de la victime. Que ce soit pour les juristes s'interrogeant sur l'existence d'une infraction ou pour l'opinion commune, le viol désigne néanmoins le fait de contraindre une femme à des relations sexuelles par la violence. Mais l'apparente simplicité de cette approche ne rend que faiblement compte des évolutions qu'a connues la notion aussi bien dans les temps anciens qu'à l'époque contemporaine."
Le juriste et Maître de conférences à l'Université Paris XIII-Villetaneuse constate que "la réaction sociale et judiciaire à la transgression nommée "viol" a varié selon les époques en fonction des situations sociales ou de sexe, des personnes concernées. Son histoire s'inscrit dans un lent processus d'égalisation, et ce n'est que récemment que le viol est devenu l'objet d'une réprobation inconditionnelle." Par exemple, "l'idée d'appropriation violente des femmes comme buton est illustrée par l'histoire : à la fin de la renaissance,le juriste Grotius, passant en revue les pratiques guerrières rapportées par les historiens de l'Antiquité, note ainsi que, suivant les circonstances, "les viols commis sur les femmes dans les guerres sont et permis et non permis" (GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (1625), PUF, 2005).
Pour ce qui concerne le droit français, "si l'évolution de (ce droit) est parfois présentée comme n'ayant abouti qu'en 1980 à la criminalisation du viol, la réalité est plus complexe. Réprimée comme un crime dans le Code Napoléon de 1810, l'infraction souffrait d'une absence de définition, facilitant ainsi, dans les cas où l'absence de consentements de la victime pouvait prêter à discussion, la requalification de l'infraction en outrage à la pudeur. (...)". "Par ces évolutions encore inachevées, le droit français du viol et plus largement des atteintes sexuelles est passé de la stigmatisation de la sexualité contraire aux moeurs à celui de la sexualité non consentie".
"Si la tendance, poursuit-il, du droit pénal français à faire des acteurs du viol des êtres désincarnés ainsi qu'à dés-inscrire leur comportement de tout cadre de référence à des "moeurs" ; bonnes ou mauvaises non plus qu'à la "pudeur", est aujourd'hui confirmée, l'interrogation sur la signification du viol comme sur les valeurs qu'il transgresse n'est cependant pas complètement refermée". il fait référence aux échos en Europe des viols commis en ex-Yougoslavie durant les années 1990, "qui soulève encore la question des rapports de sexe et rappelle les enjeux de filiation que comporte le viol lorsqu'il débouche sur l'engendrement."
"le constat banal, de ce que 90% des victimes de viol sont, selon les études de criminologie, des femmes (LOPEZ et TZITZIS, Dictionnaire des sciences criminelles, Dalloz, 2004) interroge d'ailleurs sur la rareté persistante des viols subis par les hommes ou, puisque la loi ne s'y oppose plus, de leur dénonciation. Une explication sociologique commune y voit la marque d'une culture associant des traits spécifiques à la masculinité (G.L. MOSSE, L'image de l'homme. L'invention de la virilité à l'époque moderne, Pocket, 1999) qui conduirait les hommes victimes de ces pratiques à ne pas les dénoncer. Il y aurait une difficulté à admettre qu'un homme soit violé par un autre, en raison de la force physique supposément équivalente de l'un et de l'autre. De fait, les rares cas rendus publics ou sanctionnés se sont déroulés dans des lieux d'enfermement où s'exercent, de fait sinon de droit, des rapports de contrainte. (...). Dans un contexte de clôture marqué d'autorité morale plus que physique, le voila a progressivement été levé, depuis les années 1990, sur le cas d'agressions sexuelles subies par les enfants ou adolescents de la part des membres du clergé catholique, aux États-Unis d'Amérique, puis en Europe, signalant implicitement l'existence d'agressions sexuelles sur des hommes du fait du caractère le plus souvent non mixte des institutions catholiques. La réaction de ces atteintes sur mineurs au sein de l'Église catholique élude cependant le caractère homosexuel des relations litigieuses, et se concentre sur la dénonciation de la pédophilie en général.(...)".
"Conséquence concrète autrefois crainte du viol, la naissance d'un enfant bâtard semble oubliée dans les sociétés développées : y concourent aussi bien la maîtrise de la fécondité que la disparition progressive des dispositions marginalisant la filiation hors mariage. C'est pourtant la hantise de l'impureté qui apparait, de façon confuse, dans les regards contemporains sur l'inceste. Au sens strict, dans lequel la vulgate anthropologique voit un "tabou fondateur de l'humanité" destiné à pousseer les individus vers l'exogamie, l'inceste s'entend de rlations sexuelles consanguines. relations entre frère et soeur majeurs comme entre père et fille mineure en relèvent, et le droit les refoule en interdisant le mariage entre les concernés comme l'établissement de la filiation qui en résulterait, même par la voie détournée de l'adoption. Conséquence de cette marginalité? A partir des années 1990, des tribunaux ont reconnu à des enfants nés de viols incestueux le droit de réclamer à l'agresseur de leur mère réparation civile de leur préjudice créé par une filiation aussi douloureuse qu'interdite. C'est pourtant moins en raison de l'engendrement qu'il peut impliquer que de l'acte qu'il suppose que l'inceste retient aujourd'hui l'attention du législateur pénal, qui l'ignorait jusqu'à présent (2010). (...) Si comme on l'a souligné en rappelant son sens premier de relations consanguines, l'inceste n'implique pas la contrainte ni la violence, c'est l'assimilation qu'opère la loi puisqu'elle réaffirme la répression des relations sexuelles contraintes, qu'il s'agisse de viols et d'autres agressions sexuelles, entre mineurs et majeurs, et qu'elle étend le cercle des agresseurs "incestueux" à toute personne "ayant autorité de droit ou de fait" sur la victime. Consacrant une tendance repérée antérieurement dans les discours sur l'inceste, la loi en étend ainsi le champ potentiel, qui s'évade du seul noyau familial, en même temps que le re-serre sur les seuls relations sexuelles contraintes. Alors que les travaux d'historiens tendent à montrer la banalité des viols sur enfants (G VIGAROLLO, Histoire du viol, Seuil, 2000 - A-M. SOHN, Les attentats à la pudeur aux fillettes et à la sexualité quotidienne en France (1870-1939) dans Mentalités : violences sexuelles, Imago, 1989), amenant à douter d'une augmentation du phénomène, est affirmée la nécessité d'une protection renouvelée des faibles dans un cadre de contrainte. Institutions religieuses ou éducatives, famille : autant d'espaces clos où s'exercent des pressions rendant illusoire la recherche d'un consentement émis par le mineur et où viols et agressions sexuelles sont présumés autant que subsumés sous une conception renouvelée de l'inceste.
Cette protection du consentement comme critère de l'illicite est aujourd'hui l'objet d'une attention renouvelée dans le mariage, qui a longtemps semblé au féminisme l'ultime bataille à livrer contre le pouvoir masculin. De fait, ce n'est qu'après la réforme française de 1980 qu'ont été prononcées des condamnations pour viol là où autrefois des maris faisaient valoir le devoir conjugal (...). La genèse de la loi de 2006 "renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple", qui inscrit dorénavant la formule jurisprudentielle dans le Code pénal (art. 222-22), montre que le législateur français a notamment eu à l'esprit les populations étrangères ou d'origine étrangère dont un trait culturel serait la violence envers les femmes. (...) L'autorité patriarcale fut dénoncée pour mettre au jour "le mécanisme essentiel au fonctionnement d'une société qui demeure, à certains égards, machiste et patriarcale" et dévoiler "une volonté de maintenir en place le pouvoir des hommes et de contrôler le corps des femmes" (M JACQUEMAIN, Débats Sénats, Journal Officiel, 23 mars 2006).
Au-delà du seul viol, la stigmatisation des violences sexuelles se focalise ainsi sur des communautés où la différence des sexes comme asymétrie fondamentale entre hommes et femmes sont parfois revendiquées. C'est la contrainte inéluctable des premiers sur les secondes qui est visée dans la famille comme dans le mariage, pensé comme un espace clôt, un lieu encore privé et soustrait au regard de la puissance publique dans lequel le consentement, fragilisé, doit alors être protéger."
Cyrille DUVERT, article Viol, dans Dictionnaire de la violence, Sous la direction de Michela MARZANO, PUF, collection Quadrige, 2011. Sous la direction de Etienne G KRUG, Linda L DAHLBERG, James A MERCY, Anthony ZWI et Rafael LOZANO-ASCENCIO, Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation Mondiale de la Santé, 2002.
SOCIUS
Relu le 22 juin 2021