Définitions et orientations
Agressivité est défini dans le Petit Robert (comme nom féminin dérivé à partir de l'adjectif Agressif, nom apparu en 1875) comme le Caractère agressif. En psychologie, ce serait selon ce dictionnaire la manifestation de l'instinct d'agression. Conception bien ancrée qui n'est pas du tout en phase avec les connaissance scientifiques actuelles...
Pierre RENNES, dans Vocabulaire de la psychologie d'Henri PIERON, le défini comme le "comportement caractérisé par l'acte d'attaquer ou d'aller de l'avant et s'opposant à celui de refuser le combat ou de fuir les difficultés".
Jean BERGERET, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, sous la direction d'Alain de MIJOLLA, écrit qu'"au sens propre du terme, l'agressivité correspond à des fantasmes ou à des comportements que Freud a déterminé du point de vue clinique, mais il a, de prime abord, hésité pour en donner une définition répondant aux exigences de ses propres repères métapsychologiques successifs. Ce n'est qu'après avoir montré l'importance de l'ambivalence dans le transfert (1912) qu'il s'est trouvé en mesure de considérer l'agressivité comme une manifestation relationnelle courante, mais n'ayant pas une origine unique ni même homogène. Il n'a jamais changé d'opinion par la suite et a toujours regardé l'agressivité comme l'alliance et la conjonction imaginaires ou symptomatiques de motions affectives hostiles d'une part et érotisées de l'autre."
Dans le Dictionnaire encyclopédique réalisé sous la direction de Richard GREGORY, "les comportements visant à blesser physiquement un autre individu doivent à l'évidence être considérés comme agressifs : c'est le coeur même de la notion d'agression. Les comportements visant à provoquer une blessure psychologique sont généralement eux aussi inclus dans la définition, et les fantasmes faisant intervenir la blessure d'autrui en sont proches. La question de l'intention est cruciale : une blessure provoquée par accident n'est habituellement pas considérée comme agression." Cette définition relativement proche de la tradition juridique part surtout de la provenance de l'agression, une blessure causée involontairement peut très bien être interprétée par l'organisme qui la subit comme une agression et sa réaction est d'ailleurs analogue à celle suivant une agression "intentionnelle".
De toute manière, l'auteur de l'article insiste sur l'hétérogénéité de l'agression : "Qu'elle qu'en soit la définition, la catégorie des comportements agressifs est très hétérogène, et on a souvent essayé d'établir des subdivisions." Il cite deux exemples :
- "Dans les études sur les enfants (FESHBACH, 1964 ; MANNING et collègues, 1978), quatre catégories se sont montrée utiles : l'agression spécifique ou instrumentale, visant à obtenir ou à conserver des objets ou des positions donnés, ou l'accès à des activités désirables ; l'agression gratuite ou hostile, visant surtout à irriter ou à blesser un autre individu, sans avoir pour but un objet ou une situation quelconques ; l'agression ludique, qui apparaît lorsque des jeux de combat dégénèrent jusqu'à ce que des blessures soient délibérément infligées ; l'agression défensive, provoquée par les actes d'autrui."
- "En ce qui concerne les adultes (TICKLOENBERG et OCHBERG, 1981) (il y a la) classification suivante de la violence criminelle : violence instrumentale, dont le motif est le désir conscient d'éliminer la victime ; violence émotionnelle, perpétrée sous le coup d'une forte colère ou d'une forte peur : violence par félonie, survenant à l'occasion d'un autre crime ; violence anormale, crimes de déments et des psychopathes sévères ; violence "dyssociales", actes de violences approuvés par le groupe de référence de leur auteur, qui les considère comme une réponse appropriée à la situation."
Ces définition ont été utiles à un moment de la réflexion, mais ils présentent des difficultés quand on examine les motivations en situation réelle. En outre, nous dirions que ces définitions mélangent fâcheusement les notions de violence et d'agressivité. Heureusement, le Dictionnaire ne s'y attarde pas et examine la complexité des motivations, les facteurs prédisposant immédiats à l'agression, le conflit entre groupes et les causes ultimes.
Pour ce qui est de la complexité des motivations, elle est mise en évidence par les études de nombreuses espèces où se partagent les motivations spécifiques au contexte (nourriture, territoire) et tendances antagonistes à attaquer ou à fuir un rival. "La diversité du comportement pouvait être comprise en termes de variations de niveaux absolus et relatifs des diverses motivations (...). De manière analogue, il semble probable que chez l'homme, les divers types d'agression puissent être analysés comme diverses combinaisons des variables sous-jacentes dont il est fait l'hypothèse. Des possibilités évidentes sont "l'avidité spécifique", c'est-à-dire la motivation d'acquérir des objets ou des situations précises ; la domination, c'est-à-dire la motivation d'élever sa position ou de se pousser en avant ; et la peur (...), ainsi que la propension elle-même à se comporter de manière agressive, c'est-à-dire à blesser autrui (...)."
Sur les facteurs prédisposant immédiats à l'agression, "certains auteurs ont considéré l'agression comme ne dépendant que de facteurs émotionnels, et d'autres, comme spontanée et devant inévitablement s'exprimer. (...) Mais aucune de ces deux manières de voir n'est exacte (...) Sans rejeter aucune (des) idées (comme la catharsis), les chercheurs ont tenté d'identifier les causes premières de l'agression." Mais, "rejetant toute idée d'un facteur primordial, les chercheurs actuels tentent d'identifier l'ensemble des facteurs, internes ou externes à l'individu, qui modifient l'incidence de l'agression."
Dans la suite du développement sur l'agressivité, l'auteur met surtout en avant (causes ultimes) les facteurs de l'évolution, en termes de bénéfices/risques pour les espèces.
Jacques GERVET, dans le Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, indique que "la mode est un peu passée de tenter un traitement neuro-chirurgical des individus agressifs ; cela signifie sans doute que des conceptions moins simplistes ont remplacé une conception localisant précisément des structures responsables de l'agressivité."
Il rappelle la définition donnée par Henri LABORIT à l'agressivité : toute forme d'activité capable de détruire une forme organisée. "Cette définition très extensive peut englober bien des conduites qui ne sont pas agressives au sens des éthologistes. KARLI a tenté, quant à lui, d'étudier plus précisément le réglage du "comportement du Rat tueur de souris (conduite "muricide"), ce comportement possédant grossièrement certains traits des conduites agressives au sens habituel".
Après avoir rappelé les principaux résultats devenus classiques de ces expériences, l'auteur conclue, avant d'aborder des considérations touchant à la génétique, qu'"en définitive, si l'on essaie de préciser un peu les termes, une conduite agressive implique une mobilisation générale de l'organisme, des conditionnements variés... en sorte qu'on ne peut guère la ramener à un processus physiologique ayant quelque spécificité. Cela ne signifie certes pas qu'il est impossible de diminuer l'"agressivité" d'un être par voie physiologique : que l'on pense par exemple aux "camisoles chimiques" ; mais l'effet produit n'est, aujourd'hui encore, pas extrêmement spécifique et affecte également d'autres fonctions."
Contrairement au dictionnaire encyclopédique réalisé sous la direction de Richard GREGORY, Jacques GERVET signale que "aucun généticien professionnel ne se proposerait aujourd'hui d'étudier "la génétique" de l'agression". Pour autant, les études sur l'hérédité de l'agressivité, sous forme d'influences de la présence de certaines formules chromosoniques sur certains comportement, continuent et continuent de susciter des débats. L'auteur insiste sur un cas de recherche et pense "qu'il illustre les fautes récurrentes de raisonnement commises à propos d'un problème sensible, et qu'il montre pourtant à quel point les généticiens, quant à eux, insistent aujourd'hui sur l'absence de relation causale simple entre une variation génétique et l'émergence d'un trait complexe comme celui qui se manifeste sous la forme d'une réaction taxée d'agressive."
Conflit, agressivité, emprise
Dans son Introduction à ce triptyque de notions, Alain FINE, dans la véritable "somme" sur la psychanalyse publiée sous la direction de Alain de MIJOLLA et de Sophie de MIJOLLA MELLOR, écrit que "si le conflit est d'emblée en place maîtresse chez Freud, comme enjeu intrapsychique, en rapport direct avec la libido et le sexuel, il faudra attendre un long temps dans l'évolution de ses idées pour que l'agressivité s'autonomise du libidinal et prenne rang de pulsion autonome. L'emprise, tôt citée comme pulsion, n'a pas vraiment pris rang de concept central dans sa théorisation ; recouvrant le champ du pouvoir, ce terme, aurait, dans ses avancées ultérieures, surtout été utilisé dans un sens phénoménologique décrivant des conduites ou des comportements ou pour désigner l'action de ce que nous subissons, "être sous l'emprise de"."
Le docteur en médecine, membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris, membre de l'Institut de psychosomatique, poursuit : "Il y aurait conflit, au sens psychanalytique du terme, lorsque s'opposent dans le sujet des exigences internes incompatibles, agressivité comme tendances ou ensembles de tendances qui s'actualisent dans des conduites réelles ou fantasmatiques vis-à-vis d'autrui, emprise dont le but est de dominer l'objet par la force, sans a priori sexuel et sans le souci de lui nuire. Mais le conflit peut s'externaliser, être projeté à l'extérieur et s'exprimer de façon manifeste et déformée dans des désordres de conduite, notamment à l'égard de l'objet visé, aboutissant, alors, à l'agressivité et à l'emprise. Ces divers engagements peuvent certes êtres vus sous l'angle phénoménologique, mais, en psychanalyse, ils doivent être compris sur des bases métapsychologiques."
Au départ donc, présente toujours Alain FINE, ces trois termes "étaient intimement liés à la libido impliquée dans tous les phénomènes psychiques, incluant dans leurs visées l'ambivalence et l'hostilité. C'est que Freud avait réussi aussi à lutter, à ce moment, contre une "relégation" de la théoris de la libido entreprises par Adler et Jung. P. Denis (1992) suggère pour les mêmes raisons, hostilité (en tant que pulsion autonome) et emprise n'auraient pas eu l'ampleur attendue.
L'hypothèse d'une "pulsion d'agression" a pris origine dans une conférence donnée par Adler (juin 1908), intitulée "Le sadisme dans la vie et dans la névrose." Freud, tout en marquant son intérêt pour les pulsions d'Adler (sur sa théorie des pulsions, bien entendu...), écrit alors dans une lettre à Abraham : "Je ne puis me résoudre à admettre une pulsion spéciale d'agression à côté des pulsions déjà connues de conservation et sexuelles et de plain-pied avec elles. Il me paraît qu'Adler a mis à tort comme hypostase d'une pulsion spéciale ce qui est un attribut universel et indispensable de toutes les pulsions, justement leur caractère "pulsionnel", impulsif, ce que nous pouvons décrire comme étant la capacité de mettre la motricité en branle. Des autres instincts, il ne resterait alors plus rien d'autre que leur relations à un certain but, puisque leurs rapports aux moyens d'atteindre celui-ci leur auraient été enlevés par la pulsion d'agression." Freud préfère alors penser que l'agressivité contient des composantes depuis longtemps familières de la libido sexuelle ; il n'y a pas encore de dualité entre pulsions érotiques et pulsions agressives, l'agressivité est intrapulsionnelle et peut être retrouvée à l'intérieur même des pulsions sexuelles. La motricité mise en branle rappelle l'idée d'emprise (...). (...)."
"A ce moment de la théorisation freudienne, c'est l'agressivité en tant que pulsion autonome, et non pas les conduites agressives, qui est déconsidérée. Dans sa clinique qui évoque "les conflits d'ambivalence", notamment, il parle même de pulsions, de tendances hostiles. Enfin le complexe d'Oedipe est d'emblée décrit comme conjonction de désirs amoureux et hostiles ; conflit, agressivité et emprise se donneraient ici la main. Rappelons par ailleurs que, dans le cadre théorique de la première dualité pulsionnelle, l'explication de conduites et de sentiments agressifs, tels le sadisme, la haine, sont cherchés dans un jeu complexe des deux grandes séries de pulsions représentées par celles du sexuel et de l'autoconservation, puis du Moi."
Ces trois notions, loin des enjeux polémiques, évoluent ensuite dans la théorisation de Freud, avec l'introduction de nouveaux concepts qui les ont affinées. Au fur et à mesure de ces développements théoriques, nombre d'adeptes, de collaborateurs ou de disciples de Freud retiendront ou rejetteront telle ou telle interprétation.... Nombreux ceux-ci qui préférerons de loin s'en tenir à l'un ou l'autre stade de sa réflexion sans le suivre plus avant, tout en gardant cette relation intime entre agressivité et libido.
Sous la direction de Richard L. GREGORY, Le cerveau, cet inconnu, Dictionnaire encyclopédique, Université d'Oxford, Robert Laffont, collection bouquins, 1993. Sous la direction d'Alain de MIJOLA, Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littérature, collection Grand Pluriel, 2002. Henri PIERON, Vocabulaire de la psychologie, PUF, collection Quadrige, 2000. Sous la direction de Patrick TORT, Dictionnaire du Darwinisme et de l'Evolution, PUF, 1996. Alain FINE, Expression et aménagement du pulsionnel, dans Psychanalyse, Sous la direction de Alain de MIJOLLA et de Sophie de MIJOLLA MELLOR, PUF, collection fondamental, 1999.
Complété le 9 mars 2020