Si nous prenons les différents auteurs des débuts de l'anarchisme compris comme mouvement intellectuel et politique du XIXe siècle, nous pouvons constater que, à son origine, l'anarchisme n'était pas violent. Cela rejoint la définition de l'anarchisme non-violent ou anarcho-pacifisme (le pacifisme et la non-violence étant peu distingués à l'époque), comme courant politique qui prône l'établissement d'une société anarchiste sans recourir à des moyens violents, définition qui pourrait s'appliquer à l'anarchisme dans son ensemble s'il n'existait pas, depuis la fin du XIXe siècle une tradition (très minoritaire certes) d'activités violentes de "propagande par le fait".
De plus, de nombreux anarchistes refuseraient de se voir qualifier de non-violents, ce qui ferait effectivement injure à leur littérature véhémente et polémique, n'hésitant pas à user d'un vocabulaire particulièrement agressif, n'hésitant pas non plus, souvent, à se faire l'avocat d'activités armées dites révolutionnaires, contre notamment les régimes dictatoriaux ou autoritaires.
Les auteurs qui font référence à la philosophie anarchiste non-violente sont surtout Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Léon TOLSTOÏ (1829-1910) et Gustav LANDAUER (1870-1919). Mais d'autres auteurs, dans la mouvance anarchiste ou non-violente, notamment ceux qui théorisent la désobéissance civile sont souvent cités : Enrico MALATESTA (1853-1932), Gaston LEVAL (1895-1978), Étienne de LA BOÉTIE (1530-1563), Henry-David THOREAU (1817-1862), Anselme BELLEGARRIGUE (1832-?), Han RYNER (1861-1938), Barthelemy DE LIGT (1883-1938)...
Selon donc ce courant qui se définit comme non-violent, l'activité constante, parfois illégale, parfois légale - mais ce n'est pas un critère essentiel - la légitimité politique étant bien plus caractéristique, mise en avant de manière générale avec les valeurs à défendre ou à promouvoir. Selon cette philosophie politique, la violence est au fondement du pouvoir et l'utilisation de la violence par un anarchiste revient à légitimer le principe qu'il combat. Le raisonnement anarchiste non-violent s'appuie sur l'affirmation (propre à toute philosophie non-violente) que la fin ne justifie pas les moyens, ou plus précisément que les moyens doivent être ajustées aux fins poursuivies. A noter que les théoriciens de l'anarchisme insurrectionnel violent s'accordent sur le fait que la violence n'est ni utile ni souhaitable pour la révolution. Seulement, elle leur apparaît comme inévitable dans sa première phase d'amorçage d'un mouvement de masse. A part les anarchistes (russes surtout) de la fin du XIXe siècle, tous les anarchistes insurrectionnels rejettent l'emploi de la terreur pour défendre la révolution et s'accordent unanimement pour dire qu'elle ne peut entraîner qu'une contre-révolution de fait, ce quei l'histoire des XIXe et XXe siècles n'a fait que confirmer de manière cruelle dans toutes les révolutions socialistes autoritaires. Mais il ne faut systématiser par trop : les débats sont toujours vifs au sein des groupes d'anarchistes non-violents, sur les situations où la violence s'avère "malheureusement" la seule voie d'action (distinction subtile entre violence défensive et violence offensive, violence destructrice de biens et violence portant atteinte aux personnes...), exactement de la même manière dont ils ont lieu dans la mouvance non-violente en général.
Le courant anarchiste non-violent se définit entre des valeurs de la non-violence et un mode d'organisation très décentralisé et très souple, à l'image de la société à promouvoir. Ils s'opposent à la fois à un anarchisme qui peut accepter des actions violentes et une non-violence qui admettrait (qui parfois supposerait, vu la nature des activités de masse effectuées) un mode, même bref, d'organisation hiérarchique et une certaine discipline stricte dans les comportements (forme de contrôle social rejetée). Un courant révolutionnaire non-violent a toujours existé au sein du mouvement libertaire. Celui-ci n'a jamais été spécifiquement lié à la religion, bien qu'un certain nombre d'anarchistes proviennent directement du milieu religieux : l'anarchisme chrétien de TOLSTOÏ n'est qu'une composante de cet anarchisme-là.
Xavier BEKAERT, à qui nous empruntons un certain nombre d'éléments ici conclue une longue présentation par ce termes : "Instituer l'autorité et la violence, c'est se priver de la possibilité de construire un monde meilleur, c'est figer l'imperfection sociale et l'élever au rang de principe indépassable. Mais choisir l'autorité et la violence comme moyen de transformation sociale, c'est reproduire ce qu'on dénonce, c'est considérer qu'en définitive la violence et l'autorité peuvent être des moyens appropriés aux problèmes sociaux. Et si ils le sont aujourd'hui, pourquoi pas demain? Par contre, rejeter dès aujourd'hui l'autorité et la violence, c'est refuser de sacrifier le présent à une utopie future rejetée indéfiniment à de meilleurs lendemains.(...)".
Une revue dénommée Anarchisme et non-violence, source d'ailleurs de nombreux renseignements sur cette philosophie politique, paru en France de 1965 à 1973. 31 "Cahiers d'études trimestriels sont alors réalisés par une équipe d'une trentaine de personnes, dont HEM DAY. On peut lire dans la plate-forme rédigée collectivement par l'équipe initiale : "Les méthodes non-violentes paraissent être le moyen d'action le plus conforme aux théories anarchistes ; elles constituent une force qui permet d'éviter les conséquences autoritaires de la violence".
Xavier BEKAERT, Anarchisme, violence et non-violence, Petite anthologie de la révolution non-violente chez les principaux précurseurs et théoriciens de l'anarchisme, suivi de La violence dans la Révolution, Fédération Anarchiste, Éditions du Monde Libertaire, 2000.
Site Internet de anarchisme et non-violence : http://anarchismenonviolence2.org
PHILIUS
Relu le 13 mai 2021