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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 10:03

    Les approches strictement polémologiques - étude de la guerre économique dans le cadre de celle du phénomène-guerre - comme stratégiques - élaboration générales de concept d'appropriation et de privation de ressources économiques - sont en fin de compte assez peu fréquentes.

 

Une distinction entre guerre et guerre économique...

    Pour ce qui est de la polémologie, la référence demeure la somme consacrée par Gaston BOUTHOUL à la guerre. C'est en partant de cette référence que Ali LAÏDI tente de décrire les fondements historiques et philosophiques de la guerre économique. Le fondateur de la polémologie ne livre pas une définition de la guerre économique et on est en droit de penser, à la lecture de ses différentes oeuvres, que cette expression parait impropre. Il est suivi en cela par la plupart des auteurs qui traitent des relations entre Économie et Guerre. Pourtant, selon l'auteur cité, "la définition de la guerre économique entre bien en résonance avec celle de guerre."

Dans son ouvrage Le Phénomène guerre (1962), Gaston BOUTHOUL tente de définir la guerre. Si d'emblée, il reconnaît qu'il y a autant de définitions que d'auteurs qui se sont penchés sur la question, il distingue plusieurs traits principaux de la guerre :

- son caractère collectif qui la différencie des actes de violence individuelle, ce caractère collectif se déterminant à partir de la nature du groupe et de son intention, qui n'est pas forcément un État. Ce qui ouvre la perspective de guerre économique non seulement aux États, mais également aux grandes entreprises ;

- son caractère de violence armée. La guerre peut être plus ou moins meurtrière, elle se situe dans le cadre d'un conflit qui implique l'usage des armes. La lutte armée est un critère qui, en revanche, n'ouvre la guerre économique qu'aux États et entre gouvernements organisés. Il faut de toute façon que le sang coule pour parler de guerre. Dans la guerre économique, le sang ne coule pas, la lutte n'est pas forcément sanglante mais elle est violente et il y a, souvent, des armes... économiques. 

      Gaston BOUTHOUL insiste sur le caractère sanglant de la guerre, ce qui ne l'empêche pas d'utiliser lui-même l'expression "guerre économique", tant au chapitre XVI de son Phénomène guerre que dans la cinquième partie de son Traité de Polémologie. Il remarque dans le premier ouvrage que les animaux ne se font pas la guerre car ils ne possèdent rien et ne tuent que pour se nourrir. Parce que l'animal ne travaille pas et, à de rares exceptions, n'économise pas. C'est l'absence d'économie qui expliquerait l'absence de guerre. Seule exception, que l'on trouve dans son Traité de polémologie, le cas des insectes sociaux, comme les fourmis et les termites. "Les fourmis ont la guerre parce qu'elles ont du bien, des richesses ; et ce sont les seuls animaux avec les termites et les abeilles qui soient dans ce cas. Il y a de grandes guerres de termites, et aussi des guerres d'abeilles (ces dernières, il est vrai, très rares, pour des raisons qui nous échappent, peut-être parce qu'elles sont terriblement armées)." Il constate que des études sur les fourmis compliquent les choses : "Car elles ajoutent au simple facteur économique (désir de prédation et d'appropriation du travail et des biens de ses congénères) un facteur psycho-social dans lequel interviennent des éléments semble t-il mystiques et magiques (sic)". 

 

La guerre économique, également meurtrière...

     L'existence de sociétés industrielles complexes et différentes stratégies déployées pendant la Seconde guerre mondiale amènent à se poser toutefois la question de cette deuxième restriction à la définition de la guerre, qui empêcherait de considérer que l'expression guerre économique renferme plus qu'une métaphore.

 En questionnant le rapport entre la guerre et le nombre des victimes comme des blessures qui causent leur mort, on peut se poser la question, dans un premier temps en restant sur la guerre proprement dite, menée avec des armes qui tuent directement sur les champs de bataille, si elle ne voit pas mis en oeuvre d'autres méthodes moins directes, mais aussi efficaces, dans le moyen ou le long terme, de provoquer la mort. La destruction consciente de ressources économiques, la dévastation, même non volontaire, d'étendues agricoles gigantesques ou d'infrastructures industrielles, dans des sociétés industrielles ou semi-industrielles, provoquent des victimes en masse, par la faim, le froid, les épidémies... On considère ainsi généralement que la seconde guerre mondiale a vu la mort de bien plus de victimes civiles que de soldats, et que suite directement à la première guerre mondiale, les épidémies ont provoqué la mort de plus de personnes que la guerre elle-même. Les victimes "collatérales" sont bien plus nombreuses que les victimes directes des guerres. 

En sortant du cadre strict de la guerre, avant ou après celle-ci, des moyens économiques provoquent la mort eux aussi. Soit de manière volontaire : affamer des populations situées dans les territoires ennemis, soit de manière "involontaire" : provoquer la ruine d'économies concurrentes. Des méthodes qui provoquent l'extinction de populations entières ne peuvent-elles pas être considérées comme des méthodes de guerre? La guerre économique, celle des entreprises ou des États, provoquent bien plus de destructions et de décès que les guerres tout court. Alors, comment pouvoir comprendre l'évolution de conflits marqués seulement de temps en temps par des guerres franches et déclarées, mais traînant en longueur par des destructions économiques? Décidément, il ne s'agit pas d'une métaphore : la guerre économique, malgré le positionnement de la polémologie, constitue bien une guerre en bonne et due forme. Les causes de ces guerres-là s'apparentent souvent aux causes des guerres reconnues comme telles : rivalités politiques ou économiques, désir d'extension territoriale ou d'accaparement de ressources. Leurs conséquences également : destructions de matériels et de vies humaines, haines indéfinies (de populations vis-à-vis des entreprises ou des nationalités représentées en elles...), désirs de revanche (par les mêmes moyens ou par des moyens "plus directs"). Cela n'empêche nullement de considérer les guerres reconnues comme telles comme des objets d'étude en soi, comme le fait la polémologie classique. Cela permet de plus de faire le lien direct entre stratégies armées et stratégies non armées dans le cadre d'étude de conflictualité ou de conflit. D'ailleurs, la consultation de nombreuses ouvrages de stratégie permettent de comprendre, parfois entre les lignes, que dans la guerre moderne, il y a toujours des éléments de guerre économique. Ce qui bloque sans doute, c'est que la guerre est considérée comme l'attribut de puissances souveraines, est réservée aux États, contrairement d'ailleurs, au premier trait principal de la guerre de Gaston BOUTHOUL. Faire ce pas, considérer que la guerre économique est bien une guerre, c'est ouvrir la possibilité que des entreprises, en dépit du fait qu'elles n'ont pas en principe de pouvoirs régaliens, se livrent entre elles à de véritables guerres. 

      Ce qui brouillent les perspectives polémologiques, qui restent souvent dans le cadre du droit de la guerre, c'est que des entreprises peuvent entrer en lutte, armée ou non armée, avec non seulement d'autres entreprises, mais également contre des États. Ce qui rend difficile alors les analyses, c'est que si les États se signalent par leur permanence, leur efficience (pas tous...), par l'existence d'une colonne vertébrale administrative qui les rend reconnaissables (et leurs archives décodables...), les entreprises multinationales, par le jeu des influences internes de groupes, de familles, voire d'individus, par leurs alliances changeantes (parfois à 180 degrés) se caractérisent au contraire par leur porosité et leur mouvement perpétuel... L'analyse des différents systèmes bureaucratiques de ces grandes entreprises peut donner d'ailleurs à penser qu'elles constituent sans doute de redoutables machines qui fonctionnent dans une logique difficilement réversible ou réformable, avec leurs appareils comptables impitoyables, de plus redoutables machines encore que des États en proie à des contestations radicales de leur rôle (par en bas, les citoyens leur faisant de moins en moins confiance et vivant si possible en dehors d'eux ou par en haut par la dépossession au profit d'institutions supranationales, ou même... au profit d'entreprises privées).

 

Ali LAÏDI, Aux sources de la guerre économique, Armand Colin, 2012. Gaston BOUTHOUL, Traité de polémologie, Payot, 1991 (première édition : 1951), Le Phénomène guerre, Petite Bibliothèque Payot, 1962. 

 

STRATEGUS

 

Relu le 9 avril 2021

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