9 novembre 2009
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On peut situer le début (à l'époque moderne) de la réflexion sur les relations entre stratégie et armement à la fameuse étude du major-général FULLER sur le rôle de l'armement sur l'histoire.
Chacun à leur manière, en France, Lucien POIRIER, André BEAUFRE et le général GALLOIS ont abordé cette question dans leurs études sur la stratégie. Le général Jean BECAM, en proposant le concept de stratégie génétique, met en évidence l'importance de la conception des armements, processus complexe d'où dépend toute la carrière d'un programme tout comme son utilité pour les forces. Les débats sur les rôles dans ce processus complexe resurgissent surtout depuis la fin du système des blocs, notamment à travers ce que les experts et les officiels appellent la Révolution des Affaires Militaires.
François GERE, dans Les lauriers incertains (1991), à propos de la technologie des missiles de croisière, pense, à la suite de Samuel HUNTINGTON (Arms races : Prerequisites and Résults, 1958), que "c'est parce qu'une arme est disponible que l'on se fixe tel ou tel but stratégique". Il cite d'ailleurs Albert WOHLSTETTER (Lettre aux hommes d'États, aux évêques et à d'autres stratèges à propos du bombardement des innocents, Commentaire, 1983-84) qui "n'a pas craint de parler de révolution du guidage et de la précision, pour aussitôt en tirer des conclusions quant à la réorientation de la stratégie des États-Unis".
Chacun à leur manière, en France, Lucien POIRIER, André BEAUFRE et le général GALLOIS ont abordé cette question dans leurs études sur la stratégie. Le général Jean BECAM, en proposant le concept de stratégie génétique, met en évidence l'importance de la conception des armements, processus complexe d'où dépend toute la carrière d'un programme tout comme son utilité pour les forces. Les débats sur les rôles dans ce processus complexe resurgissent surtout depuis la fin du système des blocs, notamment à travers ce que les experts et les officiels appellent la Révolution des Affaires Militaires.
François GERE, dans Les lauriers incertains (1991), à propos de la technologie des missiles de croisière, pense, à la suite de Samuel HUNTINGTON (Arms races : Prerequisites and Résults, 1958), que "c'est parce qu'une arme est disponible que l'on se fixe tel ou tel but stratégique". Il cite d'ailleurs Albert WOHLSTETTER (Lettre aux hommes d'États, aux évêques et à d'autres stratèges à propos du bombardement des innocents, Commentaire, 1983-84) qui "n'a pas craint de parler de révolution du guidage et de la précision, pour aussitôt en tirer des conclusions quant à la réorientation de la stratégie des États-Unis".
Pour François GERE toujours, "soulever la question des missiles de croisière, c'est précisément se placer à la croisée des controverses sur les rapports qu'entretiennent la stratégie avec son environnement : politique, tactique technologique, maîtrise des armements, etc, et pénétrer au coeur du processus d'élaboration de la stratégie américaine." Après avoir décrit les différents conflits entre armées (air, terre, mer) et différentes administrations dans les années 1970 pendant l'émergence de cette arme nouvelle, il aborde différentes manoeuvres diplomatiques à propos du déploiement futur de cette arme pendant les négociations SALT.
Aujourd'hui que l'ennemi soviétique a disparu, la transformation de la stratégie, notamment navale, s'effectue avec la présence d'un arsenal important, dont il faut bien trouver une utilisation. Cet arsenal ayant des particularités polyvalentes, il peut influer en faveur d'une stratégie ou d'une autre. Il convient bien à l'esprit américain qui veut qu'à tout problème existe une solution technique, quitte à oublier en chemin des solutions politiques à un conflit.
Joseph HORENTIN dans La technologie militaire en question (2008), pointe également cette "vision d'une hiérarchie nette entre fins et moyens (qui) prévaut (...) aux Etats-unis. (...) la thématique de la supériorité technologique (présente aussi dans d'autres pays) comme facteur de puissance y acquiert une valeur plus importante et devient une composante en soi de la culture stratégique."
Joseph HORENTIN dans La technologie militaire en question (2008), pointe également cette "vision d'une hiérarchie nette entre fins et moyens (qui) prévaut (...) aux Etats-unis. (...) la thématique de la supériorité technologique (présente aussi dans d'autres pays) comme facteur de puissance y acquiert une valeur plus importante et devient une composante en soi de la culture stratégique."
Cette culture, théorisée par Francis KANE, Jerry E. POURNELLE et Stephan Thomas POSSONY (The strategy of technology, 1968, disponible librement sur www.jerrypournelle.com) irrigue tous les débats stratégiques dans le monde.
L'auteur de cette étude précise et très documentée de la Révolution des Affaires Militaires actuellement en marche pense que celle-ci est "le fruit d'une culture technologique américaine très spécifique", qui contamine presque tous les débats entre experts militaires, firmes d'armement et responsables politiques.
L'auteur de cette étude précise et très documentée de la Révolution des Affaires Militaires actuellement en marche pense que celle-ci est "le fruit d'une culture technologique américaine très spécifique", qui contamine presque tous les débats entre experts militaires, firmes d'armement et responsables politiques.
Il distingue trois "marqueurs" de cette culture :
- Un individualisme couplé à un fort degré de mobilisation des individus (concepteurs et producteurs) permettant de faire des États-Unis un "arsenal des démocraties". La technologie est une des sources du nationalisme américain. Nous pensons que cela est d'autant plus vrai que cette source permet d'occulter tous les tenants et aboutissants politiques des décisions militaires. Elle confère un caractère neutre à la technologie, un caractère neutre du coup à des politiques surtout favorables à certains intérêts et certaines classes sociales ;
- La scientifisation des méthodes et la mathématisation des raisonnements conduisent au développement de la recherche opérationnelle ou de l'analyse des systèmes, approches très critiquées au lendemain de la guerre du VietNam pour avoir évacué les facteurs socio-politiques de la formation des stratégies américaines ;
- La tension vers l'automatisation répond à une perception, enracinée dans l'histoire politique (nous dirions aussi religieuse) du pays, où l'homme est potentiellement à la source d'erreurs, voire de tyrannie.
"L'approche capacitaire, renvoyant directement à la disposition de technologies spécifiques - deviendra ainsi centrale dans la RMA puis dans la Transformation." Cette Transformation, que l'auteur analyse également, est une systématisation jusqu'au niveau politique de ce qu'il appelle la technologisation de la stratégie.
"Nous nous (posons) la question de savoir si la technologie n'est pas en train de devenir la stratégie et, donc, si cette dernière n'est pas, en plus de se techniciser, en train de se technologiser. Autrement dit, nous posons la question de savoir si la technologie n'a pas pris une place telle dans les débats qu'elle en viendrait à éclipser des questions autrement plus importantes : que faire de la puissance? Comment utiliser au mieux la technologie? Comment, dans le courant d'une crise, faire interagir avec avec justesse lignes d'opérations diplomatiques et militaires - elles qui sont trop souvent découplées - au plein bénéfice des objectifs politiques.
- Un individualisme couplé à un fort degré de mobilisation des individus (concepteurs et producteurs) permettant de faire des États-Unis un "arsenal des démocraties". La technologie est une des sources du nationalisme américain. Nous pensons que cela est d'autant plus vrai que cette source permet d'occulter tous les tenants et aboutissants politiques des décisions militaires. Elle confère un caractère neutre à la technologie, un caractère neutre du coup à des politiques surtout favorables à certains intérêts et certaines classes sociales ;
- La scientifisation des méthodes et la mathématisation des raisonnements conduisent au développement de la recherche opérationnelle ou de l'analyse des systèmes, approches très critiquées au lendemain de la guerre du VietNam pour avoir évacué les facteurs socio-politiques de la formation des stratégies américaines ;
- La tension vers l'automatisation répond à une perception, enracinée dans l'histoire politique (nous dirions aussi religieuse) du pays, où l'homme est potentiellement à la source d'erreurs, voire de tyrannie.
"L'approche capacitaire, renvoyant directement à la disposition de technologies spécifiques - deviendra ainsi centrale dans la RMA puis dans la Transformation." Cette Transformation, que l'auteur analyse également, est une systématisation jusqu'au niveau politique de ce qu'il appelle la technologisation de la stratégie.
"Nous nous (posons) la question de savoir si la technologie n'est pas en train de devenir la stratégie et, donc, si cette dernière n'est pas, en plus de se techniciser, en train de se technologiser. Autrement dit, nous posons la question de savoir si la technologie n'a pas pris une place telle dans les débats qu'elle en viendrait à éclipser des questions autrement plus importantes : que faire de la puissance? Comment utiliser au mieux la technologie? Comment, dans le courant d'une crise, faire interagir avec avec justesse lignes d'opérations diplomatiques et militaires - elles qui sont trop souvent découplées - au plein bénéfice des objectifs politiques.
Joseph HORENTIN caractérise cette technologisation sur trois plans :
- Au plan de l'appréhension des questions stratégiques, par une focalisation sur les options de nature technique, évidemment en matière d'équipement, mais surtout en matière stratégique (...) ;
- Au plan de la pratique stratégique, par un déterminisme technologique tel que les résultats et les effets d'une opération militaire seraient perçus comme dépendant très largement de la technologie militaire. L'auteur dénonce l'apparition d'une fantasmagorie technologique qui n'a d'équivalent (faible sans doute en comparaison) que la fantasmagorie édifiée naguère autour de la "surpuissance soviétique".
- Au plan politique, par une confiance excessive accordée aux capacités opérationnelles d'une institution militaire dotée d'équipements perçus comme "de pointe". Il s'ensuit une perception faussée des conditions du combat sur le terrain et de la nature de la guerre elle-même. Sans doute pouvons-nous expliquer ainsi en partie, pour aller plus loin que l'auteur, l'embourbement des unités militaires en Irak et en Afghanistan depuis plus de dix ans.
Joseph HENROTIN, La technologie militaire en question, Le cas américain, Economica, 2008. Sous la direction de François GERE, Les lauriers incertains, Stratégie et politique militaire des Etats-Unis, 1980-2000, Fondation pour les Études de Défense Nationale, 1991.
ARMUS
Relu le 12 Août 2019