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24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 10:02

          Obnubilées pendant un demi-siècle par la menace nucléaire et l'équilibre de la terreur, les élites politiques et militaires occidentales redécouvrent les armes chimiques, avec la guerre Iran-Irak et la guerre du Golfe (Pierre LELLOUCHE). Cette nouvelle actualité de l'arme chimique au début des années 1990 entraîne une activité diplomatique intense et l'adoption de la Convention internationale sur les armes chimiques, de caractère très intrusif.

 

          En fait, l'avènement du système bipolaire après la Deuxième Guerre Mondiale se traduit par des conséquences importantes sur les armes chimiques dont le volume et l'implantation dans les armées connaissent une croissance très importante, et différente au Nord et au Sud.

        Au Nord, la quasi-totalité des États choisissent de ne pas se lancer dans la course à l'arme chimique, pour des raisons à la fois politiques et militaires, à la seule exception très importance de l'Union Soviétique. Si un bon tiers des système d'armes de l'armée rouge est équipé de composantes d'armement chimique, l'OTAN ne prévoit aucune rôle dans ses stratégies successives pour les armes chimiques. C'est seulement au renouveau de la tension Est-Ouest au débit des années 1980 que les inquiétudes suscitées par l'existence d'un gigantesque arsenal chimique soviétique provoquent l'installation dans certaines unités américaines d'armes binaires (classiques/chimiques), la France envisageant de se constituer un stock de sécurité en 1987.

Mais avec la détente sous la présidence soviétique de Gorbatchev et la prise de conscience des risques de prolifération chimique dans le tiers-monde (guerre Iran-Irak, Massacres de populations kurdes par l'armée irakienne...), les négociations pour l'élimination des armes chimiques sont relancées. Au Nord, sauf en Union Soviétique, les armes chimiques sont considérées comme difficiles à justifier devant l'opinion publique et jugées peu efficaces sur le champ de bataille, gênant toute manoeuvre rapide. Cette opinion des états-majors occidentaux fut renforcée dans l'analyse de la guerre Iran-Irak où malgré leur usage massif, l'arme chimique s'est montré peu efficace pour modifier la donne militaire. Leurs analyses, globalement, indiquent que les facteurs à prendre en compte pour utiliser l'arme chimique rendent son usage aussi complexe qu'aléatoire : configuration du terrain favorable à la persistance des gaz, conditions d'évaporation dans l'atmosphère, conditions météorologiques, nécessité de doter les unités d'équipements de protection gênant leurs mouvements, présence de ces mêmes équipements un peu partout dans les armées (ennemies)...

         Au Sud, la situation est inverse : une véritable course aux armements chimiques débute dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale. La difficulté de certains États d'entrer dans le club des puissances nucléaires, les efforts déployés par les puissances nucléaires pour empêcher la prolifération amènent ceux-ci à se reporter sur le caractère dissuasif des armes chimiques. Une prolifération chimique se trouve favorisée par la relative facilité avec laquelle une arme chimique peut être fabriquée (comparativement par exemple aux processus complexes nécessaires  à l'obtention d'une arme atomique). En fait, on peut constater que la technologie des armes chimiques n'a guère évolué depuis la première guerre mondiale. Les agents militairement efficaces, comme les principes de fabrication, de conservation et de militarisation de ces agents sont depuis longtemps dans le domaine public. A cause du peu d'attention accordé aux armes chimiques par les grandes puissances, les États du Sud ont pu constituer, avec l'aide des firmes occidentales, leurs manufactures et leurs arsenaux chimiques. Et cela d'autant plus facilement, que cette nouvelle industrie militaire offre de nombreux débouchés aux pays du Nord dotés d'une solide industrie pharmaceutique et chimique. Parfois, une simple conversion du produit civil suffit pour son emploi militaire.

Pour les autorités militaires des pays du Sud, la détention d'armement chimique pourrait permettre de résister aux pressions d'une puissance nucléaire. Elle constitue une facette très importante d'une sorte de dissuasion du faible au fort, d'une dissuasion du pauvre.

L'utilisation de cette arme de terreur contre des populations civiles peu préparées constitue certes un moyen de maintenir un régime dictatorial au pouvoir. Son utilisation sur un véritable champ de bataille montre en revanche que sa principale efficacité (sur l'évolution de la guerre) est surtout psychologique.

"La guerre du Golfe est venu confirmer la leçon stratégique apprise depuis Ypres en 1915, qui est que l'arme chimique est d'abord une arme de terreur qui s'emploie contre un adversaire non protégé et qui ne dispose pas de moyens de représailles. A l'inverse, sur le champ de bataille, surtout face à un adversaire résolu, lui-même protégé et préparé à ce type de combat, et disposant de surcroît de moyens de riposte, l'emploi de l'arme chimique se révèle d'une piètre utilité militaire. C'est pour cette raison par exemple que l'Allemagne nazie se garda d'employer ces armes, sauf pour le génocide de populations juives sans défense. C'est pour cette même raison que l'emploi du chimique par l'Irak n'a eu qu'un modeste impact militaire contre l'Iran (45 000 morts au total sur 1 million des deux côtés), tandis que son impact psychologique sur les populations civiles iraniennes puis kurdes (après Halabja) a été immense. Les précédents de recours aux armes chimiques par l'Irak - lors de la guerre Iran-Irak et, selon toute vraisemblance, contre la minorité kurde - ont pu rendre crédible l'hypothèse d'une escalade de tout conflit futur vers l'usage d'armes chimiques.

La première "zone" d'emploi probable pour l'avenir concernera donc, comme par le passé, des actions de guerre contre les populations civiles dans le tiers-monde, ou même des actions de terroristes contre le Nord, l'histoire récente prouvant que tous les pays n'ont pas (...) les mêmes réticences morales ou politiques quant à l'emploi de telles armes.

Le second type d'utilisation possible concerne l'emploi du chimique comme instrument de frappe stratégique contre un État puissant, voire nucléaire. L'arme chimique devenant alors non pas (...) l'arme de dissuasion du pauvre, mais bien l'arme d'emploi du faible contre le fort. Les cas envisageables ici concernent d'abord Israël (dont 80% de la population est concentrée sur une zone côtière extrêmement exiguë autour de Tel-Aviv), ou bien encore des villes européennes qui demain seront à portée des missiles tirés de l'autre côté de la Méditerranée, ou du Moyen-Orient. Cela étant, les effets militaires de telles actions - à moins d'imaginer des salves composées de très nombreux missiles ou des raids aériens très intenses - seraient relativement limités.(...). Tout autre, cependant, seraient les conséquences psychologiques (terreur) et stratégiques (représailles nucléaires ou non) d'une telle attaque. Au Moyen-Orient, le risque de voir le couple chimique-nucléaire dégénérer dans une escalade nucléaire ne peut donc pas être exclu, même si (...) les effets militaires d'une frappe chimique sont beaucoup plus modestes que les déclarations d'un Saddam Hussein ne le laisseraient penser." (Rapport parlementaire d'information, Assemblée Nationale, 2000).

 

           D'une logique de production massive dans les pays du Sud, la question se pose si l'on passe progressivement à une logique de gestion des stocks, après la Convention Internationale de 1993, qui représente un véritable succès dans la lutte contre la prolifération de ces armes (Leslie-Anne LEVY). L'enthousiasme des diplomates doit être tempéré par le fait que les arsenaux chimiques sont, à l'inverse des arsenaux nucléaires, assez mal connus. La diversité des agents chimiques considérés, leur polyvalence d'utilisation, la dissémination relative des stocks sur les territoires se joignent à la réticence "naturelle" des États à livrer toutes les informations - même aux organismes chargés de la vérification des accords - pour rendre relativement opaque les qualités et les quantités détenues.

    Toutefois, un classement est régulièrement effectué par les responsables internationaux chargés de superviser la destruction des stocks d'armes chimiques.

        

         Cinq États possèdent les plus grosses quantités et la plus grande diversité d'armes chimiques : États-Unis, Russie, ancienne République Fédérale de Yougoslavie, Irak et Inde.

La Russie possède de loin le plus gros arsenal et a même été qualifié d'archipel toxique. De 40 000 tonnes d'agents chimiques au départ (les 2/3 des stocks mondiaux), un grand effort de destruction et de démantèlement l'aurait réduit d'à peu près 25% aujourd'hui (Green Cross, 2010). Il ne resterait plus qu'un site en Russie qui fait l'objet d'une action accélérée.

Les États-Unis, qui avaient arrêté leur production en 1969, possédaient également d'énormes stocks (31 500 tonnes) en cours de destruction à la signature de la Convention Internationale. Mais dès 1991, l'administration Bush - dont les déclarations sont à prendre avec beaucoup de précautions - avait annoncé que les stocks d'armes binaires et unitaires seraient détruits dès l'entrée en vigueur de la convention. En 1998, 12,2% de son arsenal avait été détruit. 

Les différents États issus de la dislocation de la République Fédérale de Yougoslavie posséderaient de manière disséminées des armes chimiques (trois usines certaines en Serbie).

En Irak, la situation n'est pas très claire, vu les accusations mensongères (déformation et amplification) de l'administration américaine à ce sujet), mais les forces de la coalition semblent avoir détruits la plus grande partie des stocks à l'heure actuelle.

L'Inde a déclaré son arsenal en 1997, après avoir ratifié la convention en 1996.

Douze États posséderaient probablement des armes chimiques : Chine, Égypte, Éthiopie, Iran, Israël, Libye, Birmanie, Corée du Nord, Corée du Sud, Pakistan, Syrie, Taïwan. Ces armes chimiques se retrouvent systématiquement dans les zones bilatérales ou multilatérales de tension, dans des quantités et dans des déploiements gardés secrets par les États possesseurs.

D'autres États sont réputés - par les instituts de recherche américains - posséder des armes chimiques : Algérie, Cuba, Soudan, Viet-Nam.

 

                 L'analyse des armes chimiques comme armes de destruction massive est souvent effectuée selon un regard stratégique Est-Ouest ou entre grandes puissances, et passe à côté des conséquences à terme de leur emploi sur de vastes zones.

Car si une des fonctions dévolues par le militaire à ces armes est bien de rendre impraticable une partie du territoire à l'ennemi, les conséquences écologiques de leur utilisation sur les sols montrent que cela va plus loin qu'un simple effet tactique. Les populations civiles, parfois longtemps après la guerre, subissent l'effet de ces armes chimiques sur la terre et l'eau de manière dramatique.

C'est ce que rappelle par exemple Claude-Marie VADROT (Guerres et environnement, 2005) : "L'élimination de la protection arborée par le pilonnage, en 14-18 et pendant la Seconde guerre mondiale, en Europe, sur les îles japonaises, ou au cours des affrontements de la guerre de Corée représentait manifestement du point de vue des effets sur le milieu naturel et la forêt, un véritable "gaspillage" énergétique. Il fallait beaucoup d'obus pour hacher menu les arbres. Les militaires, toujours imaginatifs, finirent par trouver un "remède" à cette erreur manifeste : la défoliation par des produits chimiques. Les militaires et leurs commanditaires politiques réalisèrent que la méthode était en plus un superbe gisement d'économies. Ils y pensaient fortement depuis la deuxième moitié de la Seconde Guerre mondiale, le Japon n'échappant, après quelques essais sur des petites îles en 1944, à cette attaque chimique programmée qu'en raison du succès du largage des deux premières bombes atomiques (...). Les Américains, qui n'avaient alors que théorisé la méthode, utilisèrent aussi comme référence d'efficacité sur les zones boisées abritant des combattants les petites expériences faites par les Britanniques en 1954 et 1955. L'armée anglaise avait répandu divers herbicides sur quelques régions de Malaisie pour effacer les zones forestières où se réfugiaient des rebelles à leur domination coloniale. Les essais se révélèrent plus que concluants pour le repérage des groupes clandestins et de leurs caches. Après quelques tentatives grandeur nature à la fin du conflit coréen, puis en 1961, à la frontière du Cambodge et du Vietnam, les Américains utilisèrent cette méthode à grande échelle au Vietnam à partir de 1962.(...). En neuf ans entre 2,5 et 3 millions d'hectares ont été traités aux défoliants ou aux herbicides au moins une fois. (...). Cette aspersion toucha un peu plus de 20 000 villages, provoquant entre 2 et 4 millions de victimes vietnamiennes, auxquelles il faut ajouter les très nombreux Américains, civils ou militaires, qui furent contaminés et dont la descendance fut affectée. Des années plus tard, nombre de vétérans du Vietnam touchés ont pu obtenir des indemnités de leur gouvernement. Depuis 2003, suite à une décision du Congrès, de nouveaux procès sont en cours, y compris ceux intentés, depuis le début de 2005, par des Vietnamiens n'ayant comme recours que de mettre en cause les sociétés qui ont fabriqué les produits utilisés par l'aviation américaine."

L'auteur détaille les conséquences sur le milieu naturel et sur la faune de l'exposition à des produits. L'érosion des sols, les bouleversements des équilibres écologiques, l'appauvrissement pour de nombreuses décennies de près de 200 000 hectares de cultures, la contamination à long terme de certaines zones, sans compter une déforestation massive, figurent parmi les conséquences d'une utilisation des armes chimiques au Vietnam.

Ces conséquences devraient désormais entrer dans les paramètres des planificateurs de futures utilisations (d'ailleurs dans certains milieux militaires, elles renforcent la mauvaise réputation des agents chimiques militarisés) et il faut même espérer qu'elles auront un effet dissuasif sur toute utilisation massive future. 

 

              Ratifiée par 121 États en mars 1999, la Convention sur les armes chimiques (entrée en vigueur en 1997) bénéfice d'un véritable déploiement de moyens. Le SIPRI Yearbook de 2009 faisait état de l'extension des mesures de prévention et de réponse aux menaces de guerre chimique. Cette extension, guidée surtout par la préoccupation d'attaques bio-terroristes sur les sols des pays occidentaux, s'effectue notamment dans l'identification des activités des acteurs non-étatiques.

            Un certain retard dans la destruction des stocks mondiaux est signalé toutefois par les autorités officielles ou par les organismes indépendants. La convention fixait la date d'avril 2012 pour la destruction des stocks. La Russie et les États-Unis ont obtenu une prolongation de 5 ans à l'expiration du délai initial. Ces retards sont surtout dû au manque de capacités suffisantes de destruction et aux précautions rendues nécessaires par la virulence de certains agents. Global Green USA lui-même, organisme indépendant pour l'interdiction des armes chimiques, estime que "ce délai ne doit toutefois pas mettre en péril la sécurité et la protection de la santé publique, et nous exhortons la Russie à se montrer extrêmement prudente et transparente à mesure de son avancement dans ce processus dangereux". (Green Cross France, 2010).

      La Convention des armes chimiques est ratifiée en 2011 par 188 pays. Chaque année, l'OIAC, chargée d'assurer les inspections de vérification sur place et de contrôler son application, fait un rapport sur les progrès accomplis. (voir dans la catégorie Rapport un compte-rendu régulier).

 

Assemblée Nationale, Rapport d'information déposé par la Commission de la Défense Nationale et des Force Armées sur la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, présenté par MM. Pierre LELLOUCHE, Guy-Michel CHAUVEAU et Aloyse WARHOUVER, 7 décembre 2000. SIPRI Yearbook 2009. Leslie-Anne LEVY, la Convention sur les armes chimiques : une structure unique pour les inspections sur place, 1999, UNIDIR. Claude-Marie VADROT, Guerres et environnement, Panorama des paysages et des écosystèmes bouleversés, Delachaux et Niestlé, 2005.

On consultera avec profit les sites de l'UNIDIR, du SIPRI, de l'IISS, du CICR et de Green Cross.

 

                                                                                                                  ARMUS

 

Relu le 21 mars 2020

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