Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 mars 2011 7 13 /03 /mars /2011 09:36

            C'est vers la vie quotidienne et vers la localité que se tourne l'intérêt, dès que le changement de contexte général fait surgir un malaise lié aux problèmes des finances publiques, à la montée du chômage et de l'insécurité et aux retombées négatives des grandes options planificatrices. (Jean REMY et Liliane VOYE). 

   Ce malaise engendre un accroissement des travaux d'ethnologie sociale et d'anthropologie. Comme ceux de Paul Henry CHOMBART de LAUWE. L'attention se porte sur les problèmes rencontrés par les ruraux ou les immigrés arrivant dans la ville sans y rencontrer l'objet de leurs espoirs, de meilleures conditions de vie ou d'emploi (Colette PETONNET, On est tous dans le brouillard : Ethnologie des banlieues, Galilée, 1979), sur les liens entre formes spatiales et modes de sociabilité (Y JOSEPH, Le passant considérable. Essai sur la dispersion de l'espace public, Librairies des Méridiens, 1984)... C'est le thème de la banlieue, avant le thème des "problèmes de quartiers difficiles", qui est abordé par plusieurs auteurs, en particulier celui de l'opposition centre/banlieue et celui du rapport possible entre compétition et banlieue (Daniel PINSON, Des banlieues et des villes, Editions ouvrières, 1992 ; Laurence ROULLEAU-BERGER, La ville-intervalle, Les Méridiens-Klincsieck, 1991).

    Bernard POCHE s'interroge dans "Mouvements régionaux, mort et transfiguration de la localité", (in Recherches sociologiques, n°1, 1980) sur la signification de l'identité régionale et sur le sens même de la localité comme mode de coexistence active entre groupes divers.

     Michel PINÇON et Monique PINÇON-CHARLOT, dans Dans les beaux quartiers (Le Seuil, 1989) étudient des populations refermées sur elles-mêmes, qui prennent l'habitude de vivre entre eux, ce qui contribue à des fractures sociales entre certaines catégories (riches et pauvres) de la population.

    Les travaux des sociologues qui s'intéressent à la vie urbaine (et ils sont nombreux!) le font aussi sous la poussée de groupes d'habitants qui entendent prendre en main leur environnement immédiat, et des institutions comme l'université jouent parfois un rôle actif dans la constitution de réseaux urbains. Les travaux d'André SAUVAGE (par exemple les habitants, de nouveaux acteurs sociaux, L'Harmattan, 1992) et de François DUBET (que nous pouvons retrouver dans Annales de la recherche urbaine ou Espace et Sociétés) témoignent de ce phénomène de "boule de neige" qui font apparaître de moins en moins les quartiers comme les objets passifs des entreprises immobilières. 

    Ce mouvement de ré-appropriation - qui conduit à un remise en cause - souvent épisodique, à l'occasion d'un problème concret - des grandes visées planificatrices. M. BASSAND (avec J. P.  FRANGIERE, Le pouvoir dans la ville, essai sur la démocratie urbaine, Vevey, Delta, 1973) en Suisse, M. QUEVIT (Les causes du déclin wallon, Bruxelles, Vie ouvrière, 1978) en Belgique, Jean-pierre WORMS (avec P. GREMION, Institutions régionales et politiques locales, CNRS, 1968)  en France... s'interrogent ainsi sur de nouveaux constituants du pouvoir local.

      Une série de recherches, qui va dans le même sens, surgissent sur la revalorisation de l'habitat ancien (Alain BOURDIN, Le patrimoine réinventé, PUF, 1984), sur la "réinvention de la campagne (M. MARIE et J. VIARD, La campagne inventée, Actes Sud, 1977) ou sur un nouveau sens de l'espace (R. LEDRUT, L'espace en question, Anthropos, 1980). 

       Faut-il voir dans ses multiples voies de recherche l'émergence d'un nouveau paradigme (Jacques MALTCHEFF, R. LEDRUT)? En tout cas, l'espace local devient un déterminant en dehors duquel on ne peut comprendre les conflits urbains. Cet espace local se substitue-t-il comme paradigme de référence au travail professionnel ou constitue-t-il seulement un nouveau pôle, un nouveau lieu central où s'expriment de façon aiguë conflits et coopérations?

 

         Jean-pierre STÉBÉ et Hervé MARCHAL estiment que nous sommes entrés, avec le désengagement de l'État, en France, et les diverses étapes de la décentralisation, dans le mouvement même de ces diverses tentatives de ré-appropriations à différents niveaux, dans une nouvelle gouvernance de la ville.

Alors que depuis le XIIe siècle, en Europe, la ville et l'État nouent des relations compliquées dans la possession et l'exercice du pouvoir politique (nous développerons cet aspect ailleurs), aujourd'hui, après que l'urbanisation se soit faite sous l'autorité centraliste de l'État dans les années 1950 et 1960, en France tout au moins, la délégation de nombreux pouvoirs administratifs aux échelons régional, cantonal et municipal, met la ville en avant de nouveau comme acteur décideur. Les villes ont tendance à nouer entre elles des liens particuliers, culturels, économiques, environnementaux... par-dessus les frontières étatiques. "Les villes sont d'aujourd'hui l'un des lieux où se posent avec le plus d'acuité les enjeux de notre société. Afin d'y répondre, elles ont opéré d'importantes transformations, tant au niveau de leurs institutions que de leurs dispositifs de gouvernement. Elles se dotent de multiples conseils pour mener à bien leurs projets et s'appuient sur des organismes d'études et de prospectives pour justifier leurs orientations."

La multiplication des acteurs représente désormais un élément clé des processus politiques de développement urbain. Si les villes deviennent bien en tant que telles des instances essentielles de la vie des sociétés, il reste qu'elles sont logiquement confrontées aux mêmes difficultés que les autres niveaux de gouvernement (supra-étatique, étatique, régional). D'une part, on y observe une grande différenciation interne qui se traduit par une augmentation des acteurs intervenant effectivement dans la vie urbaine et plus particulièrement dans les processus décisionnels. D'autre part, les responsables politiques des villes sont face à la nécessité de développer des liens et des convergences avec d'autres villes, bien souvent au-delà des frontières régionales et nationales. Au niveau européen, par exemple, les municipalités des grandes agglomérations doivent s'organiser en vue de demander des soutiens financiers soit à l'État, soit à l'Union Européenne, et ce afin d'être en mesure de répondre aux enjeux de la compétition économique et de promouvoir une image positive de leur ville dans l'espoir de la rendre effective."

      Si l'expression de gouvernance des villes se généralise, elle ne désigne pas pour l'instant quelque chose de très précis et constitue encore plus un enjeu de pouvoirs qu'une réalité admise par tous les acteurs. "Sur un plan empirique, il est possible de distinguer deux façons de faire concrètement de la gouvernance, en Europe tout au moins.

La première se décline sur un mode entrepreneurial (hérité des États-Etats, mais aussi dirions nous d'un certain libéralisme économique) où il est alors question de privilégier le développement économique, comme on l'observe dans certaines villes britanniques. Ceci étant dit, certains observateurs de la vie urbaine n'hésitent pas à affirmer qu'en fait de nombreuses villes s'engagent peu ou prou dans cette voie depuis qu'elles sont sorties d'une administration par secteurs (logement, transports, éducation, déchets ménagers...) pour s'engager dans des logiques explicitement concurrentielles et stratégiques." Voir les études de Jean HAENTJENS par exemple (Le pouvoir des villes ou l'art de rendre désirable le développement durable, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2008).

"La seconde façon de décliner concrètement la gouvernance vise davantage à concilier développement économique et maintien de la cohésion sociale. Des villes tentent en effet de résister aux pressions du marché en préservant une qualité de vie sur leur territoire, en produisant des lieux chargés d'identité, mais aussi en mettant en oeuvre des politiques urbaines de lutte contre l'exclusion, contre la formation de ghettos urbains. Que ce soit en France, à l'instar de Lille, durement touchée par la crise industrielle, en Allemagne (Hambourg) ou en Espagne (Barcelone) entre autres, ce mode de gouvernance cherche à conjuguer performances économiques, valorisation du patrimoine et protection des défavorisés." Voir les études de David MANGUIN par exemple (La ville franchisée, Editions de la Villette, 2004).

         Les urbanistes et les architectes, confrontés aux évolutions du milieu, réagissent encore avec le même décalage qu'entre eux et la grande majorité des sociologues dans les années 1960. Ils sont certes de plus en plus contraints de tenir compte de la pluralité des désirs des citadins, mais la majorité des formations des urbanistes gardent une préférence pour les conceptions datant des premières planifications urbaines. Car le métier d'architecte ou d'urbaniste reste très morcelé, avec une très forte hétérogénéité de statuts et de cadre d'emplois (public, privé, grands projets, petits aménagements) et faute d'un ensemble de pratiques communes, en l'absence de cadres de référence commun (technique, économique, idéologique...), les architectes comme les urbanistes sont en quelque sorte emportés par l'habitude de penser l'urbain de la même manière que l'État planificateur des années 1950. (Voir l'article sur Types d'urbanisation en conflit).

Toutefois, l'image négative maintenant très répandue de la ville-béton, la prise de conscience de l'effroyable impossibilité de la gestion d'ensembles urbains gigantesques, la perception de plus en plus concrète de problèmes environnementaux découlant directement des conceptions urbaines sur tous les continents, amènent une prise de conscience qui met longtemps à se traduire dans les faits, parce qu'il ne s'agit pas seulement de conception de technique d'architecture mais aussi d'intérêts économiques puissants attachés au modèle urbain maintenant répandu partout. "L'étalement urbain, l'augmentation des déplacements motorisés, la diffusion de l'habitat précaire dépourvu d'infrastructures sanitaires... affectent négativement l'environnement au point que le défi majeur des architectes et des urbanistes est de penser la ville future dans le cadre du développement durable."

 

        C'est ce même mouvement de ré-appropriation au niveau local et de la mise en place conflictuelle d'une gouvernance qu'analyse Yankel FIJALKOW.

"Parmi les variables permettant de comprendre l'autonomie relative de certains acteurs, la notion d'échelle s'est révélée particulièrement adaptée. Elle montre l'existence d'un pouvoir politique local qui gère à l'échelle d'un territoire ses propres contradictions. En France, notamment dans son étude de 1976 (le pouvoir périphérique, Seuil), Pierre GRÉMION "a montré le détournement du modèle centralisé et l'existence d'un pouvoir périphérique local, consistant en une connivence entre les services territoriaux de l'État et les élus locaux. Ainsi par exemple, ces derniers utilisaient les relais territoriaux de l'État pour faire pression sur celui-ci, alors que le préfet les employait comme informateurs locaux. Ce constat de l'existence d'un système local a été confirmé au cours des années 1980 grâce à la décentralisation. Les municipalités, dotées d'une autonomie nouvelle, se sont trouvées en position d'acteurs et non de simples agents exécutants les décisions de l'État central. Ce changement a renforcé des notabilités déjà bien établies localement. Néanmoins, le gouvernement local s'institutionnalise et est reconnu inégalement par les États centraux d'autres pays : dès 1807 en Prusse, en 1837 en Norvège et en Belgique, 1930 en Espagne. D'autre part, l'émergence de nouveaux espaces politiques, comme l'Europe, amène les municipalités et les régions à faire face à de nouvelles règles et normes. (...) Les réformes du gouvernement des villes liées aux relations entre les usagers, l'administration et le politique sont d'autant plus diverses qu'elles s'inscrivent dans des traditions nationales différentes. En définitive, l'hypothèse d'un système politico-administratif compartimenté et hiérarchisé correspond de moins en moins à la réalité. Certains chercheurs constatent que l'administration française est beaucoup moins bureaucratique, rigide et impersonnelle qu'on ne le suppose généralement. Le type pur de la domination bureaucratique décrite par Max WEBER (Economie et société, 1920) est infléchi : des ajustements négociés, des adaptations se révèlent possibles à l'égard des administrés."

       Le thème de la "gouvernance" qui s'est largement diffusé dans les années 1990 situe bien une certaine réalité, mais celle-évolue (rien n'est irréversible en la matière) et l'état actuel des villes est soumis au jeu conflictuel d'un certain nombre de forces politiques, à plusieurs niveaux : Ville-Région-État-Europe. Si la fragmentation du gouvernement et des services urbains, poussée aussi par des politiques économiques d'inspiration libérale, voire néo-libérale, déplace le pivot du pouvoir politique vers le local, il n'est pas assuré pour autant que ce mouvement aille directement dans le sens de nombreuses aspirations de citoyens ou de groupes de citoyens actif à la ré-appropriation de leur habitat. "Le thème de la participation, écrit encore Yankel FIJALKOW, fait aujourd'hui partie des objectifs affichés par de nombreux gouvernements urbains. Dans les pays du tiers-monde, l'objectif est, selon le mot de Didier FASSIN ("Politique des corps et gouvernement des villes" dans Les figures urbaines de la santé publique. Enquête sur les expériences locales, La Découverte, 1998), de "faire participer". En France, le développement des conseils de quartier et la politique de la ville participent d'une volonté affichée depuis plus de vingt ans de donner la parole aux habitants. Néanmoins, le bilan est mitigé, selon un rapport ministériel (M. SUEUR, Demain la ville, La Documentation Française, 1998). Pour comprendre comment et pourquoi le bilan diffère des intentions, nous devons nous demander comment est né ce besoin de participation, que veut dire participer, qui participe, quels sont les enjeux de la participation. Cette démarche nécessite de prendre ses distances avec un vocabulaire technico-poétique, peu ou prou emprunté aux sciences sociales : "collectif de réponses", "lien social", "apprentissages croisés", "chaînes de coopération", "coentreprise", "espace" - ou territoire - de projet". "

   Il existe de très grandes différences entre participation réelle des habitants, consultation de ceux-ci et concertation avec ceux-ci. En dehors de luttes locales à propos de projets d'aménagements, qui possèdent surtout un caractère défensif, peu d'expériences d'effectives de participations significatives à l'élaboration d'un projet urbain et à sa réalisation existent. 

 

Yankel KIJALKOW, Sociologie des villes, La Découverte, Collection Repères, 2009. Jean-Marc STÉBÉ et Hervé MARCHAL, Sociologie urbaine, Armand colin, collection Cursus, 2010. Jean REMY et Liliane VOYE, Sociologie urbaine, dans Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

 

SOCIUS

 

Relu le 6 mai 2020

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LE CONFLIT
  • : Approches du conflit : philosophie, religion, psychologie, sociologie, arts, défense, anthropologie, économie, politique, sciences politiques, sciences naturelles, géopolitique, droit, biologie
  • Contact

Recherche

Liens