Deux manières peuvent coexister dans une présentation du fonctionnement du capitalisme : une présentation qui met l'accent uniquement sur les mécanismes strictement économiques d'éléments qui fonctionneraient suivant des lois quasiment naturelles, en roue libre, automatiquement et une présentation qui met l'accent sur les acteurs du système économique, qui refuse cette désincarnation un peu trop favorable, du reste, à une partie seulement des acteurs en question.
Personne ne présente plus le capitalisme - à part quelques économistes perdus dans les calculs et graphiques - comme un système uniquement économique, mais il existe encore de façon dominante, dans la presse comme dans l'enseignement de présenter le capitalisme comme un ensemble de rouages, comme une méga-machine, ce qu'il n'est qu'en partie.
François PERROUX donne une présentation positive du fonctionnement du capitalisme dont on peut faire le départ d'une discussion.
"La vie des hommes en société n'apparaît à l'observateur scientifique ni comme un pur conflit ou concours de libertés, ni comme un pur agencement d'automatismes et de mécanismes. le tort de nombreux interprètes de la vie économique a été de la concevoir soit tissée de choix libres et de contrats délibérément conclus, soit constitués par des ajustements mécaniques de quantités individuelles ou globales. Le fonctionnement d'un système économique réel et dynamique dépend à la fois de liaisons automatiques ou quasi automatiques et des libres choix, d'actes créateurs dont les conséquences sont largement imprévisibles pour les parties directement impliquées et imparfaitement prévisibles pour le tiers observateur qui enregistre les mouvements de masses. L'une des forces les plus certaines du régime capitaliste est de faire, en vue du rendement économique, sa part à chacun de ces aspects et à chacune de ces chances de la vie sociale. Le marché est issu de décisions et de choix, émanant des individus et des unités élémentaires : firmes et ménages. La rencontre des décisions et choix de tous formule une loi impérative pour chacun. Le prix de concurrence auquel nul n'échappe n'est l'oeuvre particulière de personne. Mais ce régime résiste par sa structure même à l'ossification et à la sclérose. La nouveauté y pénètre, non sans à-coups et fluctuations mais par des modifications susceptibles d'être amorties et absorbées avec un bénéfice net. Si tout va bien, l'inégalité est tenue dans les limites qui la rendent supportable ; la domination est précaire et transitoire."
Le fonctionnement du capitalisme s'inscrit dans des calculs des différents acteurs (rencontre entre désirs et pouvoir d'achat des individus et offre de marchandises et de services) calculs qui induisent un quasi-automatisme du marché, globalement, dans un modèle d'équilibre dynamique qui, en définitive sous l'influence d'un certain nombre de facteurs, est toujours instable. Parmi ces facteurs figurent les inadéquations entre emploi des ressources et attentes des consommateurs, dans l'espace, mais aussi surtout dans le temps. Ajustements et désajustements constituent la trame du fonctionnement normal du système, car le capitalisme "tire son dynamisme de la conjugaison d'innovation et des faits de domination." Ce dynamisme "repose, dans ses secteurs les plus caractéristiques, plus encore que sur le calcul, sur le pari". Que les marchandises et les services offerts trouveront preneurs et seront acquis à des prix adéquats. Les innovations en question peuvent être techniques (invention technique matérielle) ou purement monétaires. "Pour que le capitalisme soit largement accepté et pour que les principes de son fonctionnement déroulent sans a-coups insupportables leurs conséquences, il faut donc que le produit global soit assez élevé pour que les inégalités dans la répartition des richesses et des revenus aient au moins quelque apparence d'utilité et d'efficacité économiques. On en dira pas plus. Nul, en effet, n'a encore trouvé le secret de mesurer économiquement et statistiquement l'inégalité in-éliminable pour un niveau de produit donné ou l'inégalité la plus propre à porter au maximum le produit. (En plus, précisions-le, le produit prend un certain temps à naître et ne rencontre pas forcément son objectif.). Il est certain qu'aucun système économique ne peut maintenir et élever la productivité en organisant l'égalité des rémunérations, en contrepartie de l'inégalité des prestations et des capacités.
Le marché, en régime de concurrence praticable, maintient un certain (et François PERROUX souligne ce certain) contact entre les prestations productives et leurs rémunérations ; le régime de l'entreprise, par la liberté même qu'il octroie à l'entrepreneur ou à ses représentants, permet de rémunérer exceptionnellement les prestations exceptionnelles. de fortes présomptions militent donc en faveur de l'efficacité économique des inégalités présentes dans le système capitaliste. Encore faut-il que le produit global de ce système soit assez élevé pour que ses fluctuations soient supportables. Si elles sont très accusées, et surtout, si les dépressions se prolongent, accompagnées d'un chômage massif, il n'est pas de puissance au monde qui puisse protéger la foi dans les vertus de l'économie de marché et dans l'entreprise. Les oscillations sur un trend progressif sont acceptées, les oscillations dans la pénurie et la misère semblent à tous inutiles. (...)".
Dans le petit ouvrage du même nom (le capitalisme), dans la même maison d'édition, Claude JESSUA adopte une toute autre présentation du fonctionnement du capitalisme. Pas de mention d'un progrès qui s'approche de l'intérêt général, et un dernier chapitre traite comme si ce système économique devait être défendu, des "ennemis du capitalisme", qui argumente sur le fait qu'il n'y a pas véritablement de crise du capitalisme, mais une crise, succédant à bien d'autres, dans le capitalisme. C'est bien le point de vue des capitaines de l'économie sur l'évolution du capitalisme qui est décrit. il met l'accent sur le fait majeur de la révolution industrielle, sans lequel nous ne pouvons pas comprendre ce système économique : "Nous devons (...) prendre en compte le fait que la nature même des mouvements économiques généraux, ainsi que les rythmes qui en scandent le déroulement se sont profondément modifiés. Avant la révolution industrielle, les nations européennes étaient essentiellement agricoles ; c'étaient donc les temps et contretemps de la production agricole qui marquaient la conjoncture. Désarmais, ce sont les mouvements de l'industrie et du crédit qui vont gouverner les rythmes de l'activité économique. Retenons en tout cas de l'esquisse historique qui précède (dans son ouvrage) que la naissance et le développement du capitalisme n'ont été possible que grâce à l'ouverture des régions et des nations (le fameux désenclavement du monde décrit entre autres par Fernand BRAUDEL) les uns aux autres, à l'émancipation des producteurs à l'égard des pouvoirs locaux, à l'émancipation des esprits à l'égard des Églises, à la substitution des opérations en monnaie aux opérations en nature."
Le professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) indique que les rythmes de l'activité économique engendrent un contraste entre périodes dans lesquels le fonctionnement du capitalisme s'avère très différent d'une période à l'autre. Il n'est pas possible de décrire un fonctionnement uniforme qui soit entièrement valide du capitalisme des cinq phases distinctes qu'il expose, à la suite d'Angus MADDISON. Ces cinq phases distinctes comportent des traits spécifiques saillants :
- La première phase (1820-1870) correspond à l'industrialisation progressive, à la combinaison entre la révolution industrielle et la libéralisation des échanges extérieurs de chacun des zones considérées ;
- La deuxième (1870-1913), relativement calme, coïncide avec une grande prospérité et correspond à la diffusion planétaire des progrès techniques, à la grande mobilité des facteurs de production (les capitaux comme les hommes) et au progrès des communications et des transports. C'est un régime libéral qui prévaut dans la plupart des pays, en ce sens que les lois du libre échange continuent d'être appliquées, que les pays ont adopté l'étalon-or avec un régime de changes fixes. Les gouvernements n'interviennent pas ou peu dans les économies, les dépenses publiques restent réduites, l'État se contente d'exercer ses attributions régaliennes du maintien de l'ordre, de la défense et de l'instruction publique ;
- La troisième phase (1913-1950), tragique, est marquée par deux guerres mondiales et une crise majeure. Le libre-échange est remplacé par le protectionnisme, l'économie libérale, par l'économie de guerre, puis par l'économie dirigée. La guerre de 1939-1945 provoque non seulement un nombre énorme de victimes et de destructions matérielles massives, mais aussi une redistribution des cartes économiques amorcée après la première guerre mondiale. Cette redistribution des richesses et de la puissance économique s'effectue en faveur des États-Unis, au territoire épargné, qui avaient mis dans la bataille toutes les ressources de leurs appareils productifs et de leurs capacités d'innovation technique, tandis que les nations européennes étaient sorties très appauvries de ces deux conflagrations ;
- La quatrième phase (1950-1973), qui correspond à peu près aux "Trente glorieuses" décrites par Jean FOURASTIÉ, est une phase de rattrapage, pour les pays occidentaux, âge d'or de l'histoire économique. Cette période est dominée par l'élan déclenché par les besoin de la reconstruction, par le début de la guerre froide entre l'Est et l'Ouest et par la solidarité qui en a résulté entre les nations occidentales européennes et les États-Unis, solidarité notamment traduite par le plan Marschall et par la volonté des gouvernements américains successifs d'assumer des responsabilités mondiales, y compris dans le domaine économique. Pendant toute cette phase, les États-Unis servent constamment de modèle, aussi bien en matière d'investissements et de progrès techniques qu'en matière de méthodes de gestion et de politique économique. D'autre part, la période en question voit s'instaurer les politiques de protection sociale (l'État-providence) et des politiques de la demande globale d'inspiration keynésienne. Se mettent en place des "stabilisateurs automatiques" et des politiques de stabilisation conjoncturelle, au point que la notion de cycle semble devenir obsolète, les taux de croissance étant toujours positifs. S'amorce un grand mouvement d'ouverture des frontières économiques entre les pays, mouvement caractérisé par l'abandon progressif de pratiques telles que le contrôle des changes, s'affirme la tendance à la convertibilité générale des monnaies dans les pays occidentaux et en Extrême Orient, débuts vers la mondialisation de l'économie ;
- La cinquième phase (1973-1994), commencée par deux chocs pétroliers, se caractérise par un changement brutal du régime de croissance, engendrant une forte poussée de chômage et d'inflation. Une nouvelle politique conjoncturelle se met en place : abandon des politiques keynésiennes de relance, prélude à la politique d'unification monétaire européenne.
Au lieu d'envisager une sixième phase, non achevée, l'auteur se tourne alors, pour expliquer cette succession de phase, vers les hypothèses de KONDRATIEFF et de SCHUMPETER de cycles longs. Ces cycles longs, de quarante ans environ, correspondent à des innovations majeures :
- Premier cycle : 1785-1845, première révolution industrielle, marquée par l'énergie hydraulique, l'industrie textile et l'industrie du fer ;
- Deuxième cycle : 1845-1900, industrie de la vapeur, chemin de fer et acier ;
- Troisième cycle : 1900-1950, électricité, industrie chimique et moteur à combustion interne ;
- Quatrième cycle : 1950-1990, industrie pétrolière, électronique et aviation ;
- Cinquième cycle débutant en 1990, réseaux numériques, logiciels et nouveaux médias, qui pourrait se terminer aux environs de 2020...
L'auteur reprend une explication de l'accélération de l'histoire s'expliquant de trois manières : d'abord par une sorte d'effet d'apprentissage, les entreprises et même les consommateurs sont plus à l'affût des nouveautés et plus promptes à les adopter, ensuite parce les innovations les plus marquantes, celle du cinquième cycle, ont tendance à se développer de façon exponentielle, touchant toutes les branches de l'économie et engendrant un abaissement des coûts unitaires par économies d'échelle (effets de réseaux), et enfin par le fait que ces innovations, en raison de leur caractère largement immatériel (mais l'auteur néglige peut-être les dépenses nécessaires d'énergie...), se prêtent facilement aux forces de la concurrence, désormais mondiale.
Ces innovations, décrites par SCHUMPETER dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942) s'accompagnent d'une massive "destruction créatrice", sorte de tempête économique qui entraîne la disparition brutale de centaines de milliers d'emplois, tout en provoquant la création d'emplois nouveaux en nombre égal ou supérieur. Cela ne peut se faire que si l'économie a un haut degré de flexibilité, donc une capacité d'adaptation rapide, et que si les conditions de la concurrence y sont respectées. Et ceci dans une ouverture globale des économies, permise par le rôle croissant des marchés financiers. "Désormais, résume Claude JESSUA, en effet, c'est de plus en plus par un appel aux marchés (par augmentation de capital ou par émission d'obligations) que les grandes firmes se procurent les fonds dont elles ont besoin pour financer leurs investissements. Or, les marchés financiers sont interconnectés et ils ont la particularité d'être beaucoup plus instables que les marchés des biens et services. Ce sont en effet des marchés d'opinion : ils dépendent des prévisions des opérateurs sur l'évolution des valeurs négociées, prévisions qui ont nécessairement une fragilité intrinsèque. Les engagements et les dégagements des opérateurs sur telle ou telle valeur se font instantanément, à la différence des opérations industrielles, qui prennent du temps et qui présentent, une fois réalisées, un certain caractère d'irréversibilité, et donc d'inertie. Les transactions sur ces marchés sont affectées par le comportement moutonnier des opérateurs, comportement qui expliquent la formation de bulles financières ainsi d'ailleurs que les dégonflements. Les économies de marché acquièrent pour ces raisons une volatilité marquée : elles connaissent des fluctuations rapides, amplifiées par l'interdépendance internationale des économies. (...)".
Même si, tout au long de l'histoire du capitalisme et s'il existe en définitive plusieurs types de capitalisme, ce qui le caractérise réside dans plusieurs éléments :
- Dans la circulation des biens économiques (ou même de services) en vue de leur consommation ou de leur utilisation pour produire d'autres marchandises, l'intermédiaire-argent joue un rôle de premier plan. Il ne s'agit ni d'un échange de marchandise à marchandise (économie de troc pur et simple) ni d'échange pur (il y a au moins un référent de marchandise même si celui-ci est presque oublié, comme dans certaines variantes de capitalisme financier) entre monnaies ;
- Il existe une dissociation plus ou moins complète entre le capitaine de l'entreprise, le capitaliste et les travailleurs qui produisent les marchandises ou les services. Dissociation qui se traduit par un partage des rôles : au travailleur un salaire calculé par le propriétaire ou le gestionnaire de l'entreprise, au capitaine de l'entreprise la direction de toutes les opérations. Ceci peut paraître moins clair dans le cas de l'artisanat, cela l'est complètement dans le cas d'une grande entreprise. Il existe une hiérarchie et selon la variante de capitalisme dont il s'agit, cette hiérarchie et plus ou moins stricte, en terme de répartition de pouvoirs comme en termes de travail ou de type de travail effectif ;
- Même dans un système où le travailleur-salarié fait presque office d'esclave, ce dernier est considéré comme précieux, au moins tout le long d'un processus conçu comme continu (même si ce continu est bref), - il faut au moins renouveler sa force de travail - et possède toujours la capacité de discuter et de défendre, et d'améliorer son statut, soit en progressant lui-même dans la hiérarchie de l'entreprise, soit dans une action collective entre travailleurs ;
- La lutte économique la plus visible, la plus commentée, la plus codifiée a lieu entre capitaines d'entreprise, dans un système de concurrence évolutif, au gré des innovations et des événements strictement politiques. A un point que beaucoup d'économistes considèrent les combats livrés entre entreprises d'une même branche et entre différentes branches comme les seuls combats qui comptent réellement dans l'évolution du capitalisme ; les combats internes aux entreprises étant des éléments parasites de ces luttes économiques. De plus, les entreprises qui ne veulent pas obéir aux règles générales du capitalisme (par exemple frein dans la recherche du meilleur profit, ou à l'inverse recherche de profit sans contrepartie - piratages ou banditismes) sont combattues farouchement avec l'aide des systèmes politiques capables d'actionner la violence ou des systèmes judiciaires capables de les déclarer hors-la-loi. Le capitalisme agit comme un système nécrophage à l'égard de tout autre système, dont il amalgame et réagence les forces (d'ailleurs c'est sa préférence), à défaut de les détruire.
Le capitalisme possède en commun avec un certain nombreux d'autres systèmes économiques, et surtout si celui-ci est étendu dans le temps et dans l'espace, de garder opaque, aux yeux des dirigeants comme aux yeux des subordonnés, son véritable fonctionnement. De fait, dans l'évolution du capitalisme, le système évolue dans des formes de plus en plus complexes, jusqu'au capitalisme financier où même un trader, noyé dans ses calculs quotidiens, ne perçoit même pas son fonctionnement global.
Si l'analyse marxiste est si combattue par les acteurs principaux du capitalisme, c'est parce qu'à la fois elle lève une certaine opacité et qu'au lieu de proposer des instruments économiques pour le perfectionner, elle cherche tout simplement à le faire remplacer par un autre système, même si celui-ci - avec pour nom le communisme - n'est pas défini réellement dans ses contours. Les défenseurs du capitalisme - surtout parmi les économistes libéraux (nous pensons surtout ici à Raymond BARRE, un temps qualifié de meilleur économiste de France) - font parfois preuve d'un certain humour en déclarant qu'après avoir lu Le Capital, il n'y ont pas trouvé des instruments économiques.... Pourquoi pas, à ce compte, y chercher des instruments comptables! L'analyse marxiste met l'accent sur les rapports sociaux de production, donc sur les conflits à la fois entre capitalistes et à l'intérieur même du processus de production, entre propriétaires/gestionnaires des moyens de production et utilisateurs/travailleurs de ces moyens, entre patrons et salariés, entre dirigeants et ouvriers/employés...
A l'inverse, l'analyse libérale met l'accent sur les automaticités du fonctionnement de l'économie, comme si ce fonctionnement dépendait bien plus des structures que des hommes. Elle met l'accent sur la concurrence entre entreprises et sur les habilités des entreprises à "jouer" avec les mécanismes du marché. Elle considère les interventions publiques comme autant de parasites dans ce fonctionnement.
Loin de se résumer à un face à face entre économistes libéraux et économistes marxistes, beaucoup d'économistes, qualifiés d'hétérodoxes, combinent les deux manières de voir, ou plutôt souvent les contournent en mettant en avant des fondements sociologiques du fonctionnement du capitalisme. C'est d'ailleurs de ces économistes hétérodoxes que nous vient une vision sans doute plus réaliste et plus globale du fonctionnement de l'économie. Il faut dire que beaucoup d'entre eux s'inspirent bien plus du marxisme que du libéralisme, (Joseph SCHUMPETER étant là une figure emblématique)...
Plus fondamentalement, la divergence entre les analyses marxistes et les analyses libérales du capitalisme, outre le fait bien évidemment que les acteurs alors qui discutent de l'économie (ou s'y positionnent) ne sont pas du tout les mêmes, est que les premiers s'attachent à démontrer ses contradictions profondes et les moyens qu'il utilise pour les surmonter et rebondir dans de nouveaux dynamismes, et les impasses (obligatoires pour les premiers marxistes qui voient dans ces contradictions les éléments du dépérissement du capitalisme) qu'il peut rencontrer alors que les seconds veulent montrer que, même à travers (et parfois grâce à) ses crises les plus profondes, ses dynamismes toujours présents, aucun système ne semble pouvoir le remplacer dans son efficacité productive de progrès de tout ordre. Longtemps, le problème de la détermination de la valeur oppose les deux manières d'analyser le capitalisme, mais aujourd'hui cette question est plutôt seconde (mais pas secondaire) par rapport aux conséquences du fonctionnement du capitalisme, que celui-ci perdure ou dépérisse. Ces conséquences amènent d'ailleurs une revitalisation des approches marxistes sans que la question de l'alternative (un système alternatif au capitalisme) soit résolue pour autant : le socialisme reste encore à inventer et cela, très largement...
Nous pouvons dégager bien plus de manière de comprendre le capitalisme qu'entre ces deux grandes écoles économiques. Aux descendants des fondateurs du marxisme et aux descendants d'Adam SMITH, s'ajoutent ceux qui s'inspirent des travaux de KEYNES et ceux qui s'inspirent de ceux de SCHUMPETER. A ceux-là peuvent s'ajouter des approches dites néo-libérales comme celles de Friedrich HAYEK. Et bien entendu, des lectures très différentes des ouvrages fondateurs peuvent engendrer de nouvelles approches, que les étiquettes ne parviennent pas toujours à bien caractériser.
Tous tournent autour de la relation dynamique entre les marchandises/services et la monnaie, les uns mettant l'accent sur les transformations de la monnaie (KEYNES, HAYEK), les autres recherchant les fondements de la circulation des marchandises (MARX, SMITH...).
Saisissant l'économie par un angle ou par un autre, chaque "école" tend à donner à différents acteurs le rôle prépondérant dans la création de valeur. En ricochet, les visions des uns et des autres influent sur les pratiques des différents acteurs, y compris des États, tant et si bien que le fonctionnement de l'économie capitaliste constitue un ensemble complexe de relations sociales diversifiées dans le temps et dans l'espace. Le capitalisme du XXe siècle ne ressemble pas à celui du XIXe siècle et celui du XXIe s'annonce lui aussi très différent, le seul dénominateur commun étant la recherche (privée) des moyens les plus efficaces d'augmenter les profits des entreprises (et des types d'entreprises là encore tout différents). Cette recherche du profit a des effets bien différents selon que l'on a affaire au capitalisme marchand, au capitalisme industriel ou au capitalisme financier qui mettent tour à tour en dominance des entreprises bien différentes...
C'est sur le plan des conséquences sociales globales de son fonctionnement que le capitalisme semble pourtant imposer sa marque : chômage massif et inflation galopante sont des éléments qui se retrouvent tout au long de l'histoire du capitalisme, ce qui amène la grande majorité des économistes à vouloir soit le réformer, soit le remplacer par un autre système... Sur le long terme, nous pouvons poser la question au coeur de sa légitimité : la création de richesses, constat dramatique aujourd'hui avec les modifications climatiques... Même sans cette perspective, les différentes analyses du capitalisme mettent bien en évidence - même chez les économistes libéraux - au minimum de "grands défauts" qui amènent à changer de beaucoup sa nature même. C'est pourquoi il semble que le capitalisme évolue entre la prépondérance des acteurs privées et celle des États, jusqu'à faire discuter d'un capitalisme d'État.
Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM, Comprendre les théories économiques, Seuil, 2001. François PERROUX, Le capitalisme, PUF, collection Que sais-je?, 1969. Claude JESSUA, Le capitalisme, PUF, collection Que sais-je?, 2011.
ECONOMIUS
Relu le 11 septembre 2020