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5 janvier 2010 2 05 /01 /janvier /2010 14:35
               Tant en droit qu'en fait, citoyenneté, souveraineté et propriété sont liés. Entre eux existent une dynamique qui va d'ailleurs de pair avec l'affirmation de l'individualisme dans les Temps Modernes, qui est aussi une dynamique de justification idéologique d'un certain type d'ordre social. A contrario, la critique de cet ordre social touche aussi les conditions d'instauration de la citoyenneté et de la souveraineté comme d'une forme précise de propriété (et cela jusqu'à dans son principe même).

            Marie-France RENOUX-ZAGAME replace la notion de Propriété dans l'évolution du fondement de la puissance publique. Deux modèles d'articulation de la propriété et de la souveraineté s'opposent : pour un courant de pensée, "les propriétés détenues par les individus doit être considérés comme des réalités premières, antérieures à la constitution d'un Etat qui n'est mis en place que pour protéger des droits dont il est par définition exclu, pour d'autres courants (...), c'est au contraire la formation de l'Etat qui seule permet la constitution des propriétés, en sorte que les droits détenus par les individus sur leurs biens ne sont que la mise en oeuvre d'un droit originellement détenu par la collectivité." Ces deux positions s'enracinent de manière différentes dans les traditions de pensées antérieures. "La solution qui place l'Etat au fondement des propriétés semble en effet perpétuer les règles de l'ancien ordre politique et juridique, tout autant que les principes théoriques, pour l'essentiel forgés par la pensée scolastique qui les étayaient ; celle qui fait naitre l'Etat à partir des propriétés parait au contraire les inverser. Etat propriétaire  ou Etat des propriétaires, rejet ou reprise de la tradition scolastique (...)". Pour la professeur de l'Université de Rouen, il existe une opposition radicale entre pensée scolastique et pensée moderne. Elle pense que c'est surtout dans les premières décennies du XVIIème siècle que s'effectue cette rupture d'avec les pensées anciennes. Jusqu'à cette période, "ce qui structure cette conception (scolastique), des liens entre pouvoir sur les hommes et pouvoir sur les choses, c'est l'idée, diffusée d'abord par les théologiens, reprise ensuite par les penseurs politiques et par les juristes, d'une identité originaire, identité qui tient à ce qu'ils viennent d'une même source, qu'ils remplissent des fonctions sinon semblables du moins parallèles, et que s'ils visent des fins différentes, elles sont liées entre elles parce que subordonnées les uns aux autres." 
L'origine commune, du pouvoir sur les choses et sur les hommes, c'est Dieu, mais les scolastiques, toujours selon Marie-France RENOUX-ZAGAME, ont préparé la réflexion des Modernes en se divisant sur la manière dont s'opère la transmission de ce pouvoir aux hommes. "Pour certains, c'est un pouvoir sur les choses qui a été conféré, et il l'a été, à travers Adam (les références sont toujours bibliques), à tous ceux qui devaient naitre de lui, en sorte qu'il appartient, de par la volonté divine elle-même, soit à chacun des hommes, soit à la totalité que tous ensemble ils forment. Pour d'autres, c'est un pouvoir général, portant à la fois sur les hommes et sur les choses, que Dieu a voulu conférer, d'abord à Adam, puis, par son entremise, aux souverains qui lui succèdent dans sa fonction  de "caput humanitatis", et c'est donc par l'entremise des souverains que le pouvoir sur les choses et passe ensuite aux membres de la communauté politique."
           Selon les principes de l'ordre de nature, souveraineté et propriété tendent à s'identifier, dans un ordre de domination conforme à l'ordre de Dieu. Ce modèle général fonde bien entendu l'ordre féodal lui-même. Au fur et à mesure que cet ordre est combattu par certains bénéficiaires (les féodaux les plus puissants) de cet ordre, il se transforme et du coup se libèrent d'autres réflexions sur les liens entre souveraineté et propriété.

            A travers les réflexions d'AUGUSTIN d'Hippone (354-430), des docteurs de droit romain, de John LOCKE (1632-1704) et de son adversaire  Robert FILMER (1588-1653), de Samuel Von PUFENDORF (1623-1654), de Thomas HOBBES (1588-1679), d'Hugo GROTIUS (1583-1645), de Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778),  puis de  Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865) et de Karl MARX (1818-1883) et de Nicolas POLITIS (1872-1942), entre autres, de multiples conceptions sur la nature de la propriété s'opposent et s'influencent.
Toutefois, les interprétations des différents constituants de la Révolution Française de 1789 marquent des points décisifs. La possibilité d'instituer et de garantir les propriétés privées obligent selon Marie-France RENOUX-ZAGAME, les Modernes à des choix décisifs. "Ou bien ils se laissent guider par le principe d'une nécessaire intervention de la collectivité, et trouvent dans un pacte originaire le fondement des propriétés, mais il leur est ensuite souvent difficile d'assurer aux droits particuliers ainsi fondés une véritable indépendance en face de l'Etat, soit parce qu'ils restent soumis aux décisions majoritaires de la collectivité, soit parce qu'ils sont conçus comme de simples concessions d'un domaine collectif originaire toujours subsistant. Ou bien ils maintiennent l'équation propriété-liberté individuelle, et s'efforcent de cantonner l'Etat dans une simple mission de surveillance et de régulation de la société des propriétaires."
Il n'est pas certain que l'évolution du droit depuis la codification de 1804 en France par exemple clarifie beaucoup les choses sur ces relations complexes et porteuses de conflits entre propriété et souveraineté. Les récents débats sur la société libérale ne font que relancer les interrogations sur les parts respectives de la sphère publique et de la sphère privée.

         Nous sommes frappés par la constance de la référence à une théorie de l'esclavage qui date d'ARSTOTE dans les différents ouvrages qui traitent de la question de la propriété, dans un sens souvent qui ne critique pas d'ailleurs l'esclavage (comme faisant partie de l'ordre naturel) en tant qu'institution et tradition (Christian DELACAMPAGNE).
C'est tout-à-fait logique dans la mesure où le pouvoir sur les choses et le pouvoir sur les hommes (dont certains sont assimilés - de notre point de vue contemporain - à des choses) restent confondus dans l'exercice politique. Le pouvoir sur les choses et sur les hommes ont ceci d'ailleurs en commun : leur acquisition dans le phénomène-guerre pris dans son ensemble. Il faut vraiment attendre le développement de techniques ne faisant plus appel directement à l'énergie humaine et s'y substituant avec avantage pour voir dépérir l'esclavage jusqu'à le rendre marginal dans le fonctionnement des sociétés. Cette évolution correspond également au progrès de l'individualisme, en tant que prise de conscience de la personne d'être également autre chose qu'une partie de la communauté dont il est issu.

     Colette CAPITAN, sociologue et historienne française, montre que le droit de citoyenneté, acquis révolutionnaire de la fin du siècle des Lumières, n'est pas un fait général, mais bien celui de sociétés où les relations entre souveraineté et propriété deviennent de plus en plus détachées de références qui lient absolument l'individu à, littéralement, un autre corps. "Historiquement lié à la genèse du fait national, il ne s'y réduit pas. Pour les ténors du droit naturel (LOCKE, ROUSSEAU), l'exercice des droits politiques parachève le droit à la liberté et à la propriété de soi-même, il consacre la victoire de l'émancipation individuelle et collective sur l'arbitraire du souverain. Réserver ou interdire, l'exercice du droit de citoyenneté revient à prenniser le droit "féodal" qui confond droit de souveraineté et droit d'appropriation sur les personnes et les biens" écrit-elle dans le résumé de son essai.

         Colette CAPITAN, Propriété privée et individu-sujet-de-droits, La genèse historique de la notion de souveraineté, http://lhomme.revues.org/document4.html ; Christian DELACAMPAGNE, Histoire de l'esclavage, De l'Antiquité à nos jours, Le Livre de Poche, 2003 ; Marie-France RENOUX-ZAGAME, Article Propriété dans Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 1996.

                                                                            JURIDICUS

              
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