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20 février 2012 1 20 /02 /février /2012 09:23

         La régularité avec laquelle se forment et se détruisent les empires, vastes ensembles de populations plus ou moins homogènes sur de grandes étendues de territoires sous l'autorité d'un centre politique, économique, voire religieux, amène à se poser la question de l'existence ou non d'une sorte de code conquérant.

Ce code, ensemble d'actions à entreprendre, dans un cadre géographique ou/et géopolitique, de pertinence plus ou moins générale, porté à la connaissance d'une élite qui possède la capacité de rassembler des hommes en vue d'un objectif commun et permanent, est l'objet d'une réflexion en sociologie de défense, menée surtout en France par Alain JOXE. Il ne s'agit pas bien entendu de sociologie des armées ou de sociologie de défense répandues dans plusieurs revues spécialisés... On peut regretter seulement que cette réflexion soit restée bien isolée...

L'existence d'un tel code conquérant peut reposer sur la connaissance historique que nous avons sur les événements qui conduisent à la constitution d'empire, sur les éléments indispensables à sa formation, éléments qui peuvent être de plusieurs ordres et doivent la plupart du temps intervenir simultanément. L'histoire du monde nous montre plusieurs grands empires successifs qui se constituent, à partir de bases géographiques récurrentes (conditions de relief, de climat, de stabilité des sols...). Pour que de générations en générations se perpétuent de tels empires, certaines conditions sont nécessaires, pas toujours suffisantes, et la connaissance de ces conditions fait la force des élites au pouvoir.

Le fait général de l'histoire des empires est... qu'il ne durent pas, en tout cas pas sans changer de forme. Témoin un empire romain, qui sous ce nom générique, qui perdure même dans les mentalités très longtemps sous le nom de Saint Empire Romain Germanique (et qui motive bien des diplomaties...), dont les formes changent de manière importance d'un siècle à l'autre tout en conservant ce qui fait l'essentiel de son emprise : la circulation dans des conditions relativement sûres des biens et des populations à l'intérieur de ses frontières (ou de ses limes...), une limitation de l'usage de la violence ouverte, une captation régulière par un même centre politique des richesses, même si les conflits socio-économiques sont extrêmement présents et virulents et même si une très grande partie de la population est soit servile, soit esclave...

 

     Alain JOXE, propose de comprendre les limites de ce code conquérant, en prenant précisément l'empire romain comme exemple-type d'empire (son épaisseur historique, comme les sources d'information, permettent de le faire). "Supposons, écrit-il, que la capacité de mise en ordre d'un conquérant soit limitée au départ par la pertinence (la compétence) du code de pouvoir qu'il a mis en oeuvre dans la partie "interne" de son itinéraire. J'appelle code un compromis stratégique entre classes sociales, intervenant à l'issue d'une série d'opérations pragmatiques (conflits et négociations), et créant, par un verrouillage irréversible, les conditions reproductibles d'une praxis réglée."

Il place cette hypothèse, somme toute vraisemblable dans un monde aux connaissances qui peuvent être relativement rudimentaires sur la manière d'exercer durablement un pouvoir, dans le moment  de la conquête militaire extérieure. "la conquête découle d'un savoir-faire-quelque-chose, c'est-à-dire d'une poétique (ce terme est pris ici au sens de la littérature grecque, notons-le) de l'articulation." Le sociologue de la défense prend l'exemple d'Alexandre Le Grand, qui amenait, rappelons-le, avec lui toute une foule de savants grecs et d'autres origine, "qui connaît, par sa pratique de l'objet "Grèce" (...) la façon dont un roi conquérant peut dominer un ensemble de libres cités, y répand ce code en devenant roi de l'Empire perse (créant des Alexandries un peu partout). "Les achéménides, quoique fascinés par le code de la démocratie citadine de l'Ionie, n'avaient eu qu'une vision instrumentale du fonctionnement des cités marchandes (disons-nous pour permettre de faire rentrer l'impôt ou d'amasser le tribu...) : un régime valable pour les peuples-serviteurs en charge du commerce naval. Non pas une vision systémique : un ensemble de sociétés urbaines autonomes fonctionnant comme des relais, des synapses, sur des flux non contrôlés centralement. Ils étaient incapables d'élaborer un code de la conquête sur le modèle de la généralisation de la cité ionienne au sein de leur propre espace. Au contraire, les Macédoniens fabriquent partout, le long de l'itinéraire conquérant en Orient, ce qu'ils ont été capables d'articuler en Grèce : des rapports entre trois types de sociétés économiques, (...) (soit) la royauté tribale-féodale (Macédoine) ; la cité grecque marchande esclavagiste (Athènes) ; la cité oligarchique terrienne non esclavagiste (Sparte)."

     Ce code conquérant, plus ou moins brièvement mis en oeuvre efficacement épuise ses effets, "avant la conquête du monde entier (du moins jusqu'à nos jours) et il n'y a jamais eu vraiment d'Empire universel". Pourquoi? En fait, toujours selon Alain JOXE, "les codes les mieux écrits (mais non strictement politique) sont les codes religieux ou juridiques. On peut ainsi tenter de suivre l'histoire des codes politiques grâce aux codes religieux et juridiques. Pourquoi le christianisme ne dépasse-t-il pas l'Europe, recule t-il devant l'Islam au Moyen-Orient et disparait-il en Afrique du Nord, pourquoi l'Islam ne peut-il mordre sur la Gaule et l'Italie, alors qu'il a progressé de manière foudroyante en Espagne? Pourquoi est-ce l'Espagne et non l'Empire ottoman qui conquiert l'Amérique?

On constate toujours qu'un code politico-religieux s'épuise (...) là où et lorsqu'il ne peut s'imposer que par la violence, par la destruction violente des codes locaux antérieurs. Un code qui sert trop bien à affirmer la conquête par la répression, s'affirmant comme détaillant des compétences répressives, - et se défendant déjà dans l'attaque - devient incompétent pour agglomérer des forces par la libération des forces locales et son extension est rapidement limitée dans l'espace et dans le temps. L'excès de compétence répressive dans la pratique de la conquête est bien l'équivalent d'une fortification prématurée auto-limitatrice." 

 

     Cette réflexion sur cet excès de compétence, qui est un excès d'utilisation de la violence, comparativement aux bienfaits qu'un Empire pour durer doit fournir aux populations conquises comme aux appareils conquérants, peut s'alimenter par la connaissance que nous avons des processus de formation et de destruction de quantité d'Empires, de l'Empire perse à l'Empire français, en passant par l'Empire romain ou l'Empire arabe. 

 

Alain JOXE, Voyage aux soources de la guerre, PUF, collection Pratiques Théoriques, 1991.

 

STRATEGUS

 

Relu le 14 octobre 2020

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