La notion de complexe chez Jacques LACAN, comme d'ailleurs de l'ensemble de sa conception de la psychanalyse, relève beaucoup d'une approche philosophique et d'une réflexion sur le langage. Parmi les tendances de la psychanalyse, la psychanalyse lacanienne repose sur des textes assez difficiles, qui exigent une lecture très attentive, pratiquement à chaque phrase, tant elle revêt une expression abstraite. La pratique psychanalytique lacanienne, pour autant, ne diffère pas fondamentalement de la pratique freudienne. Certains auteurs estiment même, à commencer par Jacques LACAN lui-même, que sa conception est la plus fidèle aux réflexions de Sigmund FREUD. Le degré d'abstraction n'est là que pour sauvegarder cette fidélité et garantir la cohérence de l'ensemble.
Les complexes familiaux mis en évidence par Jacques LACAN sont les opérateurs à la base du groupe familial. Ces complexes familiaux sont au nombre de trois : le complexe du sevrage, le complexe de l'intrusion et le complexe d'Oedipe. Cette notion de complexes familiaux est introduite par Carl Gustav JUNG, à la suite de ses expériences d'associations où il découvre ces complexes et s'aperçoit que les membres d'une même famille ont souvent des complexes similaires, mais il ne s'y intéresse plus par la suite.
Le texte Les complexes familiaux (disponible sur http://aejcpp.free.fr), écrit à la demande de Henri WALLON, et publié dans l'Encyclopédie Française (Tome VIII, La vie mentale) en mars 1938, est l'un des premiers qui attirent l'attention de toute la communauté psychanalytique et bien au-delà. Il est écrit dans un style qui n'a rien à voir (bien plus lisible pour tous) avec les textes postérieurs. Il constitue selon nous un excellent début pour approcher l'ensemble du dispositif lacanien (il résume une intervention de 1936 à Mariendab sur le "stade du miroir"), d'autant plus qu'il s'agit d'un texte de transition qui comporte l'ensemble de la refonte conceptuelle d'avant-guerre de l'auteur et une amorce de définition de notions nouvelles d'un système en pleine élaboration. Il est aussi, notamment au niveau de la présentation, l'aboutissement d'un travail commun entre Lucien FEBVRE, Henri WALLON et Jacques LACAN.
Jacques LACAN pose dans ce texte d'abord les principes sur lesquels il construit son raisonnement en donnant sa définition de la famille, celle-ci étant déterminée par une double relation biologique :
- la génération, qui permet la constitution du groupe ;
- les conditions du milieu, qui permettent le maintien de ce groupe en assurant le développement des jeunes.
L'espèce humaine se caractérise par un développement singulier des relations sociales, complètement distinct de la biologie : des comportements adaptatifs d'une variété infinie sont permis. Ce qui donne lieu à la fois à conservation, transmission des valeurs et progrès, oeuvre collective de l'ordre de la culture (Jacques LACAN emploie le sens allemand de civilisation).
Le complexe se comprend par sa référence à l'objet. Il se développe selon trois instances :
- son contenu, représentatif d'un objet : image (par exemple image du sein). Relation de connaissance à cet objet ;
- sa forme, caractéristique de l'étape de développement psychique à laquelle il se forme. Organisation affective. Elle est liée à une étape vécue de l'objectivation (par exemple, le complexe du sevrage) ;
- son activité, capacité de répétition dans le vécu de la réalité de l'"ambiance" qui a présidé à la formation du complexe (par exemple le sentiment océanique, le désir de fusionner avec la totalité). Cette répétition se produit lors d'épreuves au choc du réel au cours de la vie. Elle montre une carence objective dans une situation actuelle.
Dans la famille humaine, l'objectivation ne se fait pas en fonction d'une fixité instinctive, mais chaque forme nouvelle surgit des conflits de la précédente avec le réel. Ces complexes sont des facteurs essentiellement inconscients et c'est dans l'expression inconsciente (rêve, lapsus...) que se révèle leur unité. L'élément fondamental en est une représentation inconsciente : l'image.
Jacques LACAN explique le sevrage en tant qu'ablactation, en tant que crise du psychisme et impliqué dans la formation de l'imago du sein maternel. Le sevrage comme prématuration spécifique de la naissance de l'humain est lié avec le sentiment de la maternité, l'appétit de la mort, le lien domestique, la nostalgie du Tout. Le complexe du sevrage est le complexe le plus primitif du développement psychique. Il représente la forme primordiale de l'imago maternelle, qui interrompt la relations de nourrissage. Une tension vitale se résout en intension mentale. A travers la constitution de l'imago de la relation nourricière, c'est l'introduction d'une régulation de la vie psychique infantile qui apparaît.
Cette imago qui fonctionne dans l'espace intrapsychique comme un groupe psychique. Le psychanalyste français s'interroge à partir de là : En quoi chez les sujets étudiés n'a-t-elle pas pu opérer. En quoi et par quoi, l'imago maternelle n'a t-elle pas pu rendre compte de la groupalité?
pendant les six premiers mois de la vie, le petit être humain vit un malaise primordial dû à une adaptation insuffisante à la rupture de la vie intra-utérine. La réalité sur laquelle se fonde le complexe du sevrage est la nécessité pour le nourrisson humain d'une vie parasitaire dans les premier temps après sa naissance. Par complexe de sevrage, Jacques LACAN entend ce processus de rupture avec la vie parasitaire indépendant du processus de l'ablactation (fin de l'allaitement). L'ablactation ne fait que donner la première et la plus adéquate expression physique à l'imago d'un sevrage plus ancien qui est celui de la naissance, séparation toujours prématurée du sein maternel.
Il explique l'intrusion à travers la jalousie, archétype des sentiments sociaux. Elle est liée à l'indentification mentale, à la formation de l'imago du semblable, et donne le sens de l'agressivité primordiale. Le stade du miroir forme la puissance seconde de l'image spéculaire, induit la structure narcissique du moi. Le drame de la jalousie est au coeur de ce complexe de l'intrusion. Ce complexe représente l'expérience que réalise le sujet primitif, le plus souvent quand il voit un ou plusieurs de ses semblables participer avec lui à la relation domestique, autrement dit, lorsqu'il se connaît des frères. Dans la mesure même de cette adaptation, on peut admettre que, dès ce stade s'ébauche la reconnaissance d'un rival, c'est-à-dire d'un "autre" comme objet. Pour Jacques LACAN, le complexe de l'intrusion amène le sujet vers une alternative où se joue le sort de la réalité : ou bien il retrouve l'objet maternel et va s'accrocher au refus du réel et à la destruction de l'autre ; ou bien, conduit à quelque autre objet, il le reçoit sous la forme caractéristique de la connaissance humaine, comme objet communicable, puisque concurrence implique à la fois rivalité et accord ; mais en même temps il reconnaît l'autre avec lequel s'engage la lutte ou le contrat, bref il trouve à la fois l'autrui et l'objet socialisé. L'intrus permet au sujet de se dégager du lien idéal à l'objet primaire et de découvrir l'autre, son semblable et l'objet objectal ; il apparaît comme une fonction de désidéalisation du lien à l'objet primaire inventé par le sujet. L'intru par la déprivation qu'il impose, permet au sujet dans l'expérience de la solitude, de dissocier dans l'idéalisation primaire, l'objet objectal, le reste Réel qui est la part de l'objet sur laquelle le sujet n'a aucun pouvoir, la part d'idéal qui fait retour de l'objet et conforte ainsi le narcissisme de l'inventeur.
Ce complexe d'intrusion signe la constitution de l'identité, de l'unité du corps. Son contenu est l'imago de l'autre, sa forme celle de la perception de la forme du semblable. L'âge de son développement est signé par Jacques LACAN entre 6 mois et 2 ans et son moment génétique est le stade du miroir, qu'il décrit plus tard, en 1949, comme un cas particulier de la fonction de l'imago qui est d'établir une relation de l'organisme à sa réalité. L'activité du complexe d'intrusion, soit sa capacité de répétition dans le vécu de la réalité lors d'épreuves du réel au cours de la vie est la jalousie infantile, qui se retrouve par exemple plus tard dans la jalousie amoureuse.
Jacques LACAN remet en cause la question de la primauté du complexe d'Oedipe dans les relations psychiques de la famille humaine posé par Sigmund FREUD. Il situe l'apogée des pulsions génitales de l'enfant dans sa quatrième année et en discute comme d'une puberté psychologique prématurée par rapport à la puberté physiologique. Il applique à ce complexe d'Oedipe la notion de prématurité appliquée à la naissance dans le complexe du sevrage.
Jacques LACAN, Les complexes familiaux, http://aejcpp.free.fr/lacan/1938-03-00.htm
Thèse sur les complexes familiaux : http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2009.macia_c&part=167837
PSYCHUS