Après Sigmund FREUD, la discussion des divers aspects de la théorie du complexe d'Oedipe occupe une très large part de la littérature psychanalytique.
Nous pouvons distinguer, avec Roger PERRON, ces principaux divers aspect :
- Le "monisme" phallique" originel postulé par le fondateur de la psychanalyse soulève de vives protestations, dès son vivant, et surtout de la part de femmes psychanalystes. Ruth Mack BRUNSWICK, Helene DEUTSCH, Karen HORNEY, Mélanie KLEIN... contestent ce primat du pénis ou du phallus. Même s'il faut bien percevoir que les thèses freudiennes sur le primat du phallus, l'envie du pénis, la castration, ne désignent pas des réalités biologiques ou sociologiques, mais un imaginaire inscrit dans la culture autant que dans l'inconscient de chacun, il s'agit bien des problèmes de la place des genres dans la société. Ce sont les problèmes de la féminité, et la féminité elle-même, qui alimentent alors, à travers ces voix-là, la réflexion psychanalytique.
- Sigmund FREUD fait précéder la phase phallique, oedipienne, de deux autres grands modes d'organisation où prédominent successivement les zones érogènes orale et anale, et où s'organisent sous ce signe les relations objectales. Après lui, on accorde un intérêt croissant à ces phases dites "prégénitales", aux premières relations d'objet, au narcissisme "primaire" où se fonde le Sujet, enfin à l'autoérotisme, base de tout ce développement. Fondatrices de l'analyse d'enfants, Anna FREUD et Mélanie KLEIN, en dépit de leur considérable divergence théorique, joue un rôle essentiel dans ce courant où l'on retrouve des pédiatres comme Donald WINICOTT, mais surtout des pédopsychiatres comme Margaret MAHLER, Donald MELTZER, Francis TUTIN, Serge LEBOVICI, René DIATKINE... Ces travaux se situent pour la plupart, dans le champ de la psychopathologie infantile et sont complétés par des études récentes sur les premières relations mère-enfant, au sein même de la psychanalyse (Serge LEBOVICI) ou sur ses marges (Daniel N. STERN).
- Tout ce mouvement conduit non seulement à s'interroger sur les origines du complexe d'Oedipe, mais aussi à se demander s'il ne serait pas à considérer comme lui-même originaire. Ainsi Mélanie KLEIN peut en certains écrits affirmer que, comme objet, la structure oedipienne est présente dès la naissance, voire avant. Cela est cependant récusé par la plupart des psychanalystes contemporains. De façon plus acceptable (par ceux-ci), Claude Le GUEN décrit un "oedipe originaire" correspondant à une première triangulation mettant en jeu le sujet naissant, la mère et un tiers qui suscite cette "peur de l'étranger" décrite par René SPITZ aux environs du huitième mois, un étranger qui, par sa présence même, mettrait en évidence l'absence de la mère et inciterait à la faire exister psychiquement pour réduire cette perte. De même André GREEN évoque les relation entre soi, l'objet et "l'Autre de l'objet".
- Le postulat d'universalité du complexe d'Oedipe suscite encore de vives controverses. Certains comme Géza ROHEIM, s'attachent à prouver, sur documents ethnographiques, la justesse des vues de Sigmund FREUD. Elles sont récusées par des anthropologues et des sociologues qui soulignent la diversité des structures familiales et sociales selon les cultures, et qui argumentent sur cette base qu'un tel complexe ne saurait se mettre en place que dans la société occidentale moderne, voire viennoise de la fin du XIXe siècle. Tout un courant "culturaliste" qui compte Bronislaw MALINOWSKY, Margaret MEAD, Ruth BENEDICT en têtes de file, tente de prendre une voie moyenne. Ces controverses apparaissent dépassées (pour l'instant). L'apport de Claude LEVI-STRAUSS constitue à cet égard un moment important, lorsqu'il soutient dans Les structures élémentaires de la parenté (1949), que, quel que soit la diversité des formes sociales et familiales, la prohibition de l'inceste en constitue la donnée de base universelle.
- Depuis longtemps, on peut observer des organisations non oedipiennes ou qui ne portent que de façon fragile la marque du complexe d'Oedipe : ce très vaste champ, qui va des structures perverses aux autismes et psychoses infantiles, aux psychoses adultes... a fait l'objet de développements très importants au cours des dernières décennies.
Cette vue d'ensemble est loin d'épuiser les débats que suscitent depuis sa formulation la théorie du complexe d'Oedipe. Des recherches de Gérard MENDEL en sociopsychanalyse, qui tentent de tirer toutes les conséquences de l'existence du triangle originel, aux approches à mi chemin entre la psychanalyse et la philosophie de Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI et même Jacques LACAN, aux recherches de Jean BERGERET sur ce qu'il appelle la "violence fondamentale", le champ est très vaste et déborde de manière ample le seul cadre de la psychanalyse. Du freudo-marxisme (de Wilhelm REICH par exemple) aux abstractions symboliques d'une partie des écoles françaises, la réflexion sur le complexe d'Oedipe recouvre aussi des implications socio-politiques, jusqu'à des théories culturelles qui tentent de comprendre l'impact de l'Oedipe sur la psychologie collective. Et cela indépendamment d'une véracité scientifique de l'Oedipe. L'héritage grec fait ainsi l'objet d'une redécouverte sous l'impulsion par exemple de Didier ANZIEU, d'André GREEN ou de Nicos NICOLAÏDIS.
C'est que les enjeux autour de la théorie d'Oedipe restent considérables, à un point tel, comme l'écrivent Roger PERRON et Michèle PERRON-BORELLI, "il ne s'agit de rien de moins que de ce qui peut fonder l'unicité de l'espèce humaine, en ce cas considérée au niveau du fonctionnement psychique du sujet".
"On ne peut (...) se borner à poser un acte de foi qui ne procéderait que de simples raisons éthiques. Affirmer que le complexe d'Oedipe est universel parce que organisateur du psychisme humain, cela pose au psychanalyste de difficiles problèmes" que ce soit au niveau de chaque génération qu'au niveau de chaque culture. Les études réalisées jusqu'à présent, mais n'est-ce pas du en partie parce que l'évolution sociale subit une sorte d'accélération à l'échelle de l'Histoire, semblent insuffisantes. "(...) le traitement théorique en psychanalyse apparaît encore aujourd'hui insatisfaisant en dépit des travaux qui leur ont été consacrés" : sont à creuser le cas de la fille, la variabilité culturelle, les conditions du succès et de l'échec de l'Oedipe dans sa fonction structurante de la personnalité, les interactions entre différents types de causalité, culturelles, sociologiques, économiques...
Plus nous avançons dans le détail des logiques internes à l'oeuvre dans l'Oedipe, plus nous comprenons que nous ne pouvons dissocier l'analyse des conflits internes, déstabilisants et structuraux de la psyché de l'analyse politique de l'évolution de la famille, de la société...
Roger PERRON et Michèle PERRON-BORELLI, Le complexe d'Oedipe, PUF, Que sais-je?, 2001. Roger PERRON, Complexe d'Oedipe, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette littératures, 2005.
PSYCHUS
Relu le 18 février 2021