Le complexe d'Electre et le complexe d'Oedipe chez JUNG sont exactement la même chose. L'expression "complexe d'Electre" est utilisée par JUNG comme synonyme d'Oedipe féminin, pour marquer l'existence d'une symétrie chez les deux sexes, mutatis mutandis, de l'attitude à l'égard des parents.
Dans son Essai d'exposé de la théorie psychanalytique (1913), il introduit cet expression alors que FREUD ne voit pas l'intérêt de cette dénomination (1920). Dans son article sur la sexualité féminine, le fondateur de la psychanalyse se montre de plus catégorique : l'Oedipe féminin n'est pas symétrique de celui du garçon. "C'est seulement chez le garçon que s'établit cette relation, qui marque son destin, entre l'amour pour l'un des parents et, simultanément, la haine pour l'autre en tant que rival" (1931).
Le freudisme orthodoxe montre des effets différents pour chaque sexe, du complexe de castration, de l'importance pour la fille de l'attachement pré-oedipien à la mère, de la prévalence du phallus pour les deux sexes. Ce qui justifie son rejet du terme de complexe d'Electre qui présuppose une analogie entre la position de la fille et celle du garçon à l'égard de leurs parents. (LAPLANCHE et PONTALIS).
Le peu de présence du complexe d'Oedipe dans l'oeuvre de JUNG, l'imago
Dans son oeuvre, JUNG parle assez peu du complexe d'Oedipe, tant sa théorie s'oriente vers la description de l'inconscient individuel et de l'inconscient collectif, au niveau symbolique, dans un vocabulaire assez largement désexualisé. C'est en référence à l'héroïne grecque qui vengea son père Agamenon en assassinant sa propre mère, Clymnestre, que JUNG utilise ce conception théorique (Psychanalysis and Neurosis, Princeton University Press, 1970).
En fait, à l'entrelac du Complexe d'Oedipe, JUNG préfère s'attacher à la représentation inconsciente des êtres qui forment le proche entourage (père, mère, soeur, grand-parents, maîtres...). L'imago se construit, à la fois, à partir de la perception qu'à l'enfant de ses proches mais aussi selon le modèle mythologique des divinités de la famille antique, les dieux-lares (Métamorphoses de l'âme et ses symboles, Genève, Georg, 1973).
Faite d'impressions cénesthésiques qui signent son origine précoce et son inscription dans le corps, l'imago existe en marge de toute perception tout en étant alimentée par elles. Elle a une grande puissance dans l'inconscient où elle jouit d'une extrême autonomie. Cela la rend considérablement perturbante dans les relations que le sujet entretient avec autrui, car elle confère aux objets une matérialité écrasante. Son influence est inconsciente et puissante ; elle crée, en effet, une intrication subtile entre monde intérieur et monde extérieur et, ainsi, entre sujet et objet. L'imago met en relief le soubassement subjectif de toute relation à l'objet réel de même que le caractère impersonnel de toute représentation subjective. Elle se manifeste par la projection. (Dialectique du Moi et de l'Inconscient, Parie, folio, Gallimard, 1986).
Le terme d'Imago est utilisé dès 1911 pour préciser celui de "complexe parental" (Métamorphoses de l'âme et ses symboles), mais il fait suite à d'autres expressions comme image historique, image primordiale, image originelle, et contient en germe plusieurs notions qui sont développées par la suite, telle celle d'inconscient collectif et surtout d'archétype qui prévaut à partir de 1919. (Viviane THIBAUDIER).
Même si par la suite, ces notions de complexe font place à d'autres, dans l'esprit de Jung, la symétrie fille/mère et garçon/père d'un côté pour l'aspect rivalité et la symétrie fille/père et garçon/mère de l'autre pour l'aspect amour semble perdurer, dans la description même des imagos... De toute façon, le fondateur de l'école jungienne s'éloigne de plus en plus d'un triangle. Il écrit en 1950 (l'essai initial date de 1912) dans Métamorphoses de l'âme et ses symboles : "C'est intentionnellement que je donne ici à l'expression "imago" le pas sur celle de "complexe". Car je désire donner au fait psychique que j'entends désigner par "imago", en choisissant le terme technique, l'indépendance vivante dans la hiérarchie psychique, c'est-à-dire l'autonomie que de multiples expériences nous ont enseigné être la particularité essentielle du complexe affectivement teinté et qui est bien mis en relief par le concept d'"imago".
Plus loin, près de la fin de l'ouvrage, il écrit : "La théorie freudienne de l'inceste décrit certaines fantaisies accompagnant la régression de la libido et qui sont particulièrement caractéristiques de l'inconscient personnel de l'hystérique. Durant un certain trajet, ce sont des fantaisies sexuelles infantiles qui montrer nettement pourquoi l'attitude hystérique est si défectueuse et sans valeur. Elles trahissent les ombres. Naturellement, le langage de cette compensation dramatise et exagère. La théorie que l'on en tire correspond à la conception hystérique à cause de laquelle l'individu est névrosé. Il ne faudrait donc pas prendre tellement au sérieux cette façon de s'exprimer, comme le fait Freud. Elle est aussi invraisemblable que les soi-disant trauma sexuels des hystériques. En outre, la thèse sexuelle névrotique est dépassée en ce que le dernier acte du drame est le retour au sein maternel. Ce retour ne se fait pas par les voies naturelles, mais par os, c'est-à-dire par l'acte d'être mangé et englouti, par quoi se fait jour une théorie encore plus infantile élaborée par Otto Rank. Il ne s'agit pas d'une simple allégorie de circonstance, mais du fait que la régression atteint la couche fonctionnelle plus profonde de la nutrition, antérieure dans le temps à la fonction sexuelle et qui désormais fait partie du monde vécu par le nourrisson. Ce qui veut dire que le langage parabolique de la régression se transforme, quand on remonte plus loin en arrière, en métaphores de nutrition et de digestion, ce qu'il faut considérer comme une simple façon de parler. Le soi-disant complexe d'Oedipe avec sa tendance incestueuse se métamorphose à ce stade en complexe Jonas-baleine, avec ses nombreuses variantes, comme par exemple la sorcière qui dévore les petits enfants, le loup, le dragon, l'ogre, etc. L'angoisse de l'inceste devient peur d'être dévoré par la mère.
La libido en régression se désexualise, semble t-il, parce que peu à peu elle recule vers les stades pré-sexuels de la première enfance. Elle ne s'y arrête pas ; elle remonte jusqu'à un état intra-utérin prénatal (ce qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre!) passant ainsi de la sphère de la psychologie personnelle à celle de la psyché collective ; autrement dit, Jonas voit dans le ventre de la baleine les mystères, c'est-à-dire les "représentations collectives". La libido arrive ainsi en quelque sorte à un état primitif où, comme Thésée et Pirithoos lors de leur voyage aux enfers, elle peut se fixer fortement. Mais elle peut aussi se libérer de l'embrassement maternel et rapporter à la surface une nouvelle possibilité de vie. En réalité, ce qui se produit dans la fantaisie de l'inceste et du sein maternel, c'est une plongée de la libido dans l'inconscient, au cours de laquelle d'une part elle provoque des réactions infantiles et, d'autre part, anime les images collectives (archétypes) qui ont la valeur de compensation et de salut que le mythe a eue de tout temps. La théorie des névroses de Freud convient admirablement à leurs traits essentiels ; mais l'auteur la rend par trop dépendante des opinions névrotiques à cause desquelles justement les gens sont malades. De là l'apparence (disons-le en passant, si aisément acceptée par les névrosés) que la causa efficiens des névroses se trouve dans le passé lointain. En réalité, la névrose se fabrique à nouveau au jour le jour en vertu d'une fausse attitude qui consiste précisément en ce que le névrosé pense et sent comme il le fait et justifie son attitude par sa théorie des névroses."
Carl Gustav JUNG, Métamorphoses de l'âme et de ses symboles, Georg, 2006. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Viviane THIBAUDIER, Imago dans le vocabulaire de Carl Gustave JUNG, Ellipses, 2005.
PSYCHUS
Relu le 17 février 2021