Pour les psychanalystes qui se réclament de l'école de Carl Gustav JUNG (psychologie analytique), un complexe est la généralisation d'expériences conflictuelles émotionnellement fortes et plus ou moins refoulées. Lorsque ces expériences sont sollicitées sur le mode thématique (par une information) ou sur le mode de l'émotion ("constellées"), il se produit une réaction complexuelle, c'est-à-dire que l'individu perçoit la situation dans le sens du complexe (distorsion de la perception), et il y réagit par un débordement, ce qui mobilise des processus de défense stéréotypées. (Venera KAST).
Le fondateur ce cette école développe sa conception du complexe en même temps que ses expériences sur les associations. Une première fois en 1904 (Recherches expérimentales sur les associations de personnes non malades), avec Franz RIKLIN, mais il utilise déjà ce terme (complexe), sans en préciser le sens dans sa thèse de 1902. Alors qu'on recourt, à cette époque, volontiers aux recherches sur les associations pour construire des typologies, ces deux auteurs s'intéressent à ce qu'on considère d'ordinaire que comme des perturbations de l'expérience. Des idées sur lesquelles il n'est pas possible d'associer tout uniment sont en fait rattachées à des expériences et à des difficultés personnelles chargées d'affects. Ils émettent alors l'hypothèse que l'arrière-plan de la conscience serait constitué de tels complexes, et que dans toute névrose d'origine psychique, il y aurait un complexe caractérisé par une charge émotionnelle forte. En 1907 (Psychologie de la démence précoce), JUNG établit que tout événement chargé d'affect donne lieu à un complexe et vient renforcer ceux qui se sont déjà constitués. Les complexes agissent à partir de l'inconscient et peuvent à tout moment inhiber ou activer les réalisations conscientes. Ils révèlent des conflits, mais sont aussi qualifiés par JUNG de points chauds et cruciaux de la vie psychique.
En 1934, JUNG résume sa théorie des complexes en soulignant que, même en dehors de tout effet de constellation, il s'agit là de forces efficientes qui gouvernent les intérêts de tout un chacun, et il y voit le fondement de la formation des complexes, qu'il ne cesse de développer par la suite et le conduit à mettre l'accent sur les effets créateurs. Les archétypes sont au coeur de ces complexes. Dans la mesure où les expériences d'association, la conception du symbole, celle de l'archétype, de l'imagination, de l'affect, du transfert et du contre-transfert ainsi que celle du Complexe-Moi se refèrent à l'idée de JUNG selon laquelle le complexe est suscité par le douloureux affrontement de chacun avec la "nécessité de s'adapter", la conception même des complexes acquiert aujourd'hui une dimension encore plus dynamique : chacun d'eux apparaît comme la condensation et la généralisation d'expériences de relations qu'une information ou une émotion peut à tout moment associer à d'autres qui leur sont analogues.
Ces conceptions sont développées notamment dans deux ouvrages : L'homme à la découverte de son âme (Albin Michel, 1987) et Psychogenèse des maladies mentales (Albin Michel, 2001).
Aimé AGNEL précise qu'au contraire de Sigmund FREUD, "qui ne verra dans la découverte de Jung, qu'un moyen pertinent de caractériser l'Oedipe et la castration, Jung utilise le terme "complexe" (...) pour décrire tout aussi bien la relation problématique au père et à la mère (complexe paternel ou maternel, auquel de nombreux complexes se rattachent) que l'unité plurielle et composite du moi (complexe-Moi). Cette généralisation, refusée par FREUD, trouve sa raison dans la notion jungienne d'affectivité. "Tout événement affectif se mue en complexe", écrivait Jung en 1907 (Psychogenèse des maladies mentales). Or, c'est souvent par l'émotion que l'inconscient se manifeste. Ce qui implique que les complexes ne soient pas considérés seulement sous un angle pathologique. Bien qu'ils expriment "ce qu'il y a d'inaccompli dans l'individu, le point où, au moins pour le moment, il a subi une défaite, où il ne peut dominer ou vaincre, dont indubitablement, le point faible dans tous les sens possibles du terme" (Psychogenèse des maladies mentales), les complexes sont également des "unités vivantes de la psyché inconsciente, dont ils permettent, à peu près seuls, de constater l'existence et la complexion" (L'homme à la découverte de son âme). C'est pourquoi, dans le dialogue et, en particulier, dans la relation transférielle, "l'élaboration des conceptions est fonction, non seulement des complexes de l'un des partenaires, mais aussi des complexes de l'autre. Tout dialogue qui s'aventure dans ces domaines peuplés d'angoisses et de résistance vise à l'essentiel : incitant le sujet à l'intégration de sa totalité, il oblige aussi le partenaire à s'affirmer dans son intégrité" (L'homme à la découverte de son âme).
Aimé AGNEL, Complexe, dans Le vocabulaire de JUNG, Ellipses, 2005 ; Verena KAST, Complexe (psychologie analytique), dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2002.
PSYCHUS