Parmi les études sur la modulation biologique du comportement agressif de l'homme, pour s'en tenir cette fois à des expériences et à des réflexions concernant uniquement l'espèce humaine, nous pouvons relever plusieurs catégories.
Dans chacune d'elles, des arguments sont périodiquement lancés et des polémiques (entre scientifiques notamment) font parfois rage. Farnazeh PAHLAVAN, maître de conférences à l'institut de psychologie de l'université René Descartes, Paris 5, indique, avant d'entrer dans le détail de telles catégories, que "certains processus biologiques préparent les individus à réagir de manière agressive, alors que d'autres déterminent le moment et la manière de l'expression de l'agression."
Ces catégories sont :
- les études sur la génétique du comportement agressif, "affaire" du chromosome du crime compris ;
- les études sur la relation entre certains hormones et les comportements agressifs ;
- les études effectuées sur les différentes zones du cerveau qui entrent dans l'élaboration et le fonctionnement des comportements agressifs, tels que le cortex cérébral, le système limbique...
- les études des relations entre activation physiologique et agression, dans les deux sens : l'activation influence l'agression et l'agression influence l'activation.
Études sur la génétique du comportement agressif
Les facteurs génétiques jouent déjà un rôle dans la mise en place de tous les moyens permettant à l'individu d'agir sur l'environnement, y compris sur les moyens agressifs. Ces facteurs contribuent au développement des capacités sensorielles, physiques et motrices. Ils interviennent au niveau neuronal, pour le traitement de toutes les informations sur l'état du corps et l'environnement, pour contrôler l'expression effective de l'agression. La constatation que les individus qui partagent le même patrimoine génétique se comportent de la même manière est souvent avancée comme preuve que le comportement agressif est génétiquement modulé.
Les expériences sont effectuées surtout soit sur des jumeaux (vrais ou faux jumeaux) ou sur des enfants adoptés.
Ainsi, Johan Philippe RUSHTON (né en 1943), l'auteur d'études très controversée sur les relations entre Race et Histoire, et certains de ses collègues (FULKER, NEALE, NIAS, EYSENCK, 1986) ont appliqué un questionnaire pour évaluer la personnalité de plus de 500 jumeaux adultes. Les corrélations entre cinq traits différents (altruisme, empathie, sympathie, agression, affirmation de soi) et la proximité entre jumeaux (au niveau génétique) sont plus fortes pour les jumeaux monozygotes que pour les jumeaux dizygotes. Ces études (corrélées par MCGUE, BACON et LYKKEN en 1993) qui mettent en évidence une correspondance entre plus grande proximité et traits de caractère tendent à montrer que des facteurs génétiques interviennent fortement dans la modulation des comportements agressifs. Certaines études montrent que l'effet de la transmission des tendances agressives est plus important pour les individus du sexe masculin, et diminue en fonction de leur âge. Mais d'autres études menées entre autres par Daniella CARMELLI et ses collègues (ROSEMANN et SWAN en 1988), à l'issue de l'application auto-évaluative de différents inventaires d'hostilité, indique en revanche un effet de transmission plutôt faible.
Les études sur des enfants adoptés montrent aussi un instabilité en ce qui concerne le lien entre les facteurs génétiques et le comportement agressif. Des études aux résultats contradictoires montrent soit une corrélation modérée entre enfant et mère biologique, nulle entre enfant et parents adoptifs, forte entre enfant adopté et autres enfants de la famille adoptive...
Une méta-analyse portant sur 24 études réalisées avec des jumeaux mono ou dizygotes, effectuée par Donna MILES et Gregory CAREY (The genetic and environnemental architecture of human agression, journal of Personality and Social Psychology, n°72, 1997), souligne les défauts méthodologiques et la variabilité des résultats en fonction de la technique d'observation employée. Ils concluent que, d'une manière générale, les facteurs génétiques et environnementaux sont difficilement dissociables.
La polémique auteur du chromosome du crime, après bien des péripéties nombreuses depuis les années 1940, aboutit tout simplement au rejet de l'éventualité d'un lien entre des anomalies de chromosomes sexuels et l'agression. Le rapprochement de ces deux éléments montre plutôt en évidence le rôle des déficits mentaux dans l'incarcération plus fréquente des individus des individus porteurs de ces anomalies génétiques. Le fait que de nombreuses expériences s'effectuent en milieu carcéral, sans comparaison avec des milieux ouverts, invalide beaucoup de conclusions tirées par divers chercheurs.
Études entre de relation entre hormone et comportement agressif
Parmi les hormones étudiées figurent surtout la testostérone qui semble faciliter l'agression entre mâles de plusieurs espèces de vertébrés et intervient largement dans l'augmentation du niveau de cette agression entre les mâles pendant la période de reproduction. L'effet sur les mâles humains reste problématique. Si l'activité hormonale est constatée dans de nombreux cas d'agression (expériences d'injection de progestérone synthétique...) est constatée, les différences effectuées avec des groupes témoins restent assez peu significatives. De nombreux sujets placés dans des situations de provocation, dans des conditions très diverses, réagissent très diversement, et cela en dehors de leur taux d'hormones. En fait, les meilleurs résultats (au sens de corrélation forte) sont obtenus dans des conditions de victoire assurée chez de nombreux sujets : la victoire décisive déclenche un état affectif qui peut, à son tour, augmenter le niveau de testostérone (MAZUR et LAMB, 1980). L'activité hormonale fait partie de l'ensemble des variables biologiques présentes dans les situations conflictuelles, mais il est difficile de distinguer si c'est la situation d'urgence requise par une agression qui augmente cette activité ou si c'est la présence anormale de certaines hormones qui constituent des facteurs déclencheurs d'agression... R. G. GEEN tend à penser qu'il vaudrait mieux dire en tout cas que les activités hormonales constituent des variables dispositionnelles ou un "background" lorsqu'une situation "aversive" déclenche une agression (Process and personal variables in affective agression, 1998).
Études sur les différentes zones du cerveau
Après un amoncellement d'études menées sur le cerveau humain (situation de réactions automatiques ou semi-automatiques de comportements), l'hypothèse de l'existence d'un centre de l'agression a été mise en doute et totalement réfutée. (Farzaneh PAHLAVAN).
C'est un ensemble de structures cérébrales qui intervient, avec deux parties qui semblent être prépondérantes dans la modulation des réactions agressives : le cortex cérébral et le système limbique. Le cortex cérébral est impliqué dans les fonctionnements cognitifs complexes de l'apprentissage, des jugements et des prises de décision. Le système limbique enserre un ensemble de structures nerveuses qui contrôlent les émotions et les besoins fondamentaux. De nombreux modèles comportementaux ont été élaborés ; nous avons une certaine préférence pour ceux présentés par Henri LABORIT, beaucoup utilisé - parfois sans en mentionner la source - par les chercheurs, francophones notamment.
Dans l'interaction entre le cerveau et l'environnement, la plupart du temps le cortex frontal permet l'organisation de stratégies comportementales hautement élaborées, inhibe l'agression et empêche la réponse agressive systématique aux provocations. Des auteurs comme V. MARK et F. ERVIN émettent l'hypothèse que l'apprentissage crée dans certains cerveaux une capacité à percevoir les menaces de façon plus intense et plus fréquente. Le système limbique est alors davantage sollicité dans les réponses de l'organisme. Pierre KARLI, professeur de neurophysiologie à la faculté de médecine de Strasbourg, relate de nombreuses expériences et propose une neurobiologie des comportements d'agression. Sa présentation est très éloignée de celle que fait par exemple Arthur KOESTLER, qui analyse une dangereuse divergence entre structures anciennes et structures nouvelles du cerveau, qui expliquerait selon lui certaines tendances paranoïaques de l'espèce humaine.
Études sur l'activation physiologique et agression
Le comportement agressif est lié également à l'activation du système nerveux sympathique (partie du système nerveux autonome périphérique). Celui-ci prépare l'individu à se battre ou à fuir (Farzaneh PAHLAVAN reprend vraiment la problème initié par Henri LABORIT...).
Ce système agit lorsque la sécurité et/ou la survie de l'individu sont menacées. L'activation de ce système déclenche un ensemble de réactions physiologiques qui préparent l'organisme à faire face ou à fuir, devant l'attaque perçue. Se référant à la notion d'éveil physiologique, plusieurs recherches montrent que l'effet de certains variables environnementales (sonores par exemple) sur le comportement agressif est étroitement lié à l'activation physiologique. Des études montrent que l'éveil physiologique augmente la probabilité de l'agression, alors que d'autres indiqueraient plutôt le contraire... Les études de D. ZILLMANN et de Jack E. HOKANSON notamment portent sur les relations entre activation et agression.
Des variables plutôt modératrices de l'agression
Nous ne pouvons que reprendre à notre compte la conclusion de Farzaneh PAHLAVAN : "Chez l'homme, les facteurs biologiques doivent être considérés comme des variables modératrices de l'agression. Il est possible de penser que ces facteurs contribuent à la formation d'un potentiel d'agression et que la mesure de ce potentiel peut permettre de déterminer le type et la puissance de la réaction à la situation de provocation. Le rôle modérateur des facteurs biologiques est plus évident dans le cas des études portant sur l'activité hormonale, mais il concourt aussi au fonctionnement des autres facteurs de l'agression".
En tout état de cause, l'étude des phénomènes purement biologiques doit toujours mettre en relief les conditions présentes dans l'environnement. "Pour déterminer dans quelle mesure les conduites agressives sont modulées par des processus affectifs et pour définir l'importance du rôle médiateur des activités cognitives dans cette modulation, il est indispensable d'étudier les réactions à une stimulation "aversive" chez l'homme ; et ce au moins à trois niveaux d'observations :
- un niveau proto-social, correspondant à des phénomènes neuromoteurs et neurovégétatif relativement automatiques, communs à l'espèce humaine et à beaucoup d'espèces animales,
- le niveau intégrant ces automatismes moteurs à des ensembles de conduites socialement organisées, placées sous la maitrise partielle des individus, à savoir les émotions ;
- le niveau constitué par les actes issus de plans élaborés à l'avance, résultant de l'intégration des différents comportements émotionnels à des stratégies de réponse, comportant à la fois les caractéristiques propres de la sociabilité de l'espèce humaine et les démarches de pensée complexes faisant intervenir des conceptions normatives."
Farzaneh PAHLAVAN, Les conduites agressives, Armand Colin, collection Cursus, 2002. Arthur KOESLTLER, Le cheval dans la locomotive, Calmann-Lévy, 1968. Pierre KARLI, Neurobiologie des comportements d'agression, PUF, 1982.
ETHUS
Relu le 11 mars 2020