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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 15:52

             La critique intégrale du capitalisme par les fondateurs du marxisme débouche sur des propositions de révolution. Afin de remplacer le système capitaliste par le communisme (après maintes étapes) les premiers théoriciens-militants du marxisme ne voient guère que la révolution nécessaire menée par le prolétariat. A un point tel que la révolution selon la conception marxiste s'identifie souvent à la révolution tout court, et qu'il n'est pas dans les usages de discuter d'une voie réformiste, au sens strict des fondateurs du marxisme toujours. Pourtant dans l'histoire, vont s'affronter plusieurs théories et pratiques qualifiées de réformistes, de révisionnistes, théories et pratiques qui s'opposent à une vision révolutionnaire des transformations de la société. 

       La notion de révolution chez Marx et Engels, comme le rappelle justement le germaniste Jean-Pierre LEFEBVRE, n'a pas de signification très différente de l'usage courant. "On la trouve associée à divers contextes et épithètes dont l'extension déborde largement la seule période capitaliste, pré- ou post-capitaliste. Cependant, employé seul, le terme désigne le plus souvent le projet politique des communistes, qui sont des révolutionnaires organisés dans un parti révolutionnaire : il suit alors les différents projets politiques auxquels les communistes se sont identifiés, tout en maintenant l'accent sur la première phase de réalisation de ce projet, le renversement de la classe capitaliste et des institutions politiques générales dans et par lesquelles s'exerçait un pouvoir." Fortement déterminée par la référence historique à la Révolution française de 1789, la révolution au sens marxiste, prend des colorations néanmoins diverses. "A partir de 1857, c'est l'expression révolution prolétarienne qui domine, mais on rencontre aussi (jusqu'en 1850) révolution communiste, plus rarement révolution socialiste (à partir de 1875), parfois aussi la forme révolution du prolétariat". De nombreux courants insistent sur le fait qu'une véritable révolution ne peut être seulement une révolution politique : elle doit être aussi une révolution sociale.

 

La voie révolutionnaire contre la voie réformiste

      Sur la problématique Réforme/Révolution, la théorie marxiste que les fondateurs mettent en place, à travers de nombreuses ouvrages, tranche de manière cohérente : 

- Si l'émancipation politique est un grand progrès (Karl MARX, La question juive, 1843), elle n'est pas l'émancipation humaine en général, mais simplement la forme ultime de l'émancipation humaine, à l'intérieur de l'ordre du monde qui a existé jusqu'ici ;

- Les révolutions antérieures se sont contentées de déplacer l'exploitation, de déplacer l'antagonisme de classe ; la révolution communiste doit supprimer tout antagonisme et toute exploitation. D'où l'impossibilité totale d'un quelconque compromis entre le mouvement ouvrier et la bourgeoisie. Celle-ci a en effet besoin, pour exister, que se perpétue la séparation bourgeoisie/prolétariat, contre laquelle doit se battre le mouvement ouvrier ;

- L'impossibilité de tout réformiste provient de la nature même du capitalisme qu'il s'agit de remplacer. Karl MARX, même si ses positions sont plus nuancées dans certains textes, décrit clairement la manière unique de sortir du conflit entre capitalistes et ouvriers.

Si dans La lutte des classes, on peut lire que "Seule la défaite le convainquit (le prolétariat) que la plus infime amélioration de sa situation reste une utopie a sein de la République bourgeoise, utopie qui se change en crime dès qu'elle veut se réaliser", dans le livre Salaire, Prix et Profit édité en 1869, il définit clairement les limites du réformisme : "Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d'entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande ampleur. En même temps, et tout à fait en dehors de l'asservissement général qu'implique le régime du salariat, les ouvriers ne doivent pas s'exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne. Ils ne doivent pas oublier qu'ils luttent contre les effets et non contre les causes de ce effets (...). Il faut qu'ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société. Au lieu du mot d'ordre conservateur : "Un salaire équitable pour une journée de travail équitable, ils doivent inscrire sur leurs drapeaux le mot d'ordre révolutionnaire : Abolition du salariat"."

Pour le philosophe Jean-François CORALLO, ce dernier passage résume la façon dont est pensé, dans la tradition marxiste, le couple réforme/révolution : la lutte pour les réformes, notamment économiques, fait partie de la lutte révolutionnaire ; il reste que toute réforme de fond est impossible, du fait de l'antagonisme irréductible entre les intérêts de la bourgeoisie et ceux du prolétariat."  Cet ensemble de thèses est repris et développé par LÉNINE (1870-1924), en tant que dirigeant, à la lumière de sa lutte contre le réformisme. Ce dernier élabore un concept spécifique de réforme : "Une réforme diffère d'une révolution par le fait que la classe des oppresseurs reste au pouvoir et réprime le soulèvement des opprimés au moyen de concessions acceptables pour les oppresseurs, sans que leur pouvoir soit détruit". (Oeuvres, Editions Moscou-Paris, 12, 209). Sans réelle lutte des classes, pas de réformes réelles. Inversement, toute lutte révolutionnaire produit des réformes. Mais ces réformes ne sont qu'un "produit accessoire" de la lutte des classes révolutionnaires. 

Jean-François CORALLO rappelle le mode d'exposition politique que LÉNINE utilise souvent, pour définir la "ligne juste" face aux "déviations" : "Les marxistes, à la différence des anarchistes, reconnaissent la lutte pour les réformes, c'est-à-dire pour telles améliorations de la situation des travailleurs qui laissent comme par le passé le pouvoir aux mains de la classe dominante. Mais, en même temps, les marxistes mènent la lutte la plus énergique contre les réformistes, qui limitent directement ou indirectement aux réformes les aspirations et l'activité de la classe ouvrière. Le réformisme est une duperie bourgeoise à l'intention des salariés" (Oeuvres, 19, 399)

 

La voie révolutionnaire à l'épreuve du pouvoir

    Tant qu'il s'agit de mener la lutte révolutionnaire contre des pouvoirs résolus et dominants, cette conception change peu. Mais, lorsque les bolcheviks arrivent au pouvoir en octobre 1917 en Russie, le problème "évolue". Ainsi, LÉNINE est amené à construire un tout nouveau rapport entre les deux concepts de révolution et de réforme. Dans Sur le rôle de l'or aujourd'hui, il écrit (en 1921) : "Le fait nouveau, à l'heure présente, c'est la nécessité pour notre révolution de recourir, pour les problèmes de la construction économique, aux méthodes d'action "réformistes", graduelles, faites de prudence et de détours. Cette "nouveauté" suscite des questions, de la perplexité, des doutes aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique" (Oeuvres, 33, 104). Plus encore, sur la base d'une expérience politique vielle de quatre ans, comme le rappelle toujours Jean-François CORALLO, LÉNINE propose de "compléter" la réflexion marxiste sur le couple révolution/réforme : "Seul le marxisme définit de façon précise et juste le rapport entre les réformes et la révolution : et Marx n'a pu voir ce rapport que sous un seul aspect, savoir : dans les conditions précédent la première victoire tant soit peu solide, tant soit peu durable du prolétariat. ce rapport juste reposait alors sur le principe suivant : les réformes sont un produit accessoire de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat (...) Avant la victoire (...) elles constituent en outre pour le pays où la victoire a été remportée, une trêve indispensable et légitime dans le cas où, àla suie d'une tension extrême, les forces manquent notoirement pour franchir en suivant la voie révolutionnaire, telle ou telle étape".

Le philosophe marxiste s'interroge sur ce "complément", selon lequel une révolution ne peut pas toujours et continuellement adopter une voie révolutionnaire : "Quelle leçon tirer de cette faille qui, au terme de la première révolution prolétarienne de l'histoire, fracture l'unité du concept trop poli de révolution : 

- L'insuffisance d'une théorie qui réduit à un fossé, à une incommunicabilité, à une "révolution", le passage d'une structure sociale à une autre? Ou plutôt, l'erreur qu'il y a à vouloir établir un rapport d'application technique entre une telle théorie et la politique?

- La nécessité que Lénine commence à mettre en oeuvre de compléter cette théorie par une problématique élaborée de la transition?"

 

Les clivages s'accentuent avec l'évolution de la société, social-démocratie....

     Ce débat est si aigu dans le courant marxiste, que ceux qui sont tentés d'élaborer une construction réformiste sont qualifiés de révisionnistes, même si par ailleurs, les gardiens d'un temple de la vérité historique sont eux-mêmes pris, lorsqu'ils arrivent au pouvoir surtout, dans des problématiques... réformistes. Le précipité entre une manière d'argumenter, hérité d'une certaine dialectique hégélienne, et la lutte concrète pour le pouvoir, au sein des partis comme au sein de l'État, accentue les clivages. 

C'est ce que montre en partie Patrick SÉVERAC : une figure comme Eduard BERNSTEIN (1850-1932), au sein d'un parti puissant et légal, implanté solidement en Allemagne, avec une pratique réformiste et une théorie toujours révolutionnaire, se livre à une critique du corpus marxiste en plusieurs aspects :

- l'influence de la dialectique hégélienne sur le marxiste induit des constructions spéculatives qui provoquent des erreurs de pronostic ou de stratégie ;

- l'évolution économique de la société moderne contredit certaines thèses de Karl MARX, notamment sur la polarisation des classes sociales et sur les conséquences de la concentration du capital, la situation se complexifiant davantage ;

- les crises économiques du capitalisme ne s'aggravent pas ;

- la stratégie la plus apte à améliorer la situation de la classe ouvrière repose sur l'utilisation du suffrage universel, ayant pour objectif le passage graduel au socialisme par l'élargissement du secteur économique coopératif et l'approfondissement de la démocratie.

Les thèses d'Eduard BERNSTEIN sont combattues par Karl KAUTSKY (1854-1938), secrétaire d'ENGELS, de Rosa LUXEMBOURG (1871- 1919) et de Gueorgui PLEKHANOV (1856-1918), ainsi que par LÉNINE. Ces critiques peuvent être rassemblées sous trois ordres, idéologique, économique et politique :

- Idéologique : le marxisme est une conception du monde, un système.En prétendant ne vouloir critiquer que tel ou tel point du marxisme, Eduard BERNSTEIN vise en réalité à saper l'ensemble de l'édifice théorique. Or, le marxisme se pense comme l'arme du prolétariat. Attaquer un point de doctrine, c'est émousser cette arme ;

- Économique : d'une manière générale, il se voit accusé de confondre le court terme et le long terme. La concentration du capital et la polarisation sociale sont des tendances fondamentales du capitalisme, que ne doivent pas masquer des aspects conjoncturels ;

- Politique : le révisionnisme se situe à l'aile droite de la socioal-démocratie. Cette aile est disqualifiée en 1914, par les courants révolutionnaire et le marxisme orthodoxe, au moment où les sociaux-démocrates, sous couvert d'union sacrée, votent les crédits de guerre. 

 

    Dirigeants tous deux de la social-démocratie allemande (SPD), Karl KAUTSKY et Edward BERNSTEIN s'opposent, le premier en tant qu'exécuteur testamentaire sur bien des plans des fondateurs du marxisme, gardien rigoureux du dogme et le deuxième en tant tenant d'un socialisme réformiste de moins en moins marxiste...

Karl KAUTSKY s'oppose tout autant à ce qu'il considère la dérive droitière de BERNSTEIN qu'à la dérive gauchiste de LÉNINE et des bolchevik en général. Tout en s'alignant en 1914 sur la majorité du SPD qui vote les crédits de guerre, il défend une conception orthodoxe de la révolution. Son activité politique et diplomatique l'emporte sur l'apport strictement théorique dans sa lutte contre ces deux dérives. Promoteur d'un programme socialiste en 1892. Tout de même pendant près de quarante ans le théoricien officiel du plus important parti ouvrier au monde, ses écrits témoigne de sa défense des conceptions révolutionnaires, alors  que l'ensemble de son activité politique se compose en une lutte contre le bolchévisme. Il reproche à LÉNINE d'avoir tenté une révolution prolétarienne dans un pays sous-développé industriellement et de d'avoir établi une dictature plus blanquiste que marxiste. Son ouvrage majeur, La conception matérialiste de l'histoire (1927), défend une conception "classique" (finalement différente de celle des fondateurs) du marxisme tout en posant les jalons d'un... socialisme réformiste. 

Eduard BERNSTEIN, qui assure la direction de Die Sozialdemakrat (1881-1888), participe activement à la rédaction du programme d'Erfurt (1889-1891), qui reprend la plupart des grands thèmes du Capital et du Programme minimaliste dans sa première partie, mais qui, dans sa seconde, moins ouvertement marxiste, contient des revendications concrètes partielles comme la protection des plus démunis, la laïcité, l'égalité entre les hommes et les femmes. A un point tel que beaucoup d'auteurs considèrent ce programme comme contradiction, entre un appel à la destruction du capitalisme et un aménagement social de celui-ci... En fait, suivant un mouvement général du mouvement ouvrier, il développe ensuite une conception socialiste hétérodoxe. L'État socialiste, selon lui, ne peut être le produit d'un soulèvement des classes prolétariennes. Il ne peut advenir que progressivement, à travers un révision graduelle de l'État bourgeois. C'est ce qui ressort de son ouvrage Socialisme théorique et social-démocratie pratique (1898, édité en France sous le titre Les présupposés du socialisme, Seuil, 1974). Même s'il est mis en minorité politiquement au sein du SPD, ses thèses progressent, à tel point que, avec le temps, ce parti se fait de plus en plus réformiste, notamment sous le leadership pragmatique de Friedrich EBERT. Officiellement marxiste à la veille de la Première guerre mondiale, le parti renonce définitivement à toute référence au marxisme et à la lutte des classes après la Seconde guerre mondiale. (Manfred STEGER, The Quest for Evolutionary Socialism : Eduard Bernstein  and Social Democracy, Cambridge University Press, 1997).

 

         Pour Patrick SÉVERAC, le paradoxe "est que cette critique s'avère juste pour le court terme (notamment avant 1914 et octobre 1917) mais démentie par le long terme : le capitalisme surmonte ses crises successives, quelle que soit leur gravité, et la polarisation sociale se trouve nuancée par la formation récurrente de nouvelles couches sociales, dites "moyennes". En sorte que la querelle du révisionnisme se reproduira presque périodiquement dans l'histoire du mouvement ouvrier (par exemple avec Boukharine et Khrouchtchev, en URSS, avec Garaudy et le courant eurocommuniste en Europe de l'Ouest). Par contre, la constitution du révisionnisme en doctrine et en courant politique aboutit à la formation durable d'un courant réformiste du mouvement ouvrier assurant le renouveau du capitalisme des années 1930 aux années 1980 : la social-démocratie."

Le problème de fond n'est pas tranché : la révolution est-elle nécessaire pour la transformation du système économique? le réformisme est-il suffisant pour assurer à la classe ouvrière l'ouverture vers le communisme? La révolution est-elle possible? Le réformisme ne sert-elle finalement que la reproduction sans fin du capitalisme?....

 

Patrick SÉVERAC, article Révisionnisme ; Jean-François CORALLO, article Réforme/Révolution ; Jean-Pierre LEFEBVRE, article Révolution, dans Dictionnaire critique du marxisme, PUF, 1999.

Karl KORSCH, L'Anti-Kautsky. La conception matérialiste de l'Histoire, traduit de l'Allemand par Alphé MARCHADIER, Champ libre, 1973.

De nombreux textes de KAUTSKY et de BERNSTEIN sont disponibles sur le site Internet : www.marxists.org.

 

PHILIUS

 

Relu le 16 janvier 2021

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commentaires

J
Hello !<br /> un passage et un petit coucou pour te signaler que suite à l'ouragan Sandy,<br /> et les debâts sur les conséquences du réchauffement climatique<br /> j'ai fait une carte des catastrophes naturelles dans le monde depuis 2008,<br /> très instructif sur certains points !<br /> @+
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