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15 octobre 2012 1 15 /10 /octobre /2012 14:40

              Le contrôle des armes est toujours un enjeu de pouvoir et toute tentative par un des acteurs du jeu social, qu'il soit régional ou planétaire, met aux prises tous les acteurs concernés de manière générale par la circulation, la détention et a fortiori par l'utilisation symbolique (production de peur) ou effective de ces armes. L'un des moyens du monopole de la violence est constitué par le contrôle effectif de ces armes (chez les autres).

Mais dans l'Antiquité comme dans les époques modernes, les armes ne sont pas seulement des moyens "militaires" mais aussi économiques. Elles deviennent des enjeux économiques, paradoxalement plus que des enjeux militaires lorsqu'elles se multiplient...

        Les acteurs aux prises n'ont pas seulement des motivations politiques : au fur et à mesure que les échanges économiques préoccupent (et occupent) de plus en plus d'hommes, que l'économique prend une part de plus en plus grande dans les valeurs sociales, ces motivations deviennent économiques au premier plan, au point que des peuples, des industriels, des commerçants oublient ou font semblant d'oublier que les armes servent à faire la guerre. Camouflée sous la dénomination de défense, la guerre est toujours potentiellement là. Dans des époques où les armes demeurent rares et chères, apanages de seigneurs ou de rois, propriétés privées de riches ou propriétés publiques de nations, limiter la guerre c'est d'abord restreindre les plages de temps et d'espaces de leur usage, pour des motifs souvent religieux. Dans des époques où la fabrication des armes devient industrielle, leur multiplication oblige à penser à d'autres moyens pour éviter une guerre : il s'agit d'agir maintenant directement sur leur contrôle et leur limitation. Souvent, aux diverses époques, une telle inflation d'armes existe aux lendemains de grandes batailles ou de guerres longues. Maintenant, quel que soit l'état politique du monde, elles se multiplient constamment. 

       Pour ne prendre que notre époque, l'écroulement de l'empire soviétique, la démobilisation parfois anarchique des troupes, l'abandon parfois brutal de camps militaires (lesquels peuvent recouvrir d'immenses surfaces), ont provoqué l'apparition sur les multiples "marchés" d'armement de "produits" de tout calibre, de toute force explosive, de tout usage... Et singulièrement d'armes classiques. Si dans les États suffisamment puissants pour s'arroger de façon effective le monopole d'armements, leur circulation est relativement restreinte et en tout cas clandestine, dans les zones aux États faibles, elle s'accroît et s'effectue parfois avec la complicité des agents de l'État normalement chargés de les contrôler. Et même dans les États suffisamment puissants, avec la multiplication d'officines privées militaires, sous le credo du libéralisme le plus débridé, leur circulation a tendance à s'accroitre

 

Une typologie des acteurs en jeu

   Dans ce cadre les acteurs en jeu se multiplient, des agents économiques aux États. Nous pouvons tenter de les sérier, d'en faire une typologie.

   Pour ce faire, il est indispensable de se défaire de l'impression de négociations sur le contrôle des armes, strictement d'États à États, dans les enceintes internationales. Après l'échec des négociations récentes à l'ONU en juillet 2012, les commentaires politiques (et encore plus journalistiques) se focalisent sur la responsabilité d' États ou de groupes d'État. Ainsi, si les 132 États membres de la conférence pour un traité international ont échoué, la responsabilité en reviendrait anecdotiquement à la volonté de l'Autorité Palestinienne d'y être représentée, et plus fondamentalement à l'attitude des États-Unis (selon la délégation française par exemple)... En fait cette Conférence met aux prises, directement ou indirectement, l'ensemble des acteurs impliqués dans la fabrication et la circulation des armements classiques :

- Les firmes, plus ou moins importantes, productrices de ces armements ;

- Les intermédiaires ou commerçants-tampons de ces armements, qu'ils soient légaux ou illégaux, sans compter sans doute des "passerelles" entre les deux ;

- Les États qui négocient, mais qui sont soumis aux pressions internes et externes ;

- Les Organisations Non Gouvernementales qui entendent représenter les peuples victimes passées, actuelles ou futures de l'utilisation de ces armements ;

- Les diplomates internationaux qui ont pour tâche de "maintenir la paix internationale" pour le compte d'organisations Internationales.

 

    Les firmes agissent, dans ces conférences, par l'intermédiaire même des représentants des États, entre ceux qui entendent pour des raisons politiques (nécessité de... s'armer!) et ceux qui entendent préserver l'emploi et les bénéfices de leurs complexes militaro-industriels.

     Les États ou groupements d'États qui entendent faire avancer la réglementation sont les moins impliqués dans la circulation des armes ou qui veulent tendre à la diminution de leur importance. Dans ce groupe, les pays européens sont souvent présents. Si l'ensemble des acteurs mis directement face à face tente d'aboutir, c'est sous la pression conjointe de la connaissance des effets pervers de la circulation libre de ces armes et de l'action de divers groupes humanitaires non gouvernementaux, ces derniers par l'intermédiaire de l'opinion publique.

     Nous retrouvons ce schéma dans maintes négociations internationales, et pas seulement sur les armements classiques. Les mêmes arguments opposent les protagonistes dans les négociations des différents traités d'interdiction d'armements non classiques et des différents traités de paix proprement dits. 

     Il serait intéressant d'entrer dans les détails des membres des différents groupes protagonistes. Ainsi, si quelques trafiquants (illégaux) célèbres sont bien connus, recherchés activement par de nombreuses polices, les divers lobbies d'armement agissent souvent dans l'ombre, approchant telle ou telle délégation d'État par des moyens plus ou moins acceptés par les instances internationales. Il serait même intéressant d'établir la composition des différentes délégations gouvernementales, à l'heure où les incessants passages (aller-retours) de fonctionnaires au cours de leur carrière du public au privé prêtent à toutes les tentations de conflits d'intérêts. Les carrières des diplomates internationaux peuvent être également suivies avec profit : nonobstant les règlements internes des divers corps diplomatiques, des conflits d'intérêts sont là aussi possibles. L'état de corruption généralisée à l'intérieur de certains États font hésiter à comprendre les différentes négociations comme simplement la confrontation entre intérêts étatiques. L'ampleur de la criminalité (notamment dans la liaison mafias-finances) commence à être évaluée de manière de plus en plus importante avec les remises en cause de la mondialisation, telle qu'elle a été menée jusque là après l'effondrement du système soviétique.

 

L'importance croissante des armements classiques

   Alors que jusqu'à la fin de la confrontation plus ou moins pacifique de deux blocs, les négociateurs des instances internationales se préoccupaient surtout des armes de destruction massive, plusieurs facteurs attirent leur attention sur le danger d'un marché international d'armes conventionnelles non réglementé.

Virginie MOREAU cite parmi ces facteurs : l'utilisation des armes conventionnelles et les technologies accumulées par l'Irak lors de la première guerre du Golfe, le rôle de premier plan joué par les armes légères et de petit calibre (ALPC) dans les guerres civiles des années 1990, ainsi que l'émergence du concept de la "sécurité humaine", qui traduit les préoccupations grandissantes concernant la protection des droits humains dans le cadre de conflits internes qui mettent en danger les populations civiles (comme dans l'ex-Yougoslavie...). "De fait, si le commerce des armes conventionnelles, écrit la spécialiste du GRIP sur les transferts d'armes, peut avoir des effets positifs sur la sécurité et la paix lorsqu'il est autorisé de manière responsable et contrôlé, ses conséquences peuvent être désastreuses, en particulier dans le cadre de transferts irresponsables et de trafics illicites. Elles se déclinent alors en terme de coût humain, mais aussi d'entraves au développement socioéconomique et humain, d'instabilité internationale et régionale, de menaces à la paix et à la sécurité, et varient d'une région à l'autre, en fonction des réalités de ce commerce qui leur sont propres."

Depuis deux décennies, poursuit-elle, "les initiatives pour réglementer les transferts d'armes se sont multipliées sous l'impulsion des États, d'organisations régionales et multilatérales, et de la société civile. Pourtant, la réglementation actuelle, que l'on se place au niveau international, régional ou national, reste très lacunaire."

 

Divers embargos et traités à l'efficacité limitée

    Pour l'instant, les divers embargos du Conseil de sécurité de l'ONU, sont les seuls instruments juridiques qui interdisent des transferts d'armes conventionnelles ou une aide militaire et technique vers des États ou des acteurs non-étatiques, avec toutes les contraintes que cela suppose dans leur déploiement (veto éventuel d'un des cinq membres permanents).

Les seuls outils à la disposition des diplomates pour élaborer de nouveaux outils juridiques qui aient force de loi (internationale) sont des outils très généraux comme la Charte de l'ONU elle-même. La commission du Désarmement de l'ONU a élaboré en 1966 des "Directives pour les transferts internationaux d'armes", mais ces principes n'ont pas d'aspects obligatoires pour les États. D'autres instruments existent qui couvrent certains types d'armes conventionnelles et certains aspects de leur commerce légal et illégal.

Deux catégories d'armes sont concernées :

- les armes "inhumaines", telles les mines antipersonnel et les bombes à sous-dimensions,

- les ALPC (Armes Légères de Petits Calibres (par le Programme d'action de l'ONU sur les ALPC et l'Instrument international de Traçage) et les armes à feu de la catégorie des ALPC (Protocole de l'ONU sur les armes à feu).

Il existe des instruments juridiques, par ailleurs, propre à l'espace européen ou encore à l'espace américain.

    De plus, les dispositions des instruments juridiques doivent être ensuite transposées au niveau national. Or tous les États ne disposent pas d'une telle réglementation. 

 

L'exemple du Moyen-Orient

    L'enjeu souvent occulté du commerce des armes au Moyen-Orient, où circule de nombreux armements, de manière légale ou illégale, illustre ce propos. Comme l'indiquent Les Cahiers de l'Orient, au printemps 2012.

Patrice BOUVERET, de l'Observatoire des armements (www.obsarm.org) rappelle le rôle et l'influence des grands pays exportateurs d'armements dans cette région. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU y constituent le "Top 5" des exportateurs au Moyen-Orient.

Renée MOUAZAN, du Réseau Foi et Justice Afrique Europe, montre l'imbrication des oppositions, des banditismes et des clivages ethniques et religieux dans cette région : "Aujourd'hui, aucune région du monde n'est à l'abri d'actions violentes imputables à des terroristes ou intégristes de tout bord. Cependant le monde arabo-musulman est particulièrement concerné et impliqué dans ces opérations, fléau pour notre temps tout particulièrement durant les deux dernières décennies. Idéologie, clivages ethniques ou religieux sont souvent à l'origine de ces violences." "Étant donné les visées de l'islamisme, les financements honnêtes pour les mettre en oeuvre doivent se faire rares, c'est pourquoi islamisme et banditisme ne sont pas sans liens". Des financements occultes provenant de ressources pétrolières se mêlent à de grands mouvements financiers provenant du blanchissement d'argent de braquages et de hold-up. Le marché des otages touche divers pays, sur terre comme sur mer. 

Jean-Marie CHARLES, chercheur associé au Centre Thucydide, décrit la mobilisation des ONG en faveur du désarmement et de la maîtrise des armements. "L'investissement des Organisations Non Gouvernementales sur la scène internationale a pris ces dernières années - en particulier depuis la fin de la guerre froide - une importance inédite qui reste toutefois très difficile à évaluer concrètement. Bien que la sécurité constitue une fonction régalienne qui revêt à ce titre une importance majeure aux yeux des États, elle n'a pas échappé à l'attention des ONG. Elle a même constitué au fil de la décennie 90, une figure de proue à partir de laquelle il pouvait paraître intéressant d'évaluer l'influence des ONG au sein de la société internationale. Le processus d'Ottawa conduisant à l'adoption d'un traité d'interdiction des mines antipersonnel, puis le processus d'Oslo concernant cette fous les armes à sous-munitions, tout comme la mobilisation des ONG à propos des ALPC ou plus récemment en faveur d'un Traité réglementant le commerce ces armes (TCA) semblaient en effet témoigner du poids que ces organisations possédaient désormais. Ces précédents accréditaient, en outre - au moins en apparence - l'idée d'une société civile internationale émergente, de même qu'ils légitimaient la volonté des ONG d'être associées plus étroitement aux négociations internationales, ne serait-ce que pas souci d'efficacité. La situation au Moyen Orient et en Afrique du Nord offre une perspective nouvelle invitant à nuancer ce constat. Cette zone est en effet restée longtemps à l'écart de la mobilisation des ONG en faveur du désarmement et de la maîtrise des armements. Quelques progrès ont toutefois été enregistrés récemment par des coalitions d'ONG. Ces progrès doivent néanmoins être relativisés, leur portée restant de surcroît des plus incertaines et leur signification ambiguë."

Jihan SENIORA, chargée de recherche au Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix et la sécurité (GRIP), expose la situation de l'Union Européenne. "...les pays européens semblent largement soumis, voire aveuglés, par leurs intérêts économiques. Ceux-ci les poussent inconditionnellement à vendre des armes à des pays souffrant, pour la plupart, d'un important déficit démocratique et peu respectueux des droits humains." Parmi les initiatives, encore de faibles portées, qui vont dans le sens inverse, elle s'étend sur la dernière initiative en date : la Position commune européenne en matière d'exportation d'armes, instrument légalement contraignant qui a remplacé en décembre 2008, le Code de conduite de 1998. Selon cette Position commune, au-delà de l'intérêt économique, les Etats exportateurs doivent, avant d'autoriser une vente, se poser des questions quant à la nature des armements, leur future utilisation et la fiabilité de l'acheteur. "Ceci est d'autant plus nécessaire qu'il est difficile de surveiller comment et par qui ces armes seront utilisées après leur transfert. Les fournisseurs d'armements oublient souvent que les armes ne sont pas des biens comme les autres ; elles peuvent être échangées au gré des envies de l'acheteur.(...)". 

 

Quelle portée pour le Traité sur le Commerce des Armes?

    Même lorsque la communauté internationale parvient à un véritable Traité sur le Commerce des Armes, comme lors de l'Assemblée Générale des Nations unies du 2 avril 2013, après une Conférence finale de négociations (du 18 au 28 mars), les termes du Traité portent les marques du conflit entre un intérêt général international dont les partenaires qui y sont favorable peinent à trouver les formulation juridiques et des intérêts particuliers, souvent privés.

La Résolution (A/67/L.58) qui porte sur ce Traité est adoptée par 154 États (bien au-delà des deux-tiers nécessaires) contre 3, 22 abstentions et 13 refus de vote. Des États qui se sont abstenus lors du vote expriment alors leur mécontentement par rapport à un texte qu'ils trouvent biaisé au profit des intérêts des pays exportateurs, les favorisant au détriment des pays importateurs. Le traité, même s'il concerne une large palette d'armements (même les systèmes d'armements lourds), exclut les équipements destinés aux forces de l'ordre, les transports de troupe (même blindés), les drones, une partie des munitions et pièces. Il s'attaque au commerce illicite plus qu'au commerce licite. Il ne fait pas référence aux livraisons d'armes à des "acteurs non-étatiques".

Le Traité s'attaque finalement stricto sensu au commerce des armements qui viole des embargos et obligations internationales, seulement à ceux qui sont porteurs d'un "risque prépondérant" d'utilisation, portant atteinte à la paix et à la sécurité internationale. Il se prête à l'invocation du droit à la légitime défense, reconnu dans l'article 51 de la Charte, voire même du risque terroriste, pour justifier telle ou telle exportation de système d'armement. Enfin, outre les obstacles qui peuvent s'opposer à sa ratification par certains Parlements nationaux, le texte n'engage que les parties signataires, et non l'ensemble de la communauté internationale, lorsqu'il entrera en vigueur à partir de la 50ème ratification. 

 

Les Cahiers de l'Orient : Un enjeu occulté : le commerce des armes au Moyen-Orient, n°105, Printemps 2012. Virginia MOREAU, Dossier sur le Contrôle des armes, Diplomatie n°58, Septembre-Octobre 2012.

 

ARMUS

 

Complété le jeudi 11 avril 2013. Relu le 22 janvier 2021

Revu le 25 mars 2016

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