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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 13:00

           Nous avons tendance à oublier que l'existence d'une armée permanente est relativement récente dans l'Histoire. Jusqu'à la fin du Moyen Age occidental et bien plus tard pour d'autres contrées, la règle était plutôt aux armées occasionnelles levées en cas de nécessité de défense ou par la volonté de conquêtes. Même pendant l'Empire Romain, l'existence d'armées permanentes ne fut pas toujours constante et ce n'est que par l'existence de la légion romaine en tant qu'outil de destruction et de construction (ingénieurs-soldats...) qu'une expérience dans le sens d'un enrôlement global (à défaut d'être généralisé) fut entrepris. Même dans ce dernier cas, ce n'était pas l'ensemble de la population qui était concernée par l'engagement dans une armée ou une autre. C'est à la fin des féodalités en Europe, au moment de l'affermissement des monarchies qu'un enrôlement de plus en plus étendu est constaté. L'existence d'une armée permanente elle-même n'a signifié une conscription généralisée qu'au milieu du XIXe siècle, au moment où l'existence de gros bataillons va de pair avec une très grande puissance de feu. Si de nos jours, pratiquement tous les États possèdent une armée permanente, différents moyens d'enrôlement sont utilisés, suivant les mentalités des populations et de leur plus ou moins grande réticence vis-à-vis de la chose militaire.

 

             Il est vrai que les débats les plus vifs sont observés en France où se mêlent les clivages partisans (monarchistes/républicains, puis droite/gauche), les conceptions des droits de l'individu face à l'État, l'esprit national, voire nationaliste, les réticences plus ou moins grandes des anciennes provinces, les clivages entre régions centrales et régions frontalières... Et ceci notamment depuis la Révolution Française, avec la loi Jourdan de 1798...  Cela ne doit pas nous empêcher de voir que dans les différents pays, d'autres débats ont lieu et d'autres solutions sont choisies pour assurer le fonctionnement de l'armée permanente. Si en Grande Bretagne, régie par l'habeas corpus, la règle est l'enrôlement volontaire avec recours à la conscription au cours de certaines guerres, aux États-Unis, dans la même tradition anglo-saxonne, est présente un autre rapport à l'armement (milices d'auto-défense locales...), qui alterne les périodes de conscription et les périodes d'armée entièrement professionnelles. Dans d'autres pays européens, le service national suit le modèle français avec de fortes variantes et le système mixte appel généralisé/armée de métier recueilli longtemps les faveurs des autorités civiles et des autorités militaires, avant les toutes récentes évolutions. Pour autant, ce n'est pas la France qui, en Europe, mis sur pied la première la conscription, mais la Prusse. Le service militaire obligatoire fut instauré par Frédéric-Guillaume 1er (1713-1740), despote surnommé le Roi Sergent, qui constitua l'armée fondement de la puissance prussienne. Il n'existe donc pas de lien obligatoire entre le service militaire obligatoire et le caractère démocratique d'un régime, et encore moins avec un régime révolutionnaire.

 

          C'est sans doute en France que les débats sont les plus passionnés, plus parce que beaucoup plus de personnes et d'organismes sociaux se sentent concernés par les différentes problématiques en cause, que parce que ces débats sont véritablement organisés. Beaucoup classent d'ailleurs la manière dont les choses évoluent en France dans le cadre d'une réforme sans débat. En ce sens, malgré les différentes opinions émises, il semble que ce soient les arguments internes à la sphère militaire qui l'emportent. Dans d'autres pays, l'opinion publique apparaît indifférente aux débats - exception faite des oppositions franches au système militaire ou militaro-industriel - partagée entre une indifférence hostile à l'enregimentement des individus par l'État (États-Unis, Angleterre) ou une indifférence méfiante vis-à-vis de tout ce qui touche à la guerre (autres pays européens). L'effet sur les populations civiles, les plus victimes des deux guerres mondiales, des destructions physiques, matérielles et morales causées par la guerre dans un système industriel et urbanisé entraîne une vision globalement négative envers les armées, même si le service militaire en tant que tel n'est pas majoritairement rejeté, étant conçu comme un passage inter-générationnel, un rite obligé, un devoir routinier. 

 

          Le débat sur les formes d'engagement militaire d'une population tourne autour de plusieurs paramètres que l'on retrouve d'un pays à l'autre, de manière tranchée en France, de manière plus ambiguë (car ne relevant pas d'une attention majeure) dans d'autres pays :

- temps de guerre/temps de paix : suivant la situation d'urgence ; avec des difficultés en cas de guerre prolongée, même sur le sol national ;

- positionnement partisan : les opinions varient suivant que leur tendance est ou n'est pas au pouvoir. Par exemple hostilité républicaine à une forte armée royale ou l'inverse ;

- engagement sur le territoire ou hors du territoire ;

- évolution technique des armées : plus l'équipement militaire requiert un apprentissage important, plus la tendance est vers la spécialisation, plus l'armée tend à devenir une affaire de professionnel ; 

- position géographique de la région où l'enrôlement a lieu (régions frontalières ou régions éloignées des lieux de combat) ;

- degré d'adhésion à l'État : dans un pays à une seule langue, une seule tradition, une philosophie et une religion fortement dominante, le service national est plus facile à imposer ;

- implication des différentes classes sociales : dans un système de tirage au sort, avec possibilité de rachat du temps de service, la progéniture des plus riches peut échapper aux positions les plus exposées au combat rapproché, voire au service tout court.... Par ailleurs, une tradition familiale militaire existe encore de nos jours. 

- situation économique : les conditions d'enrôlement en milieu rural (nécessité de l'agriculture) et en milieu urbain ne sont pas les mêmes. 

- situation du soldat par rapport à son propre équipement militaire au niveau financier : variation selon la participation financière du soldat. Ce dernier point a énormément moins de poids aujourd'hui, par rapport à une époque où le grade, le choix de l'arme, la qualité de l'équipement, dans le cas de l'engagement volontaire, avait une très grande importance. Sans compter une époque où l'on pouvait acheter le titre et le rang de combattant... 

    A ces paramètres, il faut ajouter un élément que la caractérisation officielle des troupes armées fait souvent oublier (police et armée) : les objectifs du pouvoir politique de maintien de l'ordre à l'intérieur des frontières sont souvent distincts juridiquement des objectifs de garde des frontières ou de défense des "intérêts vitaux", alors que la latitude d'action des gens d'armes, notamment lorsque le pays vient de traverser une crise ou même une guerre dite civile, lorsque les classes sociales se livrent une lutte armée ouverte ou simplement une lutte dure (grèves massives, paralysie du pays, manifestations incessantes) s'étend à l'un et l'autre domaine... La pratique de répartition des combattants suivant leur origine géographique par rapport à la région des combats (par exemple dans la bataille de la Commune) et celle de l'amalgame des combattants ayant appartenu auparavant à deux camps différents (par exemple après la Révolution française ou la guerre de Sécession aux États-Unis) se conjugue dans la réalisation de ces objectifs.

 

 

     Céline HISCOCK-LAGEOT et Stéphanie PAVAGEAN indiquent que "les arguments conduisant à la suspension du service national obligatoire reposent (en France) sur des considérations d'ordre stratégique qui, pour une large partie d'entre elles, existaient dès les années 1960. Durant toute cette période, la question de l'utilité des appelés et, corrélativement , du service national obligatoire ne s'est pourtant pas posée alors que les impératifs de l'appareil défensif l'exigeaient. Le choix de réformer le service national n'est finalement intervenu que commandé par l'urgente nécessité d'accorder moyens budgétaires et réalités du terrain."

C'est ainsi qu'un débat surtout interne aux armées s'instaure autour :

- de l'utilité d'une armée de masse en regard des besoin de la défense (surtout après la disparition de la bipolarité mondiale) ;

- de l'apport réel du contingent aux besoins de la défense (suivant le degré réel de préparation militaire des soldats...) ;

- de la pertinence de la forme du service militaire en regard des besoins de la défense.

  Les contraintes budgétaires constituent dans ce débat une donnée majeure qui balancent la perception de la conscription par la société française. l'étiolement progressif de l'adhésion nationale à son principe, qui va du désintérêt et du sentiment de perte de temps à la contestation de sa légitimité, notamment après la guerre d'Algérie. Même si finalement, la conscription est longtemps préservée, quitte à diminuer la durée du service ou à reconnaître officiellement l'objection de conscience, notamment sans doute par le poids des habitudes, sa suspension ou sa suppression est inéluctable, vu les nouvelles données politiques, militaires et géostratégiques (perte des colonies, fin de la guerre froide, technicité poussée des armées...), et cela dans la plupart des pays européens.

 

      Bernard BOENE et Michel Louis MARTIN introduisent en 1991, les contributions d'un Colloque sur la question Conscription et Armée de métier, en partant de 6 modèles à explorer face à l'évolution technique, politique et sociale, à savoir la baisse des effectifs imposée par les négociations FCE, qui mettent un terme à la guerre froide et appuyée par l'opinion publique, la pression en faveur d'une réduction globale des dépenses militaires (les dividendes de la paix...), la poursuite de la tendance "à l'augmentation de la densité technologique et à la substitution capital/travail dans les armées", la nécessité de forces d'intervention illustrée par la guerre du Golfe, la baisse de la ressource démographique en âge de faire le service militaire, la hausse graduelle du niveau d'éducation, donc de la durée des études et de la "tendance plus marquée que par le passé à l'autonomie des individus, à une plus forte revendication des multiples droits dont ils sont pourvus, une moindre tolérance à l'injustice (...) et sans doute à une moindre conscience de leurs devoirs de citoyen".

     Ces 6 modèles sont :

- Maintien du système actuel (armée mixte avec conscription universelle-égalitaire imparfaite) ;

- Passage à l'armée de métier ;

- Armée mixte avec conscription sélective assortie de contreparties ;

- Armée à deux vitesses, plus exactement à deux composantes, l'une professionnelle et polyvalente, l'autre appelée et vouée à la seule défense du territoire ;

- Armée mixte avec conscription universelle différenciée et à contreparties modulées (suivant la longueur du service, leur contenu, leur localisation...) ;

- Service national universel, à composantes civile et militaire (prise en charge par la composante civile de problèmes sociaux et économiques, dévolution à la composante militaire des tâches proprement militaires).

 

Sous la direction de Bernard BOENE et Michel Louis MARTIN, Conscription et Armée de métier, Fondation pour les Études de Défense Nationale, 1991. Sous la direction de Jean CLUZEL et Françoise THIBAUT, Métier militaire  et enrôlement du citoyen, PUF, Cahier des sciences morales et politiques, 2004.

 

                                                                                                                                       STRATEGUS

 

Relu le 29 février 2020

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