Suivant le fondateur de la psychanalyse, le contre-investissement est d'abord un processus économique, support de nombreuses activités défensives du Moi. Il consiste en l'investissement par le Moi de représentations, systèmes de représentations, attitudes, etc., susceptibles de faire obstacle à l'accès des représentations et désirs inconscients à la conscience et à la motilité.
Le terme peut désigner aussi le résultat plus ou moins permanent d'un tel processus (LAPLANCHE et PONTALIS). Cette notion de contre-investissement est invoquée par Sigmund FREUD principalement dans le cadre de sa théorie économique du refoulement. C'est donc une notion clé dans le système freudien.
"Les représentations à refouler, dans la mesure où elles sont investies constamment par la pulsion et tendent sans cesse à faire irruption dans la conscience, ne peuvent être maintenues dans l'inconscient que si une force, également constante, s'exerce en sens contraire. En général, le refoulement suppose donc deux processus économiques qui s'impliquent mutuellement :
- Retrait par le système Préconscient de l'investissement jusqu'ici attaché à telle représentation déplaisante (désinvestissement) ;
- Contre-investissement, utilisant l'énergie rendue disponible par l'opération précédente."
Ce contre-investissement a pour résultat de maintenir une représentation dans le système d'où provient l'énergie pulsionnelle, cette représentation empêchant le surgissement de la représentation refoulée. L'élément contre-investi peut être de différentes natures : un simple rejeton de la représentation inconsciente (formation substitutive, animal phobique par exemple) ou un élément s'opposant directement à celle-ci (formation réactionnelle, par exemple : sollicitude exagérée d'une mère pour ses enfants recouvrant ses désirs agressifs ; souci de propreté venant lutter contre les tendances anales...). Cette notion de contre-investissement, toujours selon le dispositif freudien classique, n'est pas seulement utilisable en ce qui concerne la frontière des systèmes inconscient d'une part, et préconscient d'autre part (auquel cas la notion ne serait valable que dans la première topique), mais se retrouve aussi dans un grand nombre d'opérations défensives : isolation, annulation rétroactive, défense par la réalité, etc. Dans de telles opérations défensives ou encore dans le mécanisme de l'attention et de la pensée discriminative, le contre-investissement joue aussi à l'intérieur même du système préconscient-conscient. Sigmund FREUD fait également appel à la notion de contre-investissement dans le cadre de la relation de l'organisme avec l'entourage pour rendre compte des réactions de défense à une irruption d'énergie externe faisant effraction dans le pare-excitations (douleur, traumatisme). L'organisme mobilise alors de l'énergie interne aux dépens de ses activités qui se trouvent appauvries d'autant, afin de créer une sorte de barrière pour prévenir ou limiter l'afflux d'excitations externes.
Comme LAPLANCHE et PONTALIS, Paul DENIS présente le contre-investissement comme une modalité particulière de l'investissement utilisé dans un but défensif par le Moi, le contre-investissement permettant à la fois de désigner le rôle dynamique défensif de certains investissements et d'envisager la dimension économique du refoulement.
La formation de cette notion débute chez Sigmund FREUD dès L'interprétation des rêves (dans l'étude du refoulement) et est reprise dans Inhibition, symptôme et Angoisse (1926). Il y souligne que la pression constante des pulsions exige une contre-pression incessante. Dans L'inconscient (1915), il assigne au contre-investissement un rôle de maintien de cette contre-pression, mais aussi celui de l'organisation du point d'appel permanent condition du refoulement, le "refoulement originaire" : "Le contre-investissement est le mécanisme exclusif du refoulement originaire (...) Il est tout à fait possible que ce soit précisément l'investissement retiré à la représentation qui soit utilisé pour le contre-investissement". C'est donc une notion constante dans l'oeuvre du fondateur de la psychanalyse, étudiée spécialement ensuite par Julien ROUART (1967).
Seul Serban IONESCU et ses collaborateurs discutent du contre-investissement de manière consistante. Ni Anna FREUD, ni le DSM-IV, ni encore J. Chistophe PERRY(Mécanismes de défense : principes et échelles d'évaluation) ou Henri CHABROL (Mécanismes de défense et coping) ne s'y attachent particulièrement, comme si cette notion était plutôt de l'ordre constitutif de la théorie, comme l'est celle des complexes. Il s'agit d'une notion principalement économique.
Les premiers auteurs définissent le Contre-investissement comme l'Énergie psychique du Moi qui s'oppose à la tendance à la décharge de la pulsion. Force inconsciente contraire et au moins égale à celle qui, en provenance du Ça, cherche à parvenir à la conscience. Le but du Contre-investissement est donc de maintenir le refoulement. Le rapport de complémentarité et d'opposition avec le refoulement pose le problème de savoir s'il appartient ou non aux mécanismes de défense. "Doit-il être considéré comme un corollaire du refoulement et se révéler alors comme le support de bon nombre d'opérations défensives où ce dernier mécanisme est dominant, ou bien doit-il être répertorié comme un mécanisme de défense au fonctionnement spécifique? On voit bien l'ambiguïté de cette question selon les diverses positions doctrinales actuelles. Dans le sillage de son père, Anna FREUD ne retient pas le contre-investissement. Par contre, BERGERET (1972/1986, Psychologie pathologique, Masson) en fera la première notion étudiée en tant que méthode de défense, décrite selon le modèle freudien à partir du refoulement."
On peut dire, écrivent les même auteurs, "que le mécanisme de contre-investissement sert de support à l'ensemble des mécanismes de défense. Ainsi l'on pourrait parler de "déplacement par contre-investissement", de "projection par contre-investissement". En leur conférant une charge énergétique non plus égale mais supplémentaire, ces contre-investissements renforcent du même coup la stratégie de protection, jusqu'à enfermer le sujet dans un activisme qui est une activité de sur-investissement. Tel peut être compris l'engouement pour les pratiques sportives qualifiables de "conduites à risque" ou la "recherche de sensations" supposée contribuer à "être bien dans sa peau". On voit combien, pour ceux qui s'adonnent à ces pratiques de façon effrénée ou exclusive (...) la primauté du sensoriel, en particulier à l'adolescence, sert à contre-investir le monde interne des émotions et des fantasmes vécus comme inconsciemment dangereux, de par la force pulsionnelle qui les accompagne. Le contre-investissement s'est ici conjugué au mécanisme de déplacement." D'une façon générale, tout contre-investissement est un déplacement d'investissement." Il existe une parenté entre le contre-investissement et le renversement en son contraire, lien étudié par LE GUEN et ses collaborateurs (Le refoulement (Les défenses), 45ème Congrès des psychanalystes de langue française des pays romans.).
Le modèle de la névrose obsessionnelle illustre sans doute le mieux la manière dont le Moi se cramponne à ses contre-investissements. Tout le cortège des symptômes obsessionnels peuvent apparaître comme des facteurs de disjonction et donc de contre-poids à la poussée pulsionnelle. D'une manière générale, le "choix" du contre-investissement symptomatique répond à une logique de l'inconscient propre à chaque sujet. Le but de la relation thérapeutique est de permettre le décryptage du sens caché des symbolisations présentes dans la névrose par exemple. ”
Daniel LAGACHE, discutant de la théorie psychanalytique des affects systématisée par exemple par David RAPAPORT, qui donne une place importante à la constitution héréditaire de l'être humain et au fonctionnement primitif des émotions. "Le fonctionnement primitif des émotions est décrit par référence au stade théorique que domine le principe du plaisir, expose Daniel LAGACHE, ce qui veut dire, en style psychologique, précarité de la vie de relation, infirmité des perceptions extéroceptives et du proprioceptif, en bref du corporel. Ce qu'il faut souligner, c'est que, dans un tel régime, l'émergence d'un besoin motive le sujet dans le sens de l'exigence d'une satisfaction "immédiate", aussi rapprochée que possible ; or, si protégé que soit l'enfant, il survient toujours des circonstances où un intervalle se fait sentir entre l'émergence du besoin et sa satisfaction ; dans de nombreux cas, l'intervalle est appréciable. Dans cette conjoncture, le sujet répond par une décharge affective massive, c'est-à-dire par une modification auto-plastique, toute modification active de l'entourage étant hors de question. Selon la conception analytique, la décharge affective fonctionne comme une soupape de sûreté de la pulsion, l'allégeant de la part de la pulsion qui est conceptualisée comme "charge affective". Comme l'idée, et sur le même plan que l'idée dont l'expérience montre qu'il peut avoir un sort différent (être réprimé alors que l'idée est exprimée, ou inversement), l'affect constitue dans cette perspective un représentant de la pulsion. La conception du développement à laquelle se réfère Rapaport permet de caractériser sa position comme "classique". Au principe de plaisir se superpose le principe de réalité, ce qui veut dire, en termes psychologiques, développement de la vie de relation, des perceptions et des actions extérofectives et, en termes psychanalytiques, différenciation de l'appareil psychique (Ça, Moi et SurMoi) et surtout développement du Moi. L'aspect du principe de réalité que Rapaport fait le plus intervenir est le développement de la "capacité d'ajournement" ; tout se centre sur les délais imposés par la réalité et l'intériorisation de ces délais, avec, pour conséquence, l'altération des seuils de décharge innés et le développement d'opérations et d'attitudes de défense. La compression relative des pulsions entraîne un usage plus fréquent et plus varié des voies de décharge affective et des charges affectives correspondant aux pulsions.
Un aspect particulier, très important, de ce développement est l'intervention plus fréquente de l'expérience mentale : l'absence de décharge y favorise l'expression affective. Quelles sont, pour les affects, les conséquences de tout cela? La décharge affective devient moins automatique et moins massive. Avec de nouvelles voies de décharge affective apparaissent des affects plus complexes et plus subtils. la charge affective devient elle-même objet du contre-investissement défensif. Surtout, c'est le développement de la fonction de signalisation des affects : des affects modérés servent dorénavant de signaux contre le danger extérieur et contre le danger intérieur de l'inondation affective : "Le Moi, écrit Rapaport, qui à l'origine subissait les affects passivement, parvient à les contrôler et à se libérer sous la forme modérée de signaux d'anticipations" (On the psychoanalytic theory of affects, in Psychoanalytic Psychiatry and Psychology, New York, international Universities Press, 1954).
Daniel LAGACHE, Intervention à la suite de la communication de Jacques LACAN : "La psychanalyse et son enseignement", 1957, dans Agressivité et structure de la personnalité et autres travaux, Oeuvre tome IV, 1956-1962, PUF, 1982. Paul DENIS, article contre-investissement, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, sous la direction d'Alain de MIJOLA, Hachette Littératures, Grand Pluriel, 2002? Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003.
PSYCHUS
Relu le 27 août 2020