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31 mai 2012 4 31 /05 /mai /2012 08:29

         De nombreux auteurs insistent pour se détacher des images d'Epinal ou des représentations romantiques (diffusées par le texte ou l'image) du grand banditisme, afin de mieux se rendre compte à la fois d'une certaine banalité de la criminalité et de ses objectifs.

La criminalité cherche surtout à se cacher, à dissimuler ses activités, voire à leur donner une apparence de légalité ou de moralité (la problématique de l'honneur...) qui les mette à l'abri à la fois de l'opprobre publique et des investigations et poursuites. Cette banalité de la criminalité se révèle dans les formes mêmes des activités économiques qui embrassent, pratiquement par mimétisme, les méthodes du capitalisme. Sans que ce capitalisme puisse être assimilé à une certaine criminalité, sans que celui-ci puisse être qualifié d'intrinsèquement criminel, il faut se rendre compte qu'en l'absence de contrôle et des limites imposées par des législations diverses et variées, ses agents se comportent comme de vulgaires bandits, dotés d'une certaine respectabilité de surcroît. Les agissements de firmes internationales dans un espace non doté d'un droit international commercial applicable partout (évasion fiscale, circulation de substances avariées ou dangereuses) indiquent cette réalité assez dure. Autant les firmes qui agissent dans des espaces nationaux soumis à des lois et des règlements parfois vigoureux et rigoureux peuvent être considérées comme "honnêtes" par les consommateurs finaux des biens et services proposés, autant les firmes qui peuvent faire circuler des capitaux de toutes formes dans un espace international où l'absence de réglementation est parfois patente ont tendance à ne pas se donner des limites à leurs activités. Le primat du profit, et du profit le plus élevé et le plus rapide, donne au capitalisme international des allures de conflit entre pègres concurrentes. A une autre extrémité, le banditisme organisé, les différentes organisations criminelles apprennent (mal) à utiliser les mêmes techniques de valorisation d'un capital acquis illégalement, sans aucun souci de moralité ou de légalité. A un point tel que leurs activités se mêlent de manière globale à la marche du capitalisme.

Jusqu'à quel point le capitalisme se criminalise t-il? Jusqu'à quel point la criminalité influence t-elle la marche même du capitalisme? C'est là que les analyses peuvent diverger, à commencer par l'évaluation quantitative du phénomène. Un point sur lequel s'accorde toutefois les observateurs, c'est l'utilisation de la violence, de la part des organisations criminelles (mais pas de toutes...) comme recours assez précoce pour réguler la concurrence...  La circulation de plus en plus importante d'armements de toutes sortes (des couteaux aux... missiles) favorisent ce recours, d'autant que le commerce international des armes lui-même mêle agents soucieux de la légalité et acteurs qui n'en ont cure...

 

La notion incertaine de criminalité...

       Serge SUR nous rappelle que "la notion même de criminalité est relative, puisqu'elle dépend des définitions du droit pénal positif, et que celui-ci diffère selon les États, même si grosso modo ils prohibent les mêmes comportements. Violation consciente, délibérée, collective et durable de la loi, ou encore détournement frauduleux de la loi, telle pourrait être sa définition. La violence entre les personnes n'en est qu'une des formes, la plus visible, mais pas la plus efficace, puisque son objectif est la prédation, le profit individuel, l'enrichissement de l'ensemble de ses acteurs au détriment de la collectivité - ce qui devrait les rendre moins sympathiques, puisque leur victime est avant tout la société qu'ils parasitent. La galaxie des activités criminelles épouse l'ensemble des activités humaines, et le vice - corruption, drogue, prostitution... - n'en est que l'un des marchés, puisqu'on y trouve aussi bien les contrefaçons multiples, trafics de fausse monnaie, faux médicaments, pierres précieuses, fraudes bancaires, blanchiments divers, pillage des fonds publics, rackets, cybercriminalité, etc. Si la criminalité organisée concerne largement les sociétés internes aux États, elle développe également une activité transnationale croissante, elle devient en quelque sorte la face noire de la mondialisation, ce qui ne facilite par la lutte contre elle. Les groupes criminels sont généralement organisés, hiérarchisés, suivant une logique qui dépend beaucoup de leur environnement culturel, dans une relation complexe les uns avec les autres, de sorte qu'ils forment un objet d'étude pour les sociologues et même les politistes.

Récusant les règles du jeu social et légal, ils semblent n'obéir qu'à un état de nature à la Hobbes - loi du plus fort, domination de fait, prédation, méfiance, loi du talion. Et même ne relèveraient-ils pas de l'éthologie comme science du comportement animal, où l'insécurité et la survie seraient les seules règles? En réalité, ces microsociétés clandestines ont leurs propres codes qui en font des sociétés parallèles. Le contrat, sous une forme primitive et informelle, marque leur fonctionnement. Comme elles sont enkystées dans des sociétés plus vastes et régulières, elles agissent souvent à l'interface de la légalité et de l'illégalité - ce qui rend leurs relations avec les États particulièrement ambiguës. Elles constituent enfin un signe autant qu'un instrument d'une insuffisance de la cohésion sociale, voire de dissolution du lien social." 

Le docteur en droit de l'Université de Caen et membre du Centre Thucydide (Analyse et recherche en relations internationales) indique que "la mondialisation économique n'a évidemment pas créé la criminalité organisée. Son activité internationale existe depuis longtemps (...). Elle n'a pas non plus développé la dérive criminelle de certains mouvements, violente pour ceux qui se disent de libération, ou économique pour certaines sectes religieuses. Les premiers ont d'abord cherché des sources de financement qui ont pu devenir leur souci principal, à l'abri d'objectifs politiques ou idéologiques revendiqués. Les secondes ont été parfois conçues et organisées comme des entreprises à but financier, et ont prospéré sous le masque de la quête spirituelle. Ces organisations non gouvernementales d'un type particulier ou ces acteurs non étatiques délinquants ne sont pas nouveaux. Les groupes criminels ont toujours joué des différences des législations, du saute-mouton à travers les frontières, et contribué à une transnationalisation économique clandestine. La mondialisation leur offre des terrains de chasses beaucoup plus vastes et ouverts. Associés aux nouvelles technologie, l'internet spécialement, qui universalise jeux en ligne, piratage de cartes bleues ou de comptes bancaires, commercialisation des contrefaçons, vente de produits interdits dans certains États, pillage de données, la criminalité organisés permet à des groupes occultes de développer des activités nouvelles contre lesquelles police et justice sont d'abord prises de court, de disposer ainsi d'un temps d'avance sur les appareils de surveillance et de répression. La contradiction entre une société internationale toujours fragmentée en États et ainsi entre systèmes juridiques indépendants d'un côté et, de l'autre, une société transnationale ouverte et fluide, conduit à donner un avantage considérable à la criminalité organisée. Elle peut en outre s'appuyer sur la tendance à l'ouverture des frontières et à la libération des échanges, qui implique un abaissement des standards et un desserrement des  contrôles."

A cette prédation s'ajoutent, selon lui toujours, "les menaces pour la sécurité internationale." Le développement de la piraterie maritime, la généralisation des transports des marchandises par conteneurs clos et dotés d'une protection juridique, sans compter le développement des organisations para-militaires ou de sécurité les plus diverses, contribuent à rendre moins sécurisée la circulation dans le monde. L'implantation à l'intérieur des États de groupes criminels qui s'y constituent des protections de toutes sortes, par capillarité de formes plus ou moins brutales de corruptions, rend encore plus difficile la lutte judiciaire et sécuritaire des États ayant la volonté de combattre cette criminalité internationale.

 

Corruption et criminalité

      La corruption est à l'origine de dommages considérables dans tous les pays et particulièrement les plus pauvres, expliquent Julien COLI, délégué général à Transparency International France et Marina YUG, chargée d'études juridiques dans la même organisation. "La corruption peut se définir comme "l'abus d'une position publique en vue d'un intérêt privé". Elle emprunte des formes très diverses : détournements de fonds publics par des dirigeants - par exemple le pillage des revenus du pétrole dans les pays producteurs à faible gouvernance -, sommes extorquées par des fonctionnaires abusant de leur pouvoir - par une menace d'amende injustifiée si un backchich n'est pas versé -, autorités de contrôle soudoyées pour fermer les yeux sur le non-respect d'une réglementation, autorités publiques achetées pour prendre une décision partiale au mépris du principe d'égalité entre les citoyens - lors de décisions de justice, de l'octroi de marchés publics ou de permis de construire, etc.

La corruption active consiste à proposer de l'argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d'un avantage indu. La corruption passive consiste à accepter cet argent ou ce service en connaissance de cause. La notion de corruption est complexe à appréhender puisque l'appréciation portés sur un même comportement diffère selon l'angle d'approche. En effet, alors que du point de vue du droit la corruption se réduit à ce que la loi définit comme tel, la définition peut être plus large d'un point de vue moral. De même, la définition et le regard portés sur la corruption sont différents en fonctions des régions du monde. Le népotisme, sévèrement condamné dans les pays du Nord de l'Europe, choque beaucoup moins dans ceux du Sud. La corruption recouvre de nombreuses réalités : le fonctionnaire d'un pays en développement qui extorque un pot-de-vin de quelques dollars alors qu'il n'a pas touché de salaire depuis plusieurs mois se trouve dans une situation très différente de celle du ministre qui empoche une commission de plusieurs millions de dollars dans le cadre d'un contrat international signé entre son pays et une multinationale. 

Malgré l'impossibilité d'adopter une approche homogène pour toutes les pratiques susceptibles d'être assimilées à de la corruption, la communauté internationale a néanmoins progressivement pris conscience du fait qu'il s'agissait d'un fléau à combattre en priorité. Entraînant une inégalité entre les citoyens devant la loi, elle constitue une atteinte aux droits de l'homme et aux principes démocratiques.

Elle a aussi un coût financier considérable : selon le rapport mondial 2009 sur la corruption de Transparency International, la corruption fait augmenter le coût des marchés publics de 10%, ce coût étant ensuite répercuté par l'entreprise sur le consommateur final. Plus grave encore, la corruption mine l'esprit civique et entraîne une perte de confiance des populations dans les institutions et les dirigeants. La corruption touche davantage les plus défavorisés et aggrave donc la pauvreté." 

Dans leur analyse, ces auteurs indiquent l'ampleur importante de la corruption dans le passage des grands contrats internationaux. Ils pointent la responsabilité des États d'origine des entreprises, celle de l'État d'accueil et celle des entreprises, ces trois grandes catégories d'acteurs utilisant souvent la corruption dans leurs calculs stratégiques.

 

La notion de crime transnational organisé

    Selon Michael KOUTOUSIS et Pascal PEREZ, "s'il faut chercher une date de naissance au concept de crime transnational organisé (CTO), celle-ci se situerait à la fin (ou l'effondrement) des empires. En effet, la multiplication des frontières, la perte de marchés jusque-là abordables, la crise majeure que vit, dans toute la Mittleleuropa et l'Empire ottoman, la classe moyenne par la perte de ses vastes marchés et des nouvelles ségrégations de minorités la constituant, transforme certains de ces membres en aventuriers par nécessité. Ne sont pas rares les pharmaciens, chimistes, docteurs et commerçants qui, en continuant de faire "comme avant", entrent, par la force des choses, dans une certaine illégalité transfrontalière. Ainsi, pendant l'entre-deux guerres, les figures charismatiques du crime organisé ne sont pas issues de la "frange" de la "classe laborieuse" mais plutôt des classes moyennes dont ils ont la culture, l'éducation, la mobilité et le savoir-faire (BLOCK A, European Druf Trafic and Trafikaters betwin the Wars, the Policy of Suppression and its Consequences, dans Journal of Social History, vol 23, n°2, 1989). Si l'histoire ne se répète pas (ce qui selon nous est un adage facile...), du moins elle hoquette : l'effondrement de l'Union Soviétique, les guerres du Caucase, des Balkans et d'Asie Centrale, le morcellement territorial libanais, les guerres africaines autour de frontières et des alliances politiques tribales et transnationales, génèrent les même effets."

Les deux auteurs décrivent la structuration des organisations dans les années 1980 et détaillent le fonctionnement de la poly-consommation et du poly-trafic. Ils précisent que les statistiques policières judiciaires tendent à porter quasi exclusivement sur la partie de cache-cache et non pas sur les grossistes-trafiquants. Or l'évolution n'est pas du tout à la multiplication de micro-trafics segmentés, mais plutôt à la constitution de conglomérats. "Le temps des conglomérats, de la suprématie des services (être en possession d'une filière qui a fait ses preuves) de la complémentarité et de la coopération entre très gros opérateurs a pris le dessus sur une activité "artisanale" et diasporique qui avait maîtrisé le trafic tout au long du XXe siècle." On assisterait à une véritable concentration capitalistique

"Cependant, poursuivent-ils, et plus particulièrement au sein de pays en conflit, des non-États, ou des espaces sous le contrôle d'une force politico-militaire (guérilla, milices, clans, fares, seigneurs de la guerre, etc.) persiste la tentation de contrôler l'ensemble des activités sur un produit (production, transformation, cheminement, distribution, blanchiment des bénéfices) pour la simple raison que plus une activité se situe vers la fin de la chaîne et plus elle est génératrice de bénéfices. (...) Cela s'appelle globalisation. L'après-Madoff rend sa vraie proportion à l'impact des activités purement criminelles, du moins du point de vue financier. Sans être un phénomène nouveau, le crime économique perpétré par les protagonistes de l'économie dite formelle (sensée, intégrée et comptabilisée) reste impuni tandis que les mêmes actes, portant sur des sommes modestes, sont considérés par le droit comme de l'escroquerie qualifiée (vendre un produit qui n'existe pas), de l'abus de confiance (proposer comme patrimoine une dette), de l'abus de pouvoir (rendre insolvable son propre créancier), de blanchiment d'argent (intégrer de l'argent issu d'activités non déclarées dans le pot commun d'une société ou du marché obligataire), du chantage (refus de payer cotisations ou autres charges sociales sous la menace de faillite), etc. L'outil juridique existe mais ne s'applique qu'aux petits acteurs. Déjà à l'aube des années 1980, les crimes des cols blancs représentaient 75% des masses monétaires de l'ensemble des activités criminelles. Aujourd'hui, la nouveauté consiste au fait qu'il n'y a plus de séparation entre les activités économiques formelles et ceux du crime organisé : les uns et les autres utilisent outils et procédures qui étaient propres à chacun encore il y a vingt ans. Au point qu'Antonio Maria DA COSTA, directeur de l'UNODC jusqu'en 2010, pouvait affirmer "que l'argent des trafiquants de drogue injectés à l'économie financière a sauvé les banques de la crise financière" (The economics of crime, avril 2011, Costa corner (blog), htpp//www.antoniomariacosta.com).

Cela aurait été impossible sans les extraordinaires avancées des télécommunications (internet) et la fluidité incontrôlée (et sans doute désormais incontrôlable) des transferts et autres ordres financiers. Si les autorités se focalisent sur les arnaques à la carre de crédit, les délits liés à la pédophilie et le terrorisme sur internet, peu de chose ont été faites pour se rapprocher un peu soit-il de la vitesse des transferts et pour contrer la relation structurelle existant entre l'économie formelle (banques) et l'économie informelle et criminelle (offshore, paradis fiscaux, produits financiers n'existant qu'en ligne, banques informelles, etc). 

 

Michel KOUTOUZIS et Pascale PEREZ, Crimes, trafics et réseaux, Géopolitique de l'économie parallèle, Ellipses, 2012. Serge SUR, Crimes sans châtiment, Julien COLI et Marina YUNG, Corruption internationale : activités prospère, lutte imparfaite, dans Questions Internationales, Dossier Mondialisation et criminalité, La Documentation Française, n°40, novembre-décembre 2009. 

On consultera avec profit sur cette question : Alain BAUER et Xavier RAUFER, Le nouveau chaos mondial, Editions des Riaux, 2007 ; Marie-Christine DUPUIS-DANON, Finance criminelle, PUF, 2004 ; les sites d'Europol et d'Eurojust

 

ECONOMIUS

 

Relu le 17 novembre 2020

 

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