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17 décembre 2010 5 17 /12 /décembre /2010 14:38

           Jusqu'à une période récente, indiquent en 1995, Jacques FONTANEL et Manas CHATTERJI, "le désarmement n'a pas vraiment inspiré les économistes, et s'il y a des analyses souvent contradictoires de l'économie de l'armement, il n'existe pas vraiment de théorie économique du désarmement."

Même si de nombreuses études sont réalisées depuis, il faut constater que soit parce que les économistes qui y travaillent sont très peu nombreux (déjà sur les relations entre armement et économie...), soit parce les organisations nationales et internationales qui financent en grande partie ces études sont focalisées sur des problèmes très précis (organisation de l'économie après une guerre civile, relation entre course aux armements et pollutions...) ou d'autres problématiques (développement durable...), soit encore parce que dominent dans les esprits les problèmes liés à la mondialisation et à la financiarisation de l'économie - même si précisément l'armement y a une part active... peu de progrès sont réalisés depuis cette constatation. 

"L'effort de défense produit des résultats ambigus, car s'il est souvent jugés très onéreux en terme de coûts d'opportunité dans le cadre d'une économie mondiale sans frontières (en créant des distorsions importantes, eu égard aux conditions d'une production efficiente), il n'en apparaît pas moins nécessaire pour protéger les richesses nationales des convoitises externes, sauf si cette fonction est assurée par les autres grandes puissances, comme ce fut le cas pour le Japon et la RFA après la dernière guerre mondiale. Un désarmement, souvent conçu comme une variable exogène dans les modèles macro-économiques, alors que l'influence des variables économiques sur sa réalisation n'est pas négligeable, conduit à une redistribution partielle des cartes de compétitivité internationale et il modifie certains équilibres fragiles, avec l'émergence de tensions parfois insupportables que supposent les périodes de mutation. Pour les partisans du nouvel ordre économique international, le désarmement apparait plutôt comme une conséquence du développement. Dans ces conditions, les processus de désarmement passent d'abord par le développement des pays les plus pauvres et par une redistribution plus équitable des ressources mondiales. Les conflits ne s'arrêtent pas à la production d'armes. Ils s'expriment aussi dans les dominations économiques, politiques ou culturelles.

Le désarmement conduit inéluctablement au déclin des industries d'armement, à la diminution des emplois dans l'armée et à une réduction des activités des secteurs directement ou indirectement concernés par les dépenses militaires (régions, industries, fournisseurs, etc.). Dès que l'on parle de conversion, on en vient à évoquer les précédents des charbonnages, de la sidérurgie, de la construction navale. Cependant, si certaines caractéristiques sont communes, on conçoit aisément que la crise des dépenses militaires, par nature improductives et par objet potentiellement destructrices, ne peut, en elle-même, susciter des regrets autres que ses incidences négatives sur l'économie et la réduction éventuelle du seuil satisfaisant de sécurité. Les dépenses d'armement conduisent à des effets d'éviction, mais leur réduction rencontre d'importants obstacles : pour faire face à ces difficultés, il est nécessaire de connaître à la fois les procédures ainsi que les propositions et principes de conversion des industries d'armement."

 

       Pour Jacques FONTANEL encore, le désarmement pose trois grands problèmes sur le plan économique :

- Au niveau macro-économique, le désarmement exerce-t-il sur les économies contemporaines des effets défavorables pour les pays développés, favorables pour les pays en voie de développement?

- Quels sont les problèmes de reconversion rencontrés?

- Toute reconversion conduit-elle au développement?

       Sur les économies nationales, le désarmement montre de leur part une grande souplesse : "Les États-Unis (dans l'immédiat après-guerre mondiale), par exemple, ont diminué leurs forces armées de 11,6 millions de personnes en 1945 à 1,5 million en 1948. Dans le même temps, le budget d'armement a été réduit de 81 milliards de dollars à 12 milliards de dollars. Les craintes exprimées quant au développement du chômage se sont révélées non fondées, puisque le nombre des chômeurs en 1948 était inférieur à celui d'avant-guerre. Pratiquement tous les pays développés ont réussi, sans grande crise, la reconversion de leurs activités.

Le dernier plan de reconversion des activités militaires en activités civiles a été l'oeuvre de Lyndon JOHNSON, EN 1965 (?). Dans le rapport économique du président, il prévoyait de nouvelles dépenses en capital du gouvernement fédéral, destinées à compenser la diminution des dépenses affectées à la guerre du Vietnam. Le plan devait commencer dès 1972 et il proposait une dépense annuelle de 39,7 milliards de dollars, consacrée à une longue liste d'activités civile placées directement sous la responsabilité du gouvernement (éducation, sécurité sociale, développement économique, fourniture d'eau, développement des ressources naturelles, transports, exploration spatiale et scientifique, aide économique étrangère, développement de l'urbanisme). Cette proposition, l'un des derniers actes du Président, définissait enfin le contenu des "dividendes de la paix", c'est-à-dire des bénéfices économiques que la société américaine recevrait de la fin de la guerre du Vietnam. Malheureusement, cette procédure n'a eu aucune suite et malgré les nombreuses propositions tendant à favoriser une législation sur la reconversion, aucune n'a débouché concrètement sur une loi.

Une procédure de désarmement peut avoir des effets fort différents sur les économies nationales. Ainsi, dans l'hypothèse d'un désarmement non accompagné de transfert vers les pays en voie de développement, l'économie française recevrait une impulsion favorable à la croissance et à l'équilibre des prix, alors que l'économie américaine aurait sans doute à faire face à de nouvelles tensions inflationnistes. S'il y avait transfert vers les pays en voie de développement, l'effet du désarmement pourrait avoir un effet déflationniste et récessionniste, qui dépendrait évidemment des modalités et du montant des transferts.

Pour les pays en voie de développement, les effets d'une procédure de désarmement, par exemple sur l'économie israélienne productrice d'une partie de ses armes ou sur l'économie marocaine importatrice de ses armes, seront très différents, sans doute négatifs dans le premier cas et positifs dans le second. D'autre part, les transferts de ressources vers les pays en voie de développement peuvent ne bénéficier qu'au groupe au pouvoir ou favoriser les importations, engendrant ainsi des effets inflationnistes graves et un développement des inégalités sociales."

        Concernant l'économie mondiale, Jacques FONTANEL fait état des scénarios élaborés par Wassily LEONTIEFF et Faye DUCHIN sur le modèle d'échanges inter-industriels de l'économie mondiale mis au point pour l'ONU. Un tableau met en évidence les résultats obtenus pour le produit intérieur brut par habitant selon trois scénarios de désarmement :

- le scénario de base représente une projection de la course aux armements actuelle pour l'année 2000. Elle aboutit à des dépenses militaires de 646 milliards de dollars (1970), des achats de matériels militaires de 266 milliards de dollars (1970) et un commerce des armes de 37 milliards de dollars (1970).

- le scénario suivant représente un effort substantiel de désarmement. Les États-Unis et l'URSS utilisent seulement les deux tiers de leurs dépenses militaires du scénario de base et ils sont à parité. Pour les autres pays, les dépenses militaires représentent 75% et 60% des valeurs correspondantes du scénario de base en 1990 et en 2000 :

- le troisième scénario reprend les chiffres du second, mais il considère le transfert de ressources des pays développés vers les pays en voie de développement, à concurrence respectivement de 15% en 1990 et 25% en 2000 des sommes épargnées par la réduction des dépenses militaires. L'aide s'adresserait aux pays d'Asie à faibles revenus (45%), les pays d'Afrique tropicale (30%), les pays d'Afrique aride (15%) et les pays d'Amérique Latine à moyens revenus (10%).

   Les simulations de ces calculs économétriques "mettent clairement en évidence le développement économique mondial, l'accroissement des ressources en capital et la forte augmentation de la consommation qui résulterait d'une procédure de désarmement. On peut constater que l'aide au développement liée à la réduction des dépenses militaires permettrait d'augmenter de 43% la consommation par habitant des pays d'Asie à faible revenu, de 60%, 120% et 20% respectivement celles des pays d'Afrique tropicale, de l'Afrique aride et d'Amérique latine à moyens revenus.

Dans tous les scénarios de désarmement, aucune région ne subit de réduction de sa consommation par habitant et seuls les pays du Moyen-Orient et d'Asie à économie planifiée connaissent une légère diminution de leur produit intérieur brut par habitant. Ces résultats sont intéressants, car ils soulignent l'intérêt économique d'une procédure de désarmement, même si la richesse produite dans le monde en l'an 2000 ne croitrait que de 3,7% dans l'hypothèse (du deuxième scénario) par rapport à la projection actuelle de la course aux armements.

    Ce genre d'études économétriques, qui ne remettent donc pas en cause le système économique en tant que tel, puisque essentiellement, il traite de transferts en ressources de secteurs économiques à d'autres, de flux monétaires et de mouvements de capitaux, constitue la majeure partie des études publiées, notamment celle qui le sont dans le cadre du système des Nations Unies. Leurs auteurs disent tous se heurter d'ailleurs à des difficultés importantes dans le fonctionnement de leurs modèles, provenant essentiellement de la fiabilité des données traitées, s'agissant de dépenses militaires et de transferts d'armement souvent entourées d'une certaine incertitude...

 

           Keith HARTLEY met en relief ce problème de traitement des données lorsqu'il aborde les aspects économiques du désarmement. Il tente toutefois de dégager des axes d'études comme le fait une étude de l'UNIDIR (Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement)  de 1992 (Aspects économiques du désarmement, soumis à l'assemblée Générale des Nations Unies en septembre 1992). 

"Un des thèmes centraux du rapport a été d'analyser le désarmement comme un processus d'investissement. Dans cette perspective, les dividendes économiques de la paix sont supposés faibles dans le court terme et dominés par les ajustements des coûts associés au chômage ; une réallocation des ressources militaires vers des utilisations civiles implique des bénéfices à long terme sous la forme d'une production de biens et services plus importante. Cependant, tous les investissements ne sont pas couronnés de succès, car quelques uns échouent. par exemple, si d'une part le désarmement implique des coûts élevés de conversion et des périodes d'ajustement long associées à un haut niveau de chômage et si d'autre part il conduit à des bénéfices relativement faibles, alors le taux de rendement interne du désarmement sera peu élevé voire négatif. Réciproquement, si le désarmement intervient dans une économie en expansion avec des demandes croissantes d'emplois et des politiques publiques appropriées (comme la formation professionnelle ou l'amélioration de l'information sur le marché de l'emploi), de faibles coûts d'ajustement, une transition rapide et des bénéfices de conversion élevés résultant d'un très fort retour sur investissement seront vraisemblablement attendus. 

Une autre contribution du rapport a été l'identification de douze principes de désarmement, dont quelques uns peuvent être synthétisés ainsi :

- Le désarmement ressemble à un processus d'investissement impliquant des coûts à court terme et des bénéfices à long terme ;

- Les réductions des dépenses militaires doivent être graduelles et clairement prévues ;

- Résoudre le problème de la conversion requiert des engagements financiers, des innovations organisationnelles et directionnelles, le recyclage de la main-d'oeuvre, le ré-outillage du capital et de nombreuses initiatives en vue de minimiser les coûts et de maximiser les bénéfices du désarmement ;

- Les problèmes économiques actuels du désarmement sont sans précédent. le désarmement intervient alors qu'il n'y a pas eu de guerre majeure et, pour de nombreux pays, il se réalise en même temps qu'un processus de transition d'une économie planifiée du centre vers une économie de marché ;

- Les politiques publiques qui accompagnent les changements et les réallocations des ressources libérées par le désarmement peuvent aider à minimiser les coûts du désarmement ;

- Le désarmement requiert le contrôle de la technologie militaire et particulièrement de la recherche-développement militaire ;

- Une plus grande transparence de l'information sur les importations d'armes apparaît essentielle.

   Le rapport met en évidence les problèmes principaux des statistiques, du secteur de la défense dans le monde, des exportations d'armes, de la course aux armements et de la limitation des armes, du désarmement et du développement, des ajustements économiques et de la conversion, des dividendes de la paix et du rôle des politiques publiques."

 

        Chris SMITH, dans la lettre inaugurale de l'UNIDIR de mars 1988, fait le point sur la thématique désarmement-développement ; il constate qu'avant les années 1980, cette problématique a un aspect plus idéologique qu'efficace, que son intérêt varie beaucoup suivant les périodes de tension et de détente de la scène internationale. Après trente ans de déclamations,

Serge SUR, qui introduit ce même numéro de la lettre, souligne que voici venu le temps des chercheurs et de l'élaboration d'un concept économique viable. Chris SMITH indique que "le concept du désarmement-développement date des années 1950, où il s'argumente que la réduction des dépenses militaires au Nord permettrait de développer de nombreux projets dans le Tiers-Monde. La proposition initiale vient de l'Inde en 1950 quand elle appelle à l'établissement d'un fonds de la paix des Nations Unies. Pendant les années 1950 et 1960 très peu de peuples mentionne le désarmement-développement. C'est une période de conflit entre les superpuissances et de tension grandissante entre le Nord et le Sud. (...) Durant les années 1970, la situation change et un intérêt croit pour la coopération internationale. En 1970, l'Assemblée Générale des Nations Unies appelle à une Seconde Décennie du développement et à une Première Décennie du désarmement. Toutefois, une proposition de l'Union Soviétique d'une réduction globale de 10% des dépenses militaires est rejetée au Conseil de Sécurité. A la fin de la décade, en dépit d'un niveau d'intérêt élevé et d'une pléthore de propositions, très peu d'études sont réalisées. Les rapports de recherches affluent dans les années 1980, avec le célèbre Rapport Thorsson. En 1987, les Nations Unies préparent l'organisation d'une conférence spéciale sur les liens entre désarmement et développement."

Malheureusement, les auteurs, en 1988, constatent qu'il y a encore beaucoup de travail à faire sur les dynamismes à opérer et aujourd'hui encore, la problématique désarmement-développement sort difficilement des études et des intentions pour entrer dans les faits.

 

Keith HARTLEY, Aspects économiques du désarmement, dans Économistes de la paix, Sous la direction de Jacques FONTANEL, Presses Universitaires de Grenoble, 1993. Jacques FONTANEL, L'économie des armes, La Découverte/Maspéro, collection Repères, 1983. Jacques FONTANEL et Manas CHATTERJI, Désarmement, conversion et développement régional, dans  Reconversion des industries d'armement, sous la direction de Roland de PENANROS, Les études de la documentation française, 1995. Chris SMITH, Disarmament-Development : issues and research, Lettre de l'UNIDIR n°1, mars 1988.

 

                                           ECONOMUS

 

Relu le 2 avril 2020

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